Depuis quelques années, on assiste à la renaissance de fières identités autochtones au Canada. Cette renaissance est assortie d’une créativité artistique contemporaine, jamais observée à ce point dans l’espace public depuis que les peuples autochtones ont été la proie des pouvoirs coloniaux.
Nous sommes en 2022, et ce vendredi 30 septembre sera la Journée nationale de la vérité et de la réconciliation et c’est pourquoi, dimanche dernier à la Maison symphonique, l’Orchestre Métropolitain sous la direction de Yannick Nézet-Séguin a voulu marquer le coup en invitant l’autrice-compositrice-interprète inuite Elisapie et sa collègue Sylvia Cloutier à mettre sur pied une œuvre composite, soit l’insertion de deux chansons originales interprétées en inuktitut, assorties de chants de gorge et de percussions traditionnelles.
Autour de ces chansons folk et de cette tradition inuite, les arrangeurs et compositeurs François Vallières et Jean-François Williams ont imaginé des compléments orchestraux bien sentis.
Quel en était le véritable potentiel?
Avant de se prononcer du haut d’une connaissance occidentale, on doit comprendre sur quoi se fonde la musique traditionnelle inuite, monodique et de transmission orale. D’un point de vue rythmique, les tambours autochtones du Grand Nord reproduisent la pulsation universelle du battement cardiaque, ou autre rythme binaire extrêmement simple. Quant au chant de gorge, il faut rappeler qu’il s’agit plutôt d’un jeu que les ethnomusicologues ont inscrit, à tort ou à raison, dans le corpus musical traditionnel autochtone.
Que peut faire alors un arrangeur et compositeur pour orchestre symphonique avec une telle matière? Rien d’autre que d’inscrire un discours harmonique complémentaire qui n’existe pas dans la culture traditionnelle autochtone. Les propositions orchestrales s’inspirent ici de musique classique moderne (et consonante) et vont à la rencontre des chansons d’Elisapie, du tambour traditionnel inuit et du jeu de gorge. Il s’agit d’un dialogue entre deux cultures, s’y expriment respectueusement deux cultures, au grand bonheur des protagonistes de l’œuvre et du public qui ont chaudement ovationné cette exécution (un euphémisme), dimanche dernier à la Maison symphonique.
Ainsi donc, force est d’admettre que la connaissance acquise des créateurs.trices contemporains d’ascendance autochtone peut et doit puiser dans les formes non autochtones, occidentales ou autres, tout en y intégrant leurs éléments patrimoniaux. Sans se renier, c’est ce que font tant d’artistes issus des peuples pré-coloniaux d’Amérique, compositeurs « sérieux », expérimentaux ou songwriters de souche autochtone , c’est-à-dire qu’ils enrichissent sciemment leurs traditions de procédés non autochtones pour ainsi actualiser leurs formes dans un contexte contemporain.
Encore faut-il rappeler aux purs et durs de la musique classique occidentale que la « symphonisation » de formes populaires existe depuis les débuts du siècle précédent. Or, on sait que « l’ancien monde » de la musique classique blanche a longtemps méprisé ces formes où les airs connus se fondent dans les musiques orchestrales d’inspiration romantique, post-romantique ou moderne. Le simple fait que ces airs fussent prisés des grands publics ignorants du corpus classique suffit aux mélomanes omnipotents pour en justifier le rejet lorsque ces airs sont rehaussés par des formes symphoniques.
Fort heureusement, nous n’en sommes plus là, à l’exception de quelques représentants (en voie d’extinction) de cette vision surannée d’une culture occidentale de tradition européenne au sommet de la musique mondiale.