La plateforme PAN M 360 est née de la crise des médias dont il est question dans l’actualité cet automne. Les coupes drastiques de la télévision traditionnelle (TVA) et les coupes récentes de CBC/Radio-Canada nous remettent sur le nez cette crise amorcée depuis trop longtemps déjà. C’est pourquoi nous réfléchissons très fort à un avenir plus radieux que celui qui s’offre à nous… sans solutions viables.
Professionnel du développement stratégique des grands médias depuis les années 80, notre collaborateur Luc Tremblay s’est joint à PAN M 360 pour participer avec nous au chantier des nouvelles plateformes de référence. Il suggère ici une série de réflexions sur l’actuelle crise des médias.
Alors que s’ouvre la saison de ski alpin, la crise des médias nous donne l’impression d’être à mi-pente d’une piste triple losange noir pour laquelle nous n’avons pas le niveau, entraînés par la force de gravité à travers des bosses, des sous-bois et des plaques de glace qui rendent notre descente douloureuse. On se doute bien que la succession de chutes et de blessures ne se terminera pas entre amis pour un 5@7 au chalet de la montagne.
Les analystes répètent ad nauseam que la crise actuelle est sans précédent. Amorcée voilà plus de 20 ans, la disruption numérique est une folle descente dont on ne voit pas encore la fin. L’adaptation, la transformation inévitable de cette industrie, lieu de production culturelle et d’information, exigera de ses acteurs une déconstruction complète des paradigmes qui l’ont régi jusqu’aux premiers chocs des années 2000.
L’industrie musicale: le canari.
L’industrie musicale a été la première à subir les coups de boutoir de cette révolution. Les plateformes d’écoute en continu par abonnement, Spotify, Apple Music, YouTube, Deezer, ont semblé au départ offrir une approche qui pourrait protéger les artistes du téléchargement illégal en leur offrant rétribution au prorata des “plays”. Nous avons vite déchanté : aujourd’hui, seuls les artistes internationaux qu’on qualifie de “blockbusters” tirent leur épingle du jeu et encaissent des revenus substantiels pour leur écoute sur ces plateformes.
Bien sûr, l’industrie s’est adaptée. On a assisté à un transfert spectaculaire: la musique produite en studio a vu sa valeur se diviser par dix, sinon plus, et celle présentée sur scène a effectué un mouvement inverse chez ses artistes les plus populaires. Aujourd’hui, il y a toujours beaucoup d’argent dans l’industrie musicale, les superstars ne s’en sortent pas mal du tout, merci, mais ce sont les artistes nichés, immensément majoritaires, qui ont écopé.
La niche prenant ici un sens large: au-delà des standards de la pop beyoncienne, tout artiste ou presque reçoit ce qualificatif et surtout la maigre rémunération qui y est associée! Le monde de la musique se cristallise dans un nouveau modèle qui profite aux blockbusters et où la majorité des artistes souffrent.
Pour nourrir le débat actuel, il serait à propos de se souvenir que cette structure a émergé dans un contexte de panique, pour éviter que les médias affolés ne répètent les erreurs commises en musique. En quelques années, les “majors” de la musique ont signé des ententes à rabais avec les plateformes de streaming pour se sortir du piratage qui avait cours et sécuriser leur position au détriment de celle des artistes dont ils gèrent les répertoires.
Les autres pans de l’industrie médiatique et culturelle regardaient ce qui passait avec la musique en voulant croire que le phénomène ne les menacerait pas. C’était oublier que ce qui pouvait être dématérialisé le serait forcément.
La musique était aspirée par la numérisation de ses productions et la déconstruction de ses canaux de distribution, la presse écrite suivait pas très loin derrière. En quinze ans, le secteur canadien de la presse écrite a vu ses revenus passer de près de 4 milliards de dollars à quelques centaines de millions.
Beaucoup plus lourde à numériser et surtout à distribuer, la télévision linéaire a commencé à subir le même traumatisme au début des années 2010. Le tout a été amplifié exponentiellement par les médias sociaux, qui déterminent de nombreuses variables de la crise.
Cette transition s’accélère et bientôt se conclura par la marginalisation des médias traditionnels. L’exemple de la diffusion sur Facebook de l’hommage à Karl Tremblay, décision prise de bonne foi, dans l’esprit d’une plus grande accessibilité, en est, chez nous, la plus récente démonstration.
Ralentir le choc pour permettre l’innovation.
La question de l’adaptation aux changements se pose en cette fin d’année avec une criante acuité. On verra ici une similitude entre la crise des médias et le réchauffement climatique.
La rapidité avec laquelle les changements climatiques se produisent empêchent les
écosystèmes de s’adapter. Idem pour l’écosystème médiatique. Les solutions que les analystes patentés et politiciens proposeront aujourd’hui seront demain des prothèses peu efficaces. Il faut ralentir le choc pour permettre la transition, pas revenir à 1993.
Alors devant l’ampleur de cette crise, il faut d’abord assumer l’inconfort qui accompagne les solutions à venir.
Faisons un peu de maths, les chiffres nous guident vers ce pragmatisme; au Canada 60% des dollars publicitaires sont maintenant investis dans le numérique et de ce 60%, 80% vont à Google et Meta. Il reste donc la moitié des dollars disponibles pour l’ensemble des médias du pays. Cette tendance s’alourdit depuis vingt ans et ne s’inversera pas.
Dans un tel contexte, les comportements compétitifs et les structures actuelles du marché ne peuvent être la réponse. La mise en commun des ressources pour ralentir la déconstruction et la recherche en innovation devient une évidence et cela sur tous les fronts: modèle de distribution, gestion des données usagers, offre publicitaires aux annonceurs, financement public de Radio-Canada et de la production privée, il faut tout revoir selon de nouveaux paradigmes.
Autrement, il n’en restera qu’un seul, comme le disait Sean Connery dans le film Highlander ce vieux sci-fi des années 80. L’atrophie sera progressive, les joueurs disparaîtront jusqu’à ce qu’il n’en reste, au mieux, que quelques-uns.
Ne serait-il pas plus stratégique de ne faire qu’un, d’unir véritablement les forces, encore considérables, des médias traditionnels, pour faire face à la menace et innover ?
Ce sont les avenues que nous explorons dans notre prochain épisode. Pour le lire, cliquez ICI