Deux très fortes personnalités du jazz américain actuel nous ont donné rendez-vous au Gésu pour un dialogue passionnant entre pianos et trompette.
Le vénérable Wadada Leo Smith, 83 ans, énorme improvisateur et compositeur de Chicago et Vijay Iver, 53 ans, pianiste, américain, fils d’immigrants indiens, devenu un prodige du jazz.
Ce concert a lieu dans la foulée de Defiant Life, un album paru en mars chez ECM, l’étiquette par excellence du jazz à l’européenne. Les deux musiciens de générations différentes collaborent ensemble depuis vingt ans. De toute évidence, ils éprouvent un plaisir énorme à dialoguer.
Tout a commencé par des notes de piano cristallin, suivi de cette espèce de trompette un peu enrhumée, rauque, ronflante et nous sommes partis en voyage.
Tantôt on sentait dans un temple indien ou bouddhiste, tantôt dans une tempête de sable, tantôt dans un film noir, tantôt dans un chaos urbain. Un voyage largement méditatif, parfois ponctué de dissonances, mais jamais dans le chaos du free-jazz.
Vijay Iver n’est pas venu sur scène uniquement avec un piano. Il jouait aussi du piano électrique avec beaucoup de réverbération et une multitude de mini-claviers et séquenceurs, qui nous amenaient dans d’autres dimensions. Iver est un pianiste plutôt cérébral, mais il sait aussi tirer des émotions de ses notes. Avec quelques solos très originaux et une pièce ou j’avais l’impression d’écouter du Stockhausen.
Quant à Wadada Leo Smith, il arrive toujours à tisser une toile bien personnelle, malgré son âge avancé. Sa trompette peut nous plonger dans un brouillard pour ensuite en faire sortir des notes claires et ensoleillées. Certes, il n’est plus au sommet de sa forme, mais sa grande connaissance des musiques en tous genres compense largement. Il est un monument de liberté musicale. Et la juxtaposition de son intelligence à celle, totalement différente, de Vijay Iver, fonctionne à merveille.
Les deux complices sont restés totalement silencieux pendant près de quatre-vingt-dix minutes. Par la suite, il se sont levés et nous ont parlé pendant plusieurs minutes.
« La connaissance est une chose, l’émotion (feeling) en est une autre. Sans la seconde, la première est inutile », nous a confié le trompettiste. De son côté, Vijay Iver s’est aventuré, très timidement, sur le terrain politique, en liant le titre du dernier album Defiant Life, à la situation politique aux États-Unis. Mais c’était elliptique : « vivre, c’est défier ».
Il était assez clair pour les spectateurs du Gésu, très largement rempli, que la musique parlait pour les mots.
C’était un concert exigeant, mais satisfaisant au cube pour les amateurs.