MUTEK 2023 | Nocturne 2: SAT – Twin Rising, Efe Ce Ele, Paraadiso, Animistic Belief, et plus…

par Laurent Bellemare

Opening Photo By: Frédérique Ménard-Aubin

Pour une seconde nuit, la Société des Arts Technologiques ouvrait ses portes à MUTEK 2023 pour l’événement Nocturne 2, présentant une palette d’artistes électroniques nichés. Avec ses deux espaces de prestations ouverts, les performances se sont enchaînées sans interruption, de sorte qu’il fallait parfois faire des choix déchirants entre l’une et l’autre des salles.

Twin Rising (VJ Isotone)

// Frédérique Ménard-Aubin

À travers son masque orné de chaînes, Twin Rising laissait entendre une voix douce et aiguë, dont la vulnérabilité faisait contraste avec les sonorités souvent rugueuses du registre grave. En effet, malgré une trame toujours harmonique, les basses fréquences onduleuses marquaient un tempo lent et pesant. Dans les moments les plus lourds, on se serait cru devant une performance de dubstep tel que le définissaient les années 2000. Une oreille attentive pouvait également déceler des « caisses claires » synthétiques volontairement asynchrones, créant un effet d’anticipation très efficace. Un équilibre entre pulsation accrocheuse et déconstruction rythmique gardait ainsi le public en haleine, tout comme le visuel hétéroclite projeté par Isotone sur le dôme de la satosphère. Entre déferlements aquatiques et géométrie granuleuse, il n’y avait que la palette multicolore pour s’accrocher à un fil conducteur. Quoi qu’il en soit, ces formes se mariaient très bien avec la musique de Twin Rising, créant une ambiance vaguement mélancolique. Une excellente façon de démarrer la soirée.

Efe Ce Ele

// Nina-Gibelin Souchon

En descendant au rez-de-chaussée, on pouvait tout de suite constater le changement d’atmosphère. Pour la performance de Efe Ce Ele, le ton s’est nettement assombri : pulsation insistante, éclairage stroboscopique, visuel psychédélique et messages politiques explicites. Il y avait des échos de techno et de musique industrielle dans cette trame sonore d’une époque anxiogène. Mélodiquement, la musique évoluait surtout dans le registre grave, avec quelques percées de piano, de percussions et de voix échantillonnées. Le plus souvent, on baignait dans un bourdon complexe où les voix modulaient lentement. Les transitions étaient souvent articulées par superpositions de sections, créant momentanément un passage très dense et dissonant.

Nadia Struiwigh

// Frédérique Ménard-Aubin

De retour dans une Satosphère bondée de monde, l’ambiance créée par Nadia Struiwigh était la première de la soirée à rappeler celle d’un rave. L’expérience était nécessairement plus physique que les autres, la musique de l’artiste hollandaise opérant avec des rythmes toujours en 4/4 et toujours accrocheurs. Des syncopes ajoutaient çà et là de légers échos de drum’n’bass et de breakbeat. Harmoniquement, des accords tenus ou entrants en fondu s’enchaînaient en une progression simple. Ces  dernières étaient couplées avec de courtes cellules mélodiques répétées, créant un contraste de densité rythmique toujours présent. Les textures s’ajoutant à cette base accrocheuse permettaient de maintenir l’intérêt sur le plan sonore, alors que le corps se laissait aisément entraîner par la backbeats continus. Au visuel, les artistes BunBun et Alex Vlair proposaient une composition fort réussie. Motifs spiralés, cercles concentriques et mosaïques circulaires; ces formes s’arrimaient parfaitement avec le dôme de la SAT.


Paraadiso

// Nina-Gibelin Souchon

Composé des artistes TSVI et Seven Orbits, le duo Paraadiso livrait un son beaucoup moins convenu. L’atmosphère était tantôt éthérée et consonante, et tantôt soudainement chaotique et bruitiste. Le  dénominateur commun ici, c’était les rythmes bien calculés pour éviter le prévisible. Les temps forts étaient souvent évités, accentuant plutôt les syncopes. À d’autres moments, des polyrythmies créaient des effets de déphasages très efficaces. Des subdivisions irrégulières venaient à leur tour déstabiliser la construction d’un rythme. De manière générale, les sonorités du duo étaient abstraites, plus près de l’art numérique que de la musique dansante. Cette expérimentation se reflétait également dans les projections, composées d’images microscopiques du monde naturel, lesquelles étaient hautement traitées jusqu’à devenir des textures méconnaissables. Avec une palette sonore riche, le duo Paraadiso offrait une savante performance de « musique pour ne pas danser ».

