2021 a été une année riche en production vidéo, malgré les circonstances. Les réalisateurs ont souvent fait preuve d’inventivité et d’audace afin de pouvoir présenter un clip original en dépit des contraintes. Quant aux artistes, ce fut pour eux une occasion supplémentaire de se maintenir dans l’œil du public; on pourrait même dire que le clip est devenu depuis le début de la pandémie un outil plus qu’essentiel. PAN M 360 en a sélectionné 21 qui ont marqué l’année, pour des raisons esthétiques, éthiques ou parce qu’ils sont tout simplement agréables à visionner.
L’équipe de Pan M 360
Lil Nas X
Montero
À première vue, Montero n’est pas subtil : c’est un clip vulgaire, provocant et polarisant. Pourtant, ce sont aussi les forces de cette vidéo. Il s’agit d’un voyage dans l’univers imaginaire du rappeur queer. Le chanteur se promène dans un monde fantastique, embrasse un extra-terrestre et… exécute une danse érotique pour Satan lui-même. Cette méthode grossière est un atout pour Lil Nas X, qui utilise sa vulgarité comme critique d’une société parfois trop propre, puis entoure cette critique d’un univers visuel tout en couleur. Exigeant une certaine notion du second degré, Montero est un clip hautement amusant. (Louis Garneau-Pilon)
Bon enfant
Porcelaine
Voici un clip où, outre quelques déflagrations ici et là, le spectaculaire se trouve dans les détails : ouvrez l’œil, musicophiles, mettez ça en plein écran sur votre télé 396 pouces! La famille reconstituée rock-pop-discoïsante Bon Enfant nous ramène à l’église, celle de la paroisse Saint-Pierre-Apôtre dans l’arrondissement Ville-Marie. Le réalisateur-monteur David Bourbonnais et le directeur photo Nathan B. Foisy en mettent à profit les vitraux, chaire et autres éléments et ornements architecturaux. La célébrante Daphné Brissette et ses ouailles Guillaume Chiasson, Étienne Côté, Mélissa Fortin et Alex Burger dansent, se détendent et touchent l’orgue Casavant sous les arcades néo-gothiques, vêtus de blanc comme pour un mariage non consommé. Puis, on se retrouve en forêt avec un cheval, Alex Burger tire d’une urne quelque chose qui ressemble à un cœur de veau. C’est catholique, c’est païen, c’est top. (Luc Marchessault)
Bomba Estéreo
Agua
Les monarques colombiens de la nueva cumbia ont réalisé plusieurs superbes vidéos pour leur album Deja, paru en 2021, en s’imprégnant de la luxuriante nature locale. Leur meilleur est la vision panoramique de Agua, un titre phare de l’album. Seule dans la jungle, la chanteuse Liliane Saumet s’imprègne d’un cocktail mystique et s’éveille à une communion avec les esprits sacrés, sous la forme d’une fête de costumes floraux. (Rupert Bottenberg)
Nimco Happy
Isii Nafti
Un titre sorti il y a déjà quelques années en Somalie et habituellement joué lors des cérémonies de mariage, mais qui a connu un succès international en 2021. Nimco Elmi Ali chante une ode à l’amour en quatre langues: le somali, l’anglais, l’arabe et le swahili. Isii Nafti a été partagé sur les réseaux sociaux par des personnalités africaines-américaines comme Cardi B ou Trevor Noah, qui ont implicitement joué de leur notoriété pour mettre la lumière sur cette artiste méconnue outre-atlantique. Cette effervescence sur le Web fut une belle façon de rétribuer tous les honneurs à une femme somalienne, ainsi qu’à tout un pan de la culture africaine, longtemps – et encore – ignorée par les médias de masse occidentaux (Salima Bouaraour)
Marie-Gold
C’est qui le boss?
