Concours Liszt de Budapest, Concours de Genève, Concours Arthur Rubinstein… Entre 16 et 18 ans, l’Albertain Kevin Chen a déjà remporté les premiers prix de ces compétitions internationales sans compter les mentions positives de plusieurs autres. À l’évidence surdoué, cet instrumentiste vient à peine d’avoir franchi le cap de l’âge adulte, et on le présente au public mélomane toujours désireux de découvrir un virtuose émergent dans le contexte d’un récital.
Trop tôt, pourrions-nous conclure au sortir de cette performance plutôt sèche, présentée dimanche par Pro Musica à la Salle Pierre-Mercure. Mais à bien y penser…. si Kevin Chen a remporté ces concours prestigieux, ce n’est sûrement pas pour ses seules compétences techniques. La musicalité doit aussi faire corps, l’émotion, la grâce, enfin toutes les caractéristiques qui distinguent les grands musiciens des meilleurs techniciens.
Or, dimanche, le jeune homme n’a pas connu son meilleur après-midi, c’est-à-dire un moment de grâce où toutes les valeurs de la grande musique sont réunies. Doit-on en déduire qu’il est est toujours de même de son côté ?
D’un point de vue strictement technique, les ivoires sont parfaitement maîtrisés, main gauche et main droite font ce qu’elles ont à faire dans ce programme. L’articulation est très solide, le jeu de pédale est intéressant, la sonorité est ample. Le problème de cette exécution dominicale, en fait, relève du style, de la volupté, voire de la personnalité pianistique.
Encore là, on ne peut être péremptoire sur cette question car un musicien de cet âge n’a probablement pas encore acquis la constance de ses aînés. On présume néanmoins qu’il puisse être parfois habité par les grands esprits de la musique et … comme c’était le cas dimanche, il arrive que la pression, la fatigue et autres soucis de la vie puissent faire barrage à leur harnachement sur l’interprète.
À ce stade précoce d’une carrière qui pourrait s’avérer remarquable, Kevin Chen n’est pas à l’abri de ces irritants le limitant à une interprétation clinique, quoique techniquement remarquable pour quiconque a rarement accès à un tel niveau d’exécution. Quoique… j’ai entendu plusieurs doutes s’exprimer, et ces doutes ne provenaient pas de la critique patentée.
La 28e des 32 sonates pour piano de Beethoven, il faut dire, n’est pas une mince affaire à réussir en début de carrière, mais on imagine qu’il l’a déjà fait auparavant puisque c’était un gros morceau de ce programme. Risque calculé ? Quant à la Fantaisie en fa dièse mineur, op.28 de Felix Mendelssohn, on l’a senti plus fluide mais pas vraiment du côté de la magie et de la transcendance. Pour conclure la première partie, la version pour piano seul de La Valse de Ravel, un parcours ternaire certes influencé par le jazz des années 20, à commencer par celui de George Gershwin et du piano stride alors en vogue à New York, est jouée avec une précision… abrupte. Comme si l’émotion expl par une forme de violence pianistique…
La deuxième partie était consacrée à Franz Liszt, qui fut lui-même un virtuose pianistique et qui fait partie du parcours obligatoire de tout pianiste de concert en devenir. Il jouera trois sonnets des Années de pèlerinage, tirés de la 2e année du cycle, soit les no 47, 104 et 123. Et il conclut par Réminiscences de Norma, S.394, également de Liszt. Au rappel, il jouera Liederkreis, Op. 39: XII. Frühlingsnacht, de Robert Schumann, sur un arrangement de Liszt.
En somme, on a bien vu l’immense talent de Kevin Chen et on n’a pas encore vu l’immense musicien qu’il pourrait devenir, ce qui n’est pas chose faite. La haute virtuosité en musique classique est de plus en plus remarquable en ce bas monde, jamais n’avons eu droit à autant de musiciens ayant atteint un tel niveau mais… la vie doit faire son œuvre et le défi des meilleurs comme Kevin Chen repose sur la quête du style et de la personnalité. Parions qu’il sera déjà différent et meilleur à son prochain récital, bien sûr s’il est conscient de ces enjeux et que son entourage les saisisse également.