La transcendance au féminin. Electric Fields met en scène la soprano et hyper artiste canadienne Barbara Hannigan, les pianistes bien connues Katia et Marielle Labèque, ainsi qu’un artiste français, compositeur et ingénieur sonore, David Chalmin. D’une manière ou d’une autre, toutes les pièces présentées sur cet album sont liées à des femmes. Pour la majorité d’entre elles, la mystique médiévale Hildegarde de Bingen (1098-1179), et pour quelques autres titres, les Italiennes baroques Barbara Strozzi et Francesca Caccini. Les deux premières plages (un arrangement pour soprano et électronique planante de O virga mediatrix, de Hildegarde, et une composition instrumentale dérivée, pour deux pianos et électronique) nous plongent dans une atmosphère contemplative douce et apaisante, avant de passer à quelque chose de plus agité, Che t’ho fatt’io? de Francesca Caccini, transformée en glitchs rythmiques et en glougloutements numérisés de la voix de Hannigan. Le tout se termine, abruptement, en méditation pianistique. Suit O orzchis Ecclesia de Bryce Dessner (du groupe alt-rock The National, mais aussi compositeur classique), très jolie envolée lyrique basée sur un texte de Hildegarde écrit dans une langue inventée (par elle). Du post-minimalisme séduisant, bien que parcouru de dérangements dynamiques et harmoniques qu’on ne devine pas au début de l’œuvre et qui créent une intéressante dramaturgie narrative de quelque six minutes.
Chalmin poursuit avec, lui aussi, une pièce inspirée d’un texte en langue inventée de Hildegarde, Lingua ignota. Ici, Hannigan chuchote sur un coussin électro doucereux, alors que les pianos des sœurs Labèque ajoutent une touche de perlage sonore impressionniste. Une improvisation collective