« C’est qui le boss ? » demande Marie-Gold la chef de troupe. « Marie ! », répondent en chœur les six scouts qui l’accompagnent. Avec ce clip, la rappeuse nous propose sa vision du power trip, avec ses propres symboles de réussite : ici on ne vend pas de la drogue, mais des biscuits préparés avec entrain par des grands-mères scoutes, et l’alcool est remplacé par des verres de lait. Mais rassurez-vous, l’histoire finit toujours de la même manière : l’argent va dans les poches du boss. Marie-Gold profite de l’apport pour devenir propriétaire de ce qui semble être une clé de la ville (celle de Baveuse City, suppose-t-on). Histoire à suivre en février 2022. (Elsa Fortant)
Little Simz ft. Obongjayar
Point & Kill
Pour aimer un clip il faut aussi, a priori, aimer la chanson. Et ici, on a droit à non seulement une superbe pièce tirée du dernier album de l’artiste britannique d’origine nigériane Little Simz, Sometimes I Might Be Introvert (qui s’est facilement glissé dans notre Top 100 de l’année), mais aussi à un clip remarquable. Dans les quelque cinq minutes que dure Point & Kill, le réalisateur et photographe Ebeneza Blanche (Elle, Harper’s Bazaar, Nike…) nous emmène à Lagos avec Little Simz et Obongjayar, un autre artiste britannique d’origine nigériane. En incorporant des images souvent fixes ou ralenties, proches d’une photographie aux couleurs très prononcées, le clip passe de la légèreté à un territoire beaucoup plus politique, mais toujours de manière très artistique. Point & Kill est une expérience visuelle et sonore qui célèbre avec style la culture nigériane, une œuvre léchée à l’esthétisme irréprochable. (Patrick Baillargeon)
Bruce Liu
Finale, 18e Concours Chopin, Varsovie
Un an après son report causé par la pandémie, la dix-huitième édition du Concours international Frédéric Chopin s’est tenue à Varsovie, du 2 au 23 octobre 2021, après des rondes préliminaires en juillet. Pour celles et ceux qui n’ont pas été en mesure d’assister au déroulement de la compétition, l’enregistrement vidéo de la prestation finale de Bruce Liu, premier Canadien à remporter le premier prix, est à ne pas manquer. Bruce Liu a été encensé par la critique pour son jeu très personnel. Cet extrait illustre l’agilité du doigté, l’intelligence des lignes et la présence du jeu scénique de celui qui s’annonce comme la prochaine coqueluche de la planète pianistique. (Alexandre Villemaire)
BADBADNOTGOOD
Timid, Intimidating
Il y a un air de nostalgie dans ce morceau des innovateurs jazz torontois BADBADNOTGOOD, et il est parfaitement assorti à la technique fascinante du réalisateur Winston Hacking. Celui qui nous a gratifié de superbes clips pour Flying Lotus, Run The Jewels et Andy Shauf intègre des images trouvées dans des décors naturels, jouant avec la congruence et le contraste, tout en faisant allusion à un sens du tangible qui s’estompe à l’ère du numérique, un sentiment évoqué par un filtre de film 8mm usé par le temps. (Rupert Bottenberg)
Morly
Eliogy
Publié au cours de l’été 2021, ‘Til I Start Speaking est le premier album complet de la jeune chanteuse américaine Kate Morley. Ses ballades subtilement arrangées et influencées par le folk, la soul, le jazz et l’électro sont bien servies par une interprétation à fleur de peau. Composée à la suite d’une rupture amoureuse, Eliogy porte les marques de la douleur, celle que l’on ressent et celle que l’on fait ressentir à la personne que l’on quitte. Le clip qui accompagne cette chanson est remarquable. Afin d’illustrer son propos, Morly déroule un ruban se trouvant à l’intérieur de sa bouche. Péniblement, les mots sortent un à un, laissant leurs marques sur les lèvres fendillées de la chanteuse. (Steve Naud)
Salvatore Ganacci
Fight Dirty
