Ce sont deux concerts sous le signe de la diversité auxquels votre serviteur est allé assisté samedi dernier lors de la Virée classique de l’OSM. Pas la diversité musicale, en termes harmoniques et stylistiques, car ça allait du Romantisme au modernisme / impressionnisme, même pas un siècle de l’histoire de la musique. Plutôt la diversité des compositeurs et compositrices et des interprètes, ce qui a rempli de bonheur les mélomanes curieux.
En effet, les surprises étaient pour le moins emballantes, à commencer par le concert de trios joués samedi matin avec passion et conviction par Jean-Sébastien Roy (violon), Cameron Crozman (violoncelle) et Philip Chiu (piano). Le programme, audacieux, était consacré à de véritables chefs-d’oeuvre méconnus de deux compositrices états-uniennes, soit Amy Beach et Rebecca Clarke. Le Beach, en la mineur op. 150, pourtant une pièce de maturité écrite en 1938 à la veille de la Seconde guerre mondiale, est tout en légèreté, accueillant et souriant. Un brin espiègle, même, il exprime une relative sérénité à travers une utilisation symbiotique de textures romantiques et impressionnistes. Un chef-d’œuvre, certes, mais de nature sympathiquement naïve. Le véritable plat nutritif de cette agréable rencontre, où le public de quelques dizaines de paires d’oreilles était installé sur la scène du Théâtre Maisonneuve dans une sorte de cocon acoustique et à deux pas des musiciens, était le Trio de Rebecca Clarke, britannique de naissance naturalisée états-unienne. Oh, la grande œuvre de musique de chambre que voilà! Un premier mouvement tempétueux nous indique qu’un drame d’une sombre gravité s’y déroule. Le deuxième mouvement est un Adagio digne du meilleur Debussy ou Ravel, avec une mélodie poignante, d’une forte charge émotionnelle, discrètement esquissée à travers des commentaires à contre-courant projetés comme sur un voile diaphane qui ondoie subtilement. L’image suscitée prend alors des couleurs moirées teintées d’ombrages délicats. Le troisième mouvement conclut l’aventure avec un Vivace empreint d’urgence et de fougue, magnifiées par une écriture vibrante et souvent pleine de surprises. On ne pouvait espérer bien mieux des trois interprètes, tellement leur immense talent était parfaitement aligné en direction d’une expression de qualité maximale pour ces perles insoupçonnées du répertoire. Loin de l’anecdotique, ce programme fut certainement une révélation pour les chanceux et chanceuses qui ont pu y assister.
Deuxième rencontre à mon agenda, le concert du nouvel ensemble Obiora, sous la direction de Rafael Payare lui-même. Une Maison symphonique beaucoup plus multicolorée que d’habitude donnait à entendre à la fois (en partie) un répertoire rarement joué, mais aussi un orchestre ‘’de la diversité’’ créé en pleine pandémie et amorçant ainsi une vie que l’on souhaitera longue et prospère. Obiora, formé de musiciens professionnels issus de racines afro-descendantes, latinos et moyen-orientales (pour la plupart) a été créé justement pour montrer que la musique classique professionnelle est également jouée par des non-caucasiens (et non-asiatiques, bien que quelques-uns se retrouvent tout de même dans le groupe), ce qui est une excellente chose. Une ou deux imprécisions tonales nonobstants, l’orchestre a manifesté une cohésion d’ensemble plus que satisfaisante, un investissement émotif convaincant dans les œuvres au programme et au final, une légitimité certaine à faire partie du paysage musical montréalais. Il s’agit du tout premier orchestre du genre au Canada. On peut en être fier. Le programme du concert débutait avec Lyric for Strings, de l’Afroaméricain George Walker, une pièce fort jolie que plusieurs apprécieront pour sa proximité de style et de caractère avec l’Adagio pour cordes de Barber. Suivait la petite merveille qu’est la Fantaisie pour saxophone de Villa-Lobos, un savoureux entrelac d’impressionnisme et de modernisme extra-européen. L’impressionnant saxophoniste Steven Banks, dont je vous parlais dans une autre critique, a encore fait des miracles grâce à une technique époustouflante, une musicalité poétique et une sonorité instrumentale moelleuse et séduisante. Le clou du spectacle était assuré par une version pour orchestre à cordes du Quatuor ‘’américain’’ de Dvorak. Le chef Payare a induit une bonne dose de subtilités et de nuances, généralement bien exécutée par Obiora. Les thèmes respiraient adéquatement, insufflant ainsi une agréable aisance narrative à la musique, et les dynamiques se mouvaient avec grâce. S’il ne s’agissait des quelques incartades de justesse, peut-être dues à la nervosité, la résultante aurait été entièrement parfaite.
L’ensemble Obiora (à propos duquel mon collègue Alain Brunet a réalisé une entrevue) est une promesse d’avenir emballante. Un rafraîchissement nécessaire de l’énergie vitale et surtout du répertoire habituel de la musique classique (mais dont les piliers fondamentaux ne seront pas abandonnés, comme l’a démontré le concert) sera apporté par ce très jeune groupe qui ne demande qu’à nous surprendre et nous étonner encore.
N’en déplaise à certains gardiens du temple de la pureté classique auto-proclamés (qui sévissent dans certains espaces qui leur sont réservés quotidiennement et qui nous assomment de leurs mentalité archaïque de deuxième zone), l’avenir de la musique classique passera par ce genre d’élargissement de ce que l’on considère être la ‘’bonne musique’’. Un élargissement que les véritables mélomanes curieux et curieuses appellent de leur cœur.