OSM au pied du Stade : pourquoi s’étonner des couleurs de l’Amérique?

par Alain Brunet

Les mélomanes biberonnés à la musique classique de tradition européenne ont été peut-être étonnés, déconcertés ou même offusqués par le programme du concert d’ouverture de la Virée classique, exécuté par l’OSM sous la direction de Rafael Payare. Mercredi soir, sur l’esplanade du Parc olympique, le maestro vénézuélien et ses acolytes ont misé sur un buffet des Amériques afin d’en illustrer la grande diversité.

Trop de plats ? Difficile à digérer? Possible mais… les perceptions immédiates peuvent aussi être trompeuses.

D’un point de vue occidental, blanc et ô combien normatif, la seule œuvre véritablement « classique »au programme étant le 4e mouvement, Allegro con fuoco, de la Symphonie nº 9 en mi mineur, op. 95, Du Nouveau Monde de Dvořák. On comprendra certes l’étonnement de la gent classique, on en comprendra moins la réprobation et la condescendance.

Qu’elle aime ou non cette vision du monde musical, la gent classique doit faire face à cette nouvelle réalité : les musiques complexes destinées aux orchestres symphoniques débordent désormais le « grand répertoire » germanique, italien, français, russe ou scandinave, bref caucasien. Leonard Bernstein, dont on a repris les danses symphoniques de la bande originale du film West Side Story, avait eu cette prémonition dans les années 50 et 60, incluant des formes latines et afro-caribéennes dans son œuvre. Bernstein était loin d’être le seul à défendre cette approche inclusive : Ravel, Gershwin, Varèse, tant d’autres compositeurs blancs ont ainsi procédé dans plusieurs de leurs œuvres marquantes. On l’a aussi observé dans Honey and Rue d’André Prévin, dont l’influence jazz est nette et demeure pourtant dans l’esthétique classique. La très douée soprano Janine De Bique avait d’ailleurs très bien saisi le concept et l’a magnifiquement rendu au public montréalais.

Paquito D’Rivera, saxophoniste cubain de haute virtuosité, a mené une carrière dans les sphères du jazz latin, ce qui n’exclut en rien son ouverture aux formes classiques de tradition européenne. Son Concerto Venezolano, pour trompette (excellent Pacho Flores!) et orchestre inclut forcément des formes populaires de musique afro-latine, mais comporte aussi des éléments orchestraux d’une complexité harmonico-mélodique comparable aux soi-disant grandes musiques occidentales, et aussi d’une complexité rythmique généralement au-dessus des standards européens du monde classique. 

La démarche de feu le compositeur vénézuélien au programme, Evencio Castellanos (1915-1984), se trouvait plus proche du monde classique : les matériaux issus des musiques populaires servaient à construire une œuvre de facture occidentale alors que Paquito D’Rivera se veut ici au confluent du jazz moderne et de la musique contemporaine classique.

Quant au chant traditionnel de la nation wolastoqiyik interprété par Jeremy Dutcher et précédé d’une déclamation poétique de Natasha Kanapé Fontaine, la démarche est différente : on parle ici de l’habillage symphonique d’un chant simple et beau, interprété avec justesse et passion. 

Y a-t-il lieu de s’étonner de tels métissages mis de l’avant par un orchestre symphonique, en l’occurrence l’OSM ? Peut-être bien mais…

Depuis l’émergence des musiques plus complexes en Occident, soit à la Renaissance, les musiques dites sérieuses s’abreuvent des formes populaires ou folkloriques, pourquoi alors conclure à la légèreté pop lorsque des non-occidentaux érigent des formes plus complexes inspirées de leurs propres formes populaires et les marient au langage orchestral d’Occident? Voilà, manifestement, l’apparence d’un biais blanc et normatif.

Voilà la perception d’un monde musical occidental croyant encore à sa supériorité. Ce monde doit désormais se raviser : d’autres musiques symphoniques complexes doivent être honorées, nous en avions mercredi les exemples probants. S’il y a eu un problème, il n’était pas d’ordre musical, il était d’ordre culturel… et stratégique.

La surabondance d’informations lancées à un public peu habitué à cet éclectisme peut prêter flanc aux points de vue et perceptions occidentalo-centristes, qui relèguent les Paquito D’Rivera et Evencio Castellanos chez les compositeurs de troisième division. Rafael Payare et ses acolytes de la direction artistique de l’OSM devront alors se montrer plus rusés pour la suite des choses… et ne surtout pas reculer en diluant leur approche éditoriale, parfaitement défendable.

PROGRAMME

Artistes

Orchestre symphonique de Montréal

Rafael Payare, chef d’orchestre

Natasha Kanapé Fontaine, autrice 

Jeremy Dutcher, chanteur 

Jeanine De Bique, soprano

Pacho Flores, trompette

Magalie Lépine-Blondeau, porte-parole 

Oeuvres 

Dvořák, Symphonie nº 9 en mi mineur, op. 95, « Du Nouveau Monde » : IV. Allegro con fuoco (11 min)

Lecture d’un texte de Natasha Kanapé Fontaine

Chant interprété par Jeremy Dutcher

Paquito D’RiveraConcerto Venezolano, pour trompette et orchestre (18 min)

BernsteinWest Side Story, danses symphoniques (20 min)

André PrévinHoney and Rue : « The town is lit » (5 min)

Evencio CastellanosSanta Cruz de Pacairigua (17 min)

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