Après un certain nombre de vidéos impressionnantes dans un mode surréaliste et pince-sans-rire, le DJ suédois Salvatore Ganacci change de vitesse et fait appel aux studios d’animation Goono et Truba pour fabriquer un hommage explosif et hilarant aux animations et aux jeux vidéo japonais. Une jeune fille fougueuse et son redoutable ami, une énorme main désincarnée, affrontent leurs ennemis. La bagarre qui s’ensuit est un montage étourdissant et anarchique. (Rupert Bottenberg)
Snapped Ankles
The Evidence
Le groupe britannique Snapped Ankles a présenté en juillet dernier un nouvel album, son troisième, judicieusement intitulé Forest of Your Problems. Si vous ne les connaissez pas, la légende veut que les Snapped Ankles soient des hommes sauvages des bois, vivant dans les branches et ressemblant à un tas de feuilles ou à des buissons, qui sont descendus de leurs arbres pour jouer un post-punk komische dansant avec un mélange de synthétiseurs, de guitares et d’instrumentation fourragère. La vidéo psychédélique de Daisy Dickinson nous présente, en plusieurs vignettes, toute l’équipe des Snapped Ankles – The Business Imp, The Cornucopian, The Nemophile et The Protester – en train de chanter et de danser dans les forêts du Sussex. (Patrick Baillargeon)
L’Impératrice
Hématome
Les résultats sont arrivés et le diagnostic d’Hématome, du groupe électro sophistiqué français L’Impératrice, est la cardiomyopathie takotsubo, également appelée « syndrome du cœur brisé ». Habilement réalisée par Roxane Lumeret et Jocelyn Charles pour le Studio Remembers, la vidéo est un conte de fées animé qui illustre la peine d’amour d’une manière étrange et déroutante. (Rupert Bottenberg)
Hot Garbage
Sometimes I Go Down
Les couleurs règnent dans cette vidéo. On y voit quatre tableaux récurrents, chacun comportant sa propre ambiance, comme si Wes Anderson avait réalisé un exploitation film des années 70. Deux des tableaux nous montrent des détectives privés qui parlent au téléphone avec les personnages des autres tableaux; un autre nous montre un homme qui s’empiffre en parlant lui aussi au téléphone; dans le dernier, une femme lit des cartes de tarot, combiné rétro à la main. Tandis que les guitares fuzzy de Hot Garbage inondent les images, les personnages disparaissent; une entité s’empare de chacun des tableaux. Voici un clip à budget restreint qui porte un récit fragmenté… et retient notre attention. (Stephan Boissoneault)
Kyary Pamyu Pamyu
Dodonpa (vidéo avec paroles)
Les clips où défilent les paroles d’une chanson sont habituellement des trucs bon marché qui nous font patienter jusqu’à la sortie du clip « officiel ». Ou alors une sorte d’appât peu coûteux visant à hisser une pièce dans les palmarès. Or, il arrive parfois que ces « vidéos avec paroles » se suffisent à elles-mêmes. Ainsi, les collages animés des chansons de l’album Their Satanic Majesties Request des Stones étaient très réussis, tout comme l’est l’avalanche de surcharges optiques de Dodonpa, une cavalcade effrénée même selon les standards survitaminés de cette enchanteresse de la j-pop. (Rupert Bottenberg)
Lingua Ignota
Pennsylvania Furnace
Sur le long plan fixe d’une nature florissante, Kristin Hayter, alias Lingua Ignota, apparaît et disparaît, tantôt prostrée, tantôt inquisitrice, cherchant les voies de la réparation. Or, ce chemin signifie la rupture, si ce n’est la mort. « And all that I’ve learned is everything burns », chante-t-elle avec dépit, alors qu’une fumée rouge enveloppe des lieux déserts, pâturages et maisons. Ses rituels de purification se muent ainsi en aveux de capitulation. Premier extrait de l’album Sinner Get Ready, la poignante Pennsylvania Furnace en constitue aussi la quatrième pièce. Ce clip a été entièrement dirigé, conçu et monté par Hayter. (Geneviève Gendreau)
Sarah Aristidou
Æther
Tourné dans une sorte de monochrome gris-bleu, les paysages désolés du clip accompagnant la sortie de l’excellent album Aether de la soprano Sarah Aristidou sont à l’unisson d’Un grand sommeil noir d’Edgard Varèse, pièce peu jouée mais d’une rare intensité dramatique et suggestive. On y voit ce qui nous habite avec le plus de force : paysage onirique? Mystère éveillé? Ravages des changements climatiques? Décor exoplanétaire? Superbe. (Frédéric Cardin)
