Semaine du Neuf | Nanatasis: trois légendes abénakises, des marionnettes, un opéra

Entrevue réalisée par Alexandre Villemaire

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Imaginée par la conteuse et librettiste abénakise Nicole O’Bomsawin et la compositrice Alejandra Odgers, Nanatasis pagaie sur les vastes réservoirs de trois légendes traditionnelles abénakises. S’y déroulent les récits de la Grand-mère Marmotte, les aventures épiques de Klosk8ba, garçon devenu homme, homme devenu héros. Création du monde à partir du premier son d’un hochet. Orignal géant et redoutable (Moz) que Klosk8ba réduit à sa taille d’objet usuel d’aujourd’hui. Hiver sans fin qui fait enfin place au printemps. Voilà les thèmes de trois légendes réunies dans cette œuvre commandée par Musique 3 Femmes, en coproduction avec l’ensemble de percussions Sixtrum et dirigée par le metteur en scène et scénographe métis Troy Hourie. Onze musiciens et quatre marionnettistes donnent vie au concept, le samedi 8 mars et le dimanche 9 au Théâtre Outremont. Dans le contexte de La Semaine du Neuf, la mezzo-soprano Kristin Hoff et  la compositrice Alejandra Odgers accordent une interview à Alexandre Villemaire pour PAN M 360. L’œuvre fut présentée en collaboration avec Le Vivier en mai 2024, la revoilà dans le contexte de la Semaine du Neuf

PAN M 360 : Nanatasis est un projet commandé par Musique 3 Femmes, la compagnie que vous dirigez avec la compositrice Luna Pearl Woolf et co-fondée en 2018 avec Suzanne Rigden et Jennifer Szeto. Pour qui ne connaît pas votre organisme, quelle est sa mission et qu’est-ce qui vous a incité à le fonder?

Kristin Hoff : Le projet M3F est né d’un désir de voir les femmes occuper davantage de postes de direction dans l’opéra. De voir les femmes prendre plus de place dans les rôles de créatrices d’opéra, de metteures en scène, de cheffes d’orchestre, de directrices de compagnie. Nous avons axé notre travail sur la création avec le prix bisannuel de commande et de développement, le Mécénat Musica Prix 3 Femmes. Cela signifie que c’est en soutenant les créateurs d’opéra – compositrices et librettistes – que nous avons eu le plus d’impact. Si nous voulions faire entendre des voix féminines dans l’opéra, c’est en partie parce que nous voulions entendre des histoires écrites par des femmes, où les femmes peuvent également être au centre de ces histoires, au lieu d’être victimes ou secondaires par rapport aux hommes, comme c’est souvent le cas dans l’opéra traditionnel. 

Cela dit, d’une manière plus générale, il nous tient vraiment à cœur d’apporter de nouvelles histoires sur les scènes d’opéra, de soutenir des voix qui n’ont pas encore été entendues sous cette forme. C’est pourquoi nous avons ouvert notre prix MMP3F à des candidats non binaires, et nous avons également ouvert une catégorie BIPOC, afin de nous assurer que nous soutenons également des voix culturellement diverses.

PAN M 360 : Que raconte Nanatasis?

Kristin Hoff : Créé par la conteuse et librettiste abénakise Nicole O’Bomsawin et la compositrice Alejandra Odgers, Nanatasis nous entraîne dans un voyage à travers trois légendes traditionnelles abénakises, grâce aux récits de la sage Grand-mère Marmotte et aux aventures passionnantes de Klosk8ba, un garçon devenu homme et héros. Ces légendes nous racontent l’histoire de la création du monde, à partir du premier son d’un hochet, un moz [orignal] géant et terrifiant que Klosk8ba réduit à sa taille d’objet usuel d’aujourd’hui, et celle d’un hiver sans fin qui fait place au printemps.

PAN M 360 : Alejandra, comment cette collaboration avec Nicole O’Bomsawin a-t-elle commencé?

Alejandra Odgers : En 2007, pendant mes études de doctorat j’avais décidé de composer une pièce basée sur des chants des indigènes de mon pays d’origine, le Mexique. C’était le printemps, et j’étais dans une étape de recherche de textes quand j’ai décidé d’aller manger à une cabane à sucre. J’ai entendu qu’à la Maison des peuples autochtones au Mont St-Hilaire on y offrait un repas aux saveurs amérindiennes et qu’il y avait une femme abénakise qui présentait une animation avec des chants et des danses. Aimant les cultures de partout dans le monde, il n’en fallait pas plus pour me convaincre que c’était l’endroit où je voulais aller. Et cette femme abénakise était Nicole. Je suis tombée amoureuse de sa culture, de ses chants et j’ai fini par lui demander si elle acceptait que j’enregistre ses chants pour pouvoir composer une pièce pour orchestre symphonique avec eux. Généreuse comme elle est, elle a accepté et cela a été le début d’une amitié et d’une collaboration qui dure depuis 18 ans et qui a permis la naissance d’au moins quatre de mes œuvres.

PAN M 360 : Qu’est-ce qui a guidé votre inspiration et votre choix de l’instrumentation qui fait essentiellement appel à un ensemble de percussions et flûtes?

