Affinités méconnues entre métal et classique / Musique savante souterraine ? (3)

par Laurent Bellemare

Les 29 et 30 janvier se tiennent les premières mondiales du programme Voïvod Symphonique, rare manifestation grand public juxtaposant la “grande  culture “ classique avec le monde souterrain du métal. Pourtant, nombreux sont les liens qui unissent ces deux traditions européennes, tant par leur musique que par leur histoire. Néanmoins, ce rapprochement reste méconnu, même chez les plus érudits, notamment chez les musiciens d’orchestre sauf exceptions. Pour démystifier le contexte duquel culmine cette collaboration hors du commun, notre collaborateur et musicologue Laurent Bellemare vous propose ici un brillant survol comparatif des similitudes entre ces deux univers. Voici la troisième partie de cet excellent dossier.

Musique savante souterraine ?

Pour Pascal Germain-Berardi, le changement des références utilisées dans le métal est aussi un miroir de ce qui est perçu comme classique dans la société. 

Si à une certaine époque, le classique signifiait Bach, Mozart, Beethoven et consorts pour la majorité des gens, ce devait être également le cas pour la plupart des métalleux des années 80 et 90. Mais avec l’accessibilité croissante de la musique sur le web, “ l’omnivorisme” musical des nouvelles générations et aussi l’éducation institutionnelle de nombreux musiciens métal, la connaissance du corpus classique s’est beaucoup approfondie. 

Au Québec, l’un des cas les plus évidents de ce nouveau paradigme est celui de Luc Lemay, guitariste fondateur de Gorguts qui a fait son conservatoire en interprétation (alto) à l’époque de la composition d’Obscura (sorti en 1998, mais composé en 1994). Cet album mythique était un exercice de style renversant complètement les clichés du death metal de l’époque, épurant tremolo picking, power chords et rythmes de thrash metal au profit d’harmonies dissonantes, de formes labyrinthiques et d’exploration des techniques étendues.

Luc Lemay a souvent indiqué qu’il voyait peu de différences entre composer du métal et de la musique de chambre, mis à part l’amplification et la distorsion des timbres. Cette approche a d’ailleurs laissé une trace indélébile sur les courants les plus extrêmes du métal d’aujourd’hui. Pensons ici à Deathspell Omega (France), à Imperial Triumphant (États-Unis) ou encore à Ad Nauseaum (Italie).

Germain-Berardi abonde en ce sens : 

« … que je compose pour quatuor à cordes ou guitare, basse et drum ou orchestre, la musique reste une forme d’énergie. […] Le geste de composition ne change pas vraiment entre l’un ou l’autre ».

Les spectateurs de la dernière édition du festival FIMAV auront pu le constater en entendant Basileus, une œuvre orchestrale de plus d’une heure, dont le langage est un véritable hybride entre les traditions classiques et métal. Le Canadien Harry Stafylakis et l’Autrichien Bernhard Gander sont deux autres figures émergentes de cette esthétique hybride en musique contemporaine. 

Vers un académisme du métal

Les férus de métal ont toujours formé  une communauté valorisant les connaissances, une curiosité qui a entre autres donné naissance à l’impressionnante base de données Encyclopedia Metallum, fondée au Québec en 2002 et gérée depuis par les fans. 

C’est certainement une telle curiosité pour la découverte qui pousse de plus en plus de métalleux à poursuivre de hautes études en musique. Il n’est plus rare aujourd’hui de rencontrer des interprètes classiques ayant fait leurs dents avec le métal, ou encore des improvisateurs jazz en pâmoison devant la complexité  polyrythmique de Meshuggah.

C’est avec l’objectif avoué de faire du métal que David Therrien Brongo dit s’être inscrit en classique au cégep plutôt qu’en jazz/pop: « Je me suis dit que j’allais être plus proche de ce que je veux faire qu’en batterie jazz. Je sentais que j’étais plus proche en musique classique. Il y avait plus de similitudes. »

Le lien avec le jazz, issu d’une culture davantage axée sur l’improvisation et les formes musicales plus libres, est effectivement moins évident. En revanche, le métal est aussi une forme née d’un contexte relativement défavorisé s’étant sophistiqué à une vitesse remarquable. Comme le jazz, on pourrait bientôt imaginer des programmes en métal s’institutionnaliser, et cela s’observe en temps réel dans certaines institutions à travers le monde (ex : Metal Factory, aux Pays-Bas).

À suivre:  Le diable est dans les détails

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