URUBU
Recorded/VR01
Bienvenue dans l’univers parallèle de Vertige Records! Derrière la caméra on retrouve Adrien Taret, jeune réalisateur-monteur prometteur à qui on doit les clips du collectif (URUBU, MELVIN, MOLZK). L’équipe prend un malin plaisir à se réapproprier les codes esthétiques des années 1990 : posters de Blade collés au mur, lunettes de vitesse, références au gaming et couleurs flashy. On suit la journée de Vinz, amateur de « technoboxe », dont l’assistant filme les moindres mouvements, jusqu’à un combat, dans une cave, contre son némésis… (Elsa Fortant)
Hayden Pedigo
Letting Go
Pendant un peu plus d’une semaine, le réalisateur Rocco Rivetti et le directeur photo Gilles O’Kane ont filmé le clip Letting Go à Lubbock, Texas. Au montage, l’artiste Shonray Nichols a ajouté l’animation – à main levée – de la transformation du personnage incarné par Pedigo. Voici ce que Rivetti avait à nous dire à propos du clip : « J’ai écrit un scénario simple où le personnage de la pochette de l’album – un homme peint de façon macabre – se tient devant une brasserie, brûle tout ce qu’il possède, puis retourne au ciel sous forme d’ange. Je me suis inspiré du livre Paradise Lost de William Blake, ainsi que du paganisme des premiers groupes de black métal norvégien. Des concepts comme l’espoir ravivé, la transmutation par le feu, ainsi que la déchéance et la rédemption me semblaient correspondre à la musique. Le but était de prendre ce personnage, qui peut être perçu comme ridicule, et de le traiter avec le respect et l’humanisme dont témoignent toutes les pièces de l’album. » (Isabelle Marceau)
A Place to Bury Strangers
End Of the Night
Compte tenu des maints changements de personnel qu’a subi A Place to Bury Strangers de 2018 à 2020, les fans ne savaient plus trop à quoi s’en tenir. Or, le leader Oliver Ackermann a rappliqué avec un duo d’époux musiciens et un clip, à la fin de 2021. Cette vidéo n’est guère qu’une prestation live du simple End Of the Night, à laquelle on a superposé des bizarreries hallucinogènes. Oliver Ackermann crée d’abord un motif au synthé, puis le bassiste démolit celui-ci d’un coup de basse. Ensuite, des corps et des têtes se mettent à virevolter à l’écran, tandis que la distorsion submerge tout. Du rock grinçant et très punk. (Stephan Boissoneault)
Kee Avil
See My Shadow
Musicalement, See My Shadow peut évoquer Diamanda Galás et Laurie Anderson qui dînent chez Lydia Lunch, ou alors Xarah Dion et Lana Del Rabies qui jamment sur le thème d’American Horror Story. Visuellement, on se demande si l’héroïne se couvre le visage de papier mâché, de latex, d’argile ou de chair humaine. Ce clip de Kee Avil – Vicky Mettler dans la vie quotidienne – nous fait donc songer à un trio de films d’épouvante : Les yeux sans visage, Massacre à la tronçonneuse et Goodnight Mommy. See My Shadow est un avant-goût de l’album Crease, que lancera Kee Avil le 11 mars 2022. (Luc Marchessault)
Shortparis
Говорит Москва (Govorit Moskva)
Deuxième simple du nouvel album Yablonnyj Sad, Govorit Moskva – qui peut se traduire par « Moscou parle » – s’avère un solide réquisitoire musical et visuel. Mis en ligne le 1er mai dernier pour la Fête du printemps et du travail, ce vidéo savamment orchestré et interprété met en scène parade et parcours d’entraînement militaire, manifestation et procession. Comme toujours, la chorégraphie est inventive, cette fois faite d’une succession de plans séquences, nous rendant partie prenante de ce défilé en dents de scie. Véritable force intranquille, Shortparis repose sur une inextinguible résolution que Nikolay Komyagin exemplifie à lui seul, avec une voix et une présence à qui rien n’échappe. (Geneviève Gendreau)