Alejandra Odgers : Lors de la longue entrevue que j’ai faite à Nicole en 2007, j’ai appris que les Abénakis utilisaient comme instruments le hochet, le tambour, des bâtons de bois et aussi parfois la flûte. Alors, quand le temps de penser à l’instrumentation de l’opéra est arrivé, le choix était déjà fait : Instruments de percussion et flûte. J’ai décidé d’avoir quatre percussionnistes afin d’avoir un musicien dans chaque coin de la scène, et avoir un effet quadriphonique qui en même temps représentait les quatre points cardinaux. 

PAN M 360 : Avez conçu la musique comme une trame narrative unique ou bien chacune des trois légendes porte-t-elle une signature musicale particulière?

Alejandra Odgers : En fait, c’est un peu les deux. Il s’agit de trois légendes qui pourraient être indépendantes. Mais, pour l’écriture du livret et pour la composition on a créé des fils conducteurs qui créaient un lien entre les trois légendes. Du côté de l’instrumentation, bien qu’il s’agît toujours de quatre percussionnistes et la flûte, chaque légende à « sa couleur ». Pour la légende de la création, l’instrument principal est le hochet; pour celle de Moz, les tambours (en bois et des peaux) et pour Pebon et Niben les percussions de métal.

PAN M 360. : Une première présentation d’extraits de Nanatasis a eu lieu le 30 mai 2024 à la Salle Bourgie dans le cadre d’un concert honorant les autres lauréates de l’appel d’œuvres que vous aviez lancées en 2022 et leur création (Je suis fille de la fille, Analía Llugdar & Emné Nasereddine ; Raccoon Opera (Rebecca Gray & Rachel Gray). Y a-t-il des différences entre ce moment et la représentation du 8 mars et comment l’œuvre a-t-elle gagné en maturité ?

Kristin Hoff : Le spectacle de Bourgie nous a permis de présenter une seule légende dans une version essentiellement musicale. Quelques marionnettes étaient également présentes lors du spectacle, ainsi que des vidéos et des éclairages. Il s’agit ici de la version intégrale – la vraie. Les trois légendes sont présentées sur une scène magnifique avec un plancher peint, des écrans en peau d’animal, l’île des Abénaquis, avec toutes les marionnettes, les costumes, les danses traditionnelles abénaquises, les ombres chinoises, la conception vidéo et une mise en scène complète – le spectacle complet avec tout ce qu’il y a de plus beau et de plus beau !

Alejandra Odgers : Aussi, depuis la présentation de l’année passée, on a peaufiné le fil narratif qui parcourt les trois légendes. Et du côté musical, on sent que les chanteurs se sont approprié leurs personnages et les musiciens connaissent vraiment la musique, les légendes. Tout est plus cohérent.

PAN M 360 : À partir de quel moment l’idée s’est présentée d’impliquer dans le concert le Festival de Castelliers?

Kristin Hoff : J’ai rencontré Louise Lapointe, directrice artistique de Casteliers, il y a environ 18 mois, alors que nous collaborions à un projet de résidence pour d’autres créateurs. Je lui ai parlé du projet sur lequel nous travaillions, un opéra de marionnettes qui mettrait en scène trois légendes abénaquises et qui serait notre première incursion dans le domaine de l’opéra de marionnettes. Elle a été séduite par l’idée et m’a demandé de lui envoyer plus de détails. Le reste appartient à l’histoire !

PAN M 360 : Kristin, en tant qu’interprète dans l’opéra, mais aussi en tant que directrice de production de celui-ci, que retenez-vous comme expérience humaine dans le processus de création de cette œuvre avec les divers intervenants?

Kristin Hoff : Ce fut une belle occasion de partage à bien des égards. N’étant pas une organisation autochtone, M3F a abordé ce projet avec beaucoup d’humilité. Mais Nicole O’Bomsawin a ouvert sa culture et ses histoires pour que nous puissions tous y pénétrer et y prendre part. Elle pense que c’est la meilleure façon de les comprendre, de les connaître et de les aimer. Cette générosité est très particulière. Je lui suis profondément reconnaissante, ainsi qu’aux populations indigènes qui ont contribué à la réalisation de ce projet et qui l’ont partagé de cette manière.

PAN M 360 : Et vous Alejandra, que retenez-vous comme expérience humaine dans le processus de création de cette œuvre avec les divers intervenants?

Alejandra Odgers : Je crois que peu de choses me touchent plus que de voir comment des gens qui viennent d’origines diverses, et parlent différentes langues peuvent travailler ensemble et donner le mieux d’eux-mêmes pour créer ensemble quelque chose de beau. Dans ce cas-ci, les légendes abénakises. C’est incroyable le nombre de personnes impliquées dans un projet comme celui-ci qui se voulait « un petit opéra de chambre ». Collaboration, partage, entraide, ouverture, écoute, patience et respect (des points de vue et des rythmes d’autrui) étaient de mise. Arriver à le faire, dans un projet de longue haleine comme celui-ci, c’est du bonheur et me donne de l’espoir dans le monde compliqué où nous habitons aujourd’hui. 

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