FAI 2025 | Le Portugal comme vous ne l’avez jamais entendu

par Michel Labrecque

Pour la 37ème édition du Folk Alliance International, une grand-messe du folk international tenue à Montréal cette année, une nouvelle vague de alt folk portugais a déferlé. En attendant de les accueillir sur les scènes d’ici, Michel Labrecque est allé à leur rencontre.

Quand on associe musique et Portugal, on pense immédiatement au fado, ces complaintes qui déchirent les âmes et les cœurs. Le genre a ses adeptes et il existe du très bon fado. Mais j’ai découvert cette semaine que la musique folk portugaise était beaucoup plus riche et qu’un groupe de musiciens portugais actualise, voire réinvente ce genre.

Je ne m’attendais pas à parler aussi rapidement de politique dans mes rencontres avec ces artistes, qui sont mis en vedette dans le cadre du Folk Alliance International de cette année.

« Tu dois comprendre que, pendant les années de dictature, les dirigeants n’aimaient pas le folklore, souvent très percussif, qui galvanisait les citoyens », me raconte l’autrice-compositrice Joana Alegre.

« Ils préféraient le fado, qui était plus individualiste que collectif et je pense qu’encore aujourd’hui le Portugal en porte la trace. 

Le Portugal a été une dictature de 1926 à 1974. Il a commémoré l’an dernier le cinquantenaire de son retour à la démocratie.

Joana Alegre a fait paraître en 2024 Luas, un album de folk-pop lumineux qui incarne tout-à-fait cette nouvelle vague. On y entend des effets électro mais aussi des instruments traditionnels portugais qui fusionnent avec de très riches harmonies vocales. « Je suis entre différents genres et ça me plait », dit la jeune femme qui a une formation en classique et en jazz. 

Le petit Portugal compte une somme faramineuse d’instruments traditionnels. À commencer par ces guitares très particulières, appelées « violas ». Elles ont entre quatre et dix-huit cordes, ont des tailles différentes, elles ont une sonorité très particulière. Il y a la viola braguesa, la campanica, la de arame, et plusieurs autres, sans compter le cavaquinho, qui existe aussi au Brésil et qui, en Hawaï est devenu le ukulele.

« Je ne connaissais absolument rien de toutes ces guitares, me dit O Gajo, de son vrai nom João Morais. « Puis un jour, j’ai découvert ce son et j’en suis tombé amoureux ». O Gajo est une sorte de Bob Dylan à l’envers : ancien rocker et punk dans de nombreux groupes, il a délaissé et vendu ses guitares électriques au profit des violas de son pays. Ai-je besoin de vous rappeler l’histoire de Bob Dylan, qui s’est fait huer en 1965 au festival folk de Newport pour avoir adopté la guitare électrique. Très bien racontée dans le récent film  A Complete Unknown .

Depuis sa conversion acoustique, O Gajo s’est lancé dans une odyssée qui vise à pousser sa viola vers des zones inédites. Dans certaines pièces, on se croirait presque dans un raga indien. Dans d’autres, on sent encore le souffle du rock, incarné sur un mode acoustique. Dans son dernier opus, Terra Livre (2024), O Gajo dialogue avec Ricardo Vignini, un Brésilien qui joue de la viola caipirinha, la cousine brésilienne de la viola portugaise. Cela donne une longue introspection passionnante entre deux lusophones de chaque côté de l’Atlantique, qui fusionnent musicalement.

« Il faut savoir que ces instruments ont failli disparaître », lance Antonio Bexiga, alias Tó-Zé (à droite sur la photo), du groupe RAIA, lors d’un atelier-conférence sur ces « cordophones », le nom générique qu’on donne à ces violas traditionnelles. « Plus personne ne s’intéressait à ces instruments ». Seule la viola braguesa était encore jouée sous les années de la dictature.

RAIA, tout comme Bicho Carpintero, sont d’autres groupes qui amènent les traditions dans de nouveaux territoires, mélangeant les genres et les influences. Le Portugal est le pays invité cette année par l’organisation Folk Alliance international. Ce qui nous permet de découvrir ses musiques d’une qualité impressionnante. 


« C’est véritablement une nouvelle scène portugaise et ces artistes ont tendance à collaborer entre eux ce qui enrichit le tout »,me raconte Nuno Saraiva, (voir photo ci-dessus) un Canadien-Portugais qui a travaillé pour monter cette mission musicale à l’étranger. Lui-même est un musicien et joue dans le groupe Lusitanian Ghosts, un OVNI musical folk-rock, qui chante en anglais tout en utilisant des guitares traditionnelles portugaises.

Il faut également parler de Retimbrar, un groupe percussif et ludique de Porto (voir photo ci-dessous). Ils sont huit, deux femmes et six hommes, dont six chantent parfois de façon polyphonique. Avec une ribambelle d’instruments de percussions, des petites castagnettes à l’énorme tambour. Et ça déménage furieusement, comme ils l’ont démontré sur une scène privée de Folk Alliance. S’ajoutent aux instruments traditionnels des claviers et des guitares électriques.

Je vous dis: on trouve beaucoup d’innovation dans cette mouvance alt folk portugais.

Je termine avec trois autres innovateurs dans les extrêmes du genre. 
João Diogo Leitao est un guitariste classique qui s’est réinventé en écrivant des compositions pour viola portugaise. Son album Por Onde Fica a Primavera (2020) est un bijoux de folk méditatif et complexe, avec des compositions raffinées, qui montrent la formation classique du guitariste. Souvent la guitare est réverbérée, ce qui nous amène directement dans la stratosphère…

Marta Pereira Da Costa est la Pat Metheny du fado. La première femme du Portugal à devenir une guitariste d’accompagnement pour les chanteurs de Fado, elle a choisi d’élargir son répertoire instrumental en s’inspirant du jazz, des musiques brésiliennes et latines. Sa dernière offrande, Sem Palavras (2024) constitue un dialogue très riche avec le pianiste d’origine cubaine Ivan Melon Lewis. Marta Pereira Costa joue de la guitare portugaise, un instrument différent des violas dont nous avons parlé plus haut.


Finalement, un autre OVNI: Omiri (voir photo ci-dessus). De son vrai nom Vasco Ribeiro Casais, est à la fois un DJ et un ethnologue. Il se déplace dans les campagnes pour recueillir des chants et des instruments traditionnels et filmer les gens.  Puis, il échantillonne tout ce matériel et compose des rythmiques et mélodies. Par la suite, il joue des instruments en direct, alors qu’on voit derrière des vidéos qui correspondent aux échantillonnages effectués. Souvent, ses instruments traditionnels sont électrifiés. Vachement ludique !

J’ai découvert ces artistes avec un grand bonheur. J’espère qu’on pourra les revoir bientôt en concert sur nos terres. Obrigado por ler. Merci de me lire. 


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