Amselysen/Racine

// Frédérique Ménard-Aubin

Le duo Amselysen/Racine présentait une musique austère, où tout était rythme et timbre. Pas de mélodie ni repères harmoniques. Qui plus est, la pulsation était noyée dans des syncopes rapides ou des tapis de bass drum rapides. Résolument industriel, ce son rappelait celui d’un Autechre dans ses moments les moins consonants. À l’image de cette musique grise, mais pas moins grisante, le visuel projeté sur le dôme par Diagraf était tout de noir et blanc vêtu. Des stalagmites en origami superposées de poussière d’étoiles se transformaient en nébuleuses de suie. Amselysen et Racine ont su habilement envoûter son public malgré une musique difficile et rigide.

X/O

// Nina-Gibelin Souchon

Déjà passé minuit, x/o montait sur scène pour présenter des morceaux de son excellent album Chaos Butterfly. Cette musique pesante, tout en contraste grâce à un chant rêveur, réinvestissait de nombreux repères musicaux connus. De l’IDM au métal, du dream pop au breakbeat; l’artiste de Vancouver performait de manière convaincante. On regrettait malheureusement une interprétation vocale un peu trop timide, laquelle ne perçait pas dans l’équilibre sonore. Problème technique ou manque d’assurance? Quoi qu’il en soit, la voix n’a pas eu un traitement qui rendait pleinement justice aux compositions, bémol qui s’est quelque peu corrigé vers la fin. Néanmoins, x/o a su captiver son auditoire sans problème, créant une atmosphère sombre augmentée d’un éclairage stroboscopique bleuté et de projections hypnotisantes. On pouvait apprécier des envolées noise presque shoegaze illustrées par des personnages dessinés à la japonaise. En somme, x/o a fait vivre un moment de catharsis aussi lourd qu’apaisant, avec une montée d’intensité bien contrôlée d’une pièce à l’autre.

// Frédérique Ménard-Aubin

D’emblée, Kyoka proposait une musique presque entièrement inharmonique, axée sur la plénitude de ses échantillons sonores et l’insistance de ses rythmes. Le début de la performance n’était pratiquement coloré que par les projections somme toute très cubistes de BunBun et Alex Vlair. Pourtant, dans un moment d’apesanteur soudain, toute trace de rythme s’est estompée pour laisser place à un long passage atmosphérique et harmonique. Il s’agissait là d’un réel vent de fraîcheur, dans une soirée où la pulsation continue était reine. Une musique rythmée, mais plus nuancée et avec de nouveaux éléments mélodique, a ensuite émergé de cette accalmie, bouclant une séquence de variations euphorisantes.

Animistic Beliefs

// Nina-Gibelin Souchon

Que leur apparition sur scène soit programmée aux petites heures importait peu à Animistic Beliefs. Le duo a vraiment transformé la SAT en fête nocturne, enivrant le parterre d’une pulsation incessante et de sonorités psychédéliques empilées les unes sur les autres. Leur musique expérimentale est générée en temps réel par un travail de synthétiseurs modulaires qui ne fait pas dans la dentelle. Le son était dense, le son était fort, et les sifflements rugueux aigus prenaient d’assaut les sens tout autant que les basses fréquences tonitruantes. La musique du duo était parsemée de sonorités intrigantes, des échantillons aux élans vocaux déclamés comme une chanteuse punk s’époumonerait dans un porte-voix. Il est dit qu’Animistic Belief incorpore des influences sud-est asiatiques dans leur son, échantillonnant notamment de la poésie vietnamienne et du totobuang, carillon de gongs des îles Moluques en Indonésie. Ce n’est toutefois pas le genre de nuances qu’on aurait pu percevoir sur le vif tant le duo a cassé la baraque avec son spectacle. Une découverte qui donne envie d’aller écouter leur album MERDEKA (indépendance en indonésien).

Eƨƨe Ran

// Frédérique Ménard-Aubin

Voilà un autre cas où la tonalité était bien peu présente. Alternant une pulsation effrénée à des rythmes syncopés puissants, Eƨƨe Ran avait la tâche ingrate de clôturer une soirée haute en stimulations.  La formule de l’artiste aurait pu rester un peu drabe n’eut-ce été des nombreux écarts de conduite. Le montréalais n’hésitait pas à détourner son tapis rythmique en improvisant un passage bruitiste évoquant des sonorités de vocoder inintelligibles, ou en étirant ou compressant momentanément le tempo. Tout était dans le travail de texture. Autrement, la musique partageait cette froideur industrielle, commune à de nombreux artistes de la soirée, dans laquelle bruit blanc est davantage la norme que note de musique. De manière peut-être un peu aléatoire, les images pointillistes de structures moléculaires et de nébuleuses spatiales s’intercalaient avec des paysages désertiques et rocheux, le tout créant une atmosphère d’abandon presque nihiliste à la danse et aux décibels de trop. La soirée s’est finalement terminée sur un rallentando et un decrescendo vers le néant.

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