Seul au micro, avant même l’entrée en scène de l’orchestre, Nicolas Ellis nous invite au rêve. Pas le rêve enfantin et ludique, mais bien le Rêve (avec un grand R) sous toutes ses facettes, qu’elles soient joyeuses ou tragiques, pleines d’espoir ou de déception. Avec humour, il suggère que l’on mette de côté tout rêve en lien avec les voitures de course considérant la pollution sonore due aux événements du Grand Prix Formule 1 ayant lieu tout près de la Salle Bourgie ce soir-là. Sur ce, les musiciennes et musiciens des Violons du Roy prennent place sur la scène pour créer une véritable expérience musicale.
Dès le début, on sent qu’il ne s’agira pas d’un concert typique. D’abord, plusieurs chaises sur scène sont ostensiblement vides, puis, la musique débute sur des sons électroniques qui donnent l’impression d’une forêt pleine de vie. Par la suite, l’ensemble entre en jeu et la soprano Andréanne Brisson Paquin se fait entendre, mais au fond du balcon de la salle. À peine a-t-on le temps de vivre pleinement cet espace sonore, une création de la compositrice Claudie Bertounesque, que la Fantaisie sur un thème de Thomas Tallis de Ralph Vaughan Williams en émerge sans interruption. Dès lors, on découvre le deuxième élément inusité de ce concert : neuf musiciennes et musiciens de l’ensemble sont eux aussi installés au balcon de la Salle Bourgie. Ce sont les neuf interprètes qui composent le deuxième orchestre de la célèbre œuvre. Le comble est que l’acoustique de la Salle Bourgie est si parfaite que, si on ne connaissait la position de ces musiciens (c’était mon cas, étant assis au parterre), on aurait juré que le son provenait de quelque endroit dissimulé sur scène. Le moment était particulièrement enchanteur.
Les performances musicales des musiciennes et musiciens des Violons du Roy n’ont pas fait exception à la réputation de l’ensemble qui se démarque par la qualité constante de ses interprétations à travers tous les styles. Des mélodies expressives et flottantes de Vaughan Williams au folklorisme déjanté de Kilar, tout passe à merveille. Mention spéciale à la soprano Andréanne Brisson Paquin qui transmet avec brio la charge émotive des paroles de Golijov par la flexibilité et la puissance remarquable de sa voix.
Après le concert, il m’est resté l’impression d’avoir vécu une expérience singulière, quelque chose de plus grand qu’une simple performance musicale. L’inclusion des trois interludes commandés spécialement pour faire le pont entre les œuvres, le choix de jouer Vaughan Williams de manière antiphonale et l’ordonnancement des œuvres au programme de la plus lyrique à la plus frénétique, ce sont là l’évidence d’une attention particulière dans la conception de l’expérience musicale. Je dois avouer que j’ai été convaincu. J’aurais toutefois retiré l’entracte qui scindait maladroitement en deux parties les chansons de Golijov. Le fil conducteur aurait été beaucoup plus apparent s’il n’était pas coupé. Une autre opportunité manquée, à mon avis, est l’intégration plus ou moins habile des illustrations de Frédéric Ellis. Bien qu’elles soient magnifiques, elles n’ont pas énormément contribué à l’expérience de concert. Ceci étant dit, elles n’y ont rien retiré non plus, donc je ne leur en tiens pas rigueur.
L’idée de faire sortir le concert classique de son cadre rigide n’est pas nouvelle, mais la manière dont Nicolas Ellis et les Violons du Roy l’ont exécutée est louable. Ce concert a été un exemple parfait de ce qu’il est possible de faire lorsqu’on s’interroge réellement sur l’expérience qu’on offre en tant que musicien classique et qu’on laisse aller sa créativité et celle des créatrices et créateurs d’aujourd’hui. Mon seul hic: j’en veux cent fois plus! J’ai foi que cette approche nous en mettra plein l’ouïe dans les prochaines saisons des Violons du Roy et dans les prochaines œuvres de nos compositrices et compositeurs canadiens.
Entretien avec Claudie Bertounesque
J’ai eu le plaisir de m’entretenir avec Claudie Bertounesque à la suite du concert pour en apprendre plus sur sa pratique artistique. La compositrice s’est dite choyée par l’amour qu’elle a reçu de la part des Violons du Roy dans le contexte de cette création. Étant spécialisée en composition de musique à l’image, ce genre de commande hautement spécifique fait fleurir sa créativité. D’ailleurs, elle m’a révélé que l’écoute des œuvres à l’origine de ses interludes lui a rappelé la couleur bleue, une belle coïncidence considérant que c’est la couleur prédominante des illustrations de Frédéric Ellis. Elle m’a aussi appris l’origine de la musique électronique contenue dans cette œuvre, soit, entre autres, le son d’une lampe à gaz qu’elle a enregistré́ dans un chalet qu’elle a visité et le cri d’un geai bleu qu’elle a ensuite manipulé pour produire des sons ressemblant au coassement d’une grenouille ou à la stridulation de criquets. J’invite les amateurs de musique électroacoustique à entendre Le chant des bélugas, une autre pièce de la compositrice commandée par Nicolas Ellis et l’Orchestre de l’Agora.
crédits photo: Pierre Langlois