La quarantième présentation du Festival international de musique actuelle de Victoriaville s’est conclue le dimanche 19 mai au Carré 150, au terme d’un ultime concert donné par l’ensemble du guitariste scandinave Kim Myhr. Si cette nouvelle mouture du FIMAV avec Scott Thomson à la barre a attiré moins de mélomanes que l’an dernier, ce qui était largement prévisible (le facteur John Zorn y fut déterminant, tout comme le départ de Michel Levasseur, son fondateur), la nouvelle direction artistique a offert dans l’ensemble une proposition solide, de fort belle tenue, comportant bien assez de beauté et de substance pour que l’impression de satisfaction domine au retour à la maison.
Allons-y pour un résumé du 17 mai
Bazip Zeehok
En 2008, le chanteur et parolier fondateur de la formation avant-punk The Ex, G.W. SOK quittait le vaisseau amiral pour mener seul sa barque. Et sa facture est demeurée bien présente depuis, force est de constater à ce concert de nuit, balancé au centre des congrès de Victo passé minuit. GW SOK traîne sa pile de textes à dire, scander ou chanter, le tout accompagné par une paire de musiciens aux aguets, expérimentés et brillants – le guitariste Lukas Simonis et le batteur Gert-Jan Prins. Humour décapant au programme, sarcastique, pince-sans-rire, hyper-lucidité, accompagnement idéal de maîtres anarcho-punk portés sur le bruitisme.
Natural Information Society
À Chicago, Joshua Abrams a mis au point une dynamique orchestrale unique, mettant en relief la transe gnawa générée par le groove et les mantras du guembri, un instrument traditionnel marocain, aussi par les effets linéaires de bourdon à plusieurs sédiments de fréquences, mais aussi par une facture minimaliste américaine lorsqu’il s’agit de cellules rythmiques répétées et décalées, le tout assorti d’improvisations libres typiques du jazz contemporain. Il vous faut écouter l’album Since Time Is Gravity, chez Eremite Records, pour en prendre la pleine mesure. Vendredi soir, les esprits de la musique étaient au rendez-vous fixé par la Natural Information Society. Improvisée en temps réel, l’œuvre repose sur une série de variations relativement ténues, soutenues par un flot répétitif, chargé, envoûtant. Ce vendredi au au Carré 150, le saxo ténor vétéran Ari était le soliste en vedette et a pu s’exprimer à souhait sur train d’instrumentistes aguerris et fidèles au concept – Joshua Abrams, guembri et direction, Lisa Alvarado, harmonium, Mikel Patrick Avery, batterie, Josh Berman, trompette, Nick Mazzarella, saxophone alto, Jason Stein, clarinette basse, Mai Sugimoto, flûte, saxophone alto. Amen!
Splendide Abysse
De Montréal, le clarinettiste et compositeur Philippe Lauzier a réuni des collègues avec qui il avait joué en duo, soit la claviériste Belinda Campbell, l’accordéoniste et chanteuse Frédérique Roy, le percussionniste Carlo Costa. Cette musique de chambre a été conçue avec soin et raffinement, recherches timbrales des instruments acoustiques parfois traités ou filtrés, sons divers enregistrés sur le terrain et reconvertis à une fonction musicale. La tension de cette musique au programme est maintenue par un flot de sons continus, à travers lesquels les voix des instruments et des corps expriment des discours imaginés par Philippe Lauzier. On y trouve, d’ailleurs, suffisamment de repères mélodiques et harmoniques pour ne plus craindre les prises de risques que suggère ce programme. Risques assez soft, somme toute.
Ama Ateria ,« CONCUSSSSION »
De San Francisco, la compositrice Ama Ateria présentait le programme CONCUSSSSION , “une étude évolutive née d’un impact au crâne (os frontal et orbital)”. La commotion cérébrale dont elle fut victime a été l’amorce d’une composition imaginée au fil du rétablissement. Le son de l’œuvre s’est structuré dans les basses fréquences . “ à coup de rythmes binauraux, d’entraînement des ondes cérébrales, de courbes isosoniques et d’altérations temporelles”. Ce projet est l’évocation électroacoustique des réactions neurologiques aux ondes, les compositions diffusées expriment “ces expériences d’immobilité, d’inconscience et d’hallucinations auditives, transfigurées en moments de lévitation, de transformation et de neurogenèse”. Plus concrètement, ces concepts se perçoivent dans un contexte ambient, horizontal, calme, méditatif ou auto-réflexif. La sonorisation de cette œuvre était certes acceptable au Centre des congrès, mais… les nouveaux standards immersifs nous permettent désormais plus d’intelligibilité.
Sakina Abdou
De France, la saxophoniste afro-descendante Sakina Abdou fait parler d’elle en Europe, et ça déborde maintenant en Amérique. Elle amorce sa performance dans la mezzanine de l’Église Saint-Christophe d’Arthabaska, les sons continus font place à des lignes mélodiques plus agitées, assorties de primes timbrales. Tant à l’alto qu’au ténor, son expressivité captive, mobilise. Elle use certes de techniques étendues qui lui confèrent une posture avant-gardiste sur le territoire du jazz, mais elle sait garder le feu de la soul et du blues dans son jeu tout en cochant les cases expérimental et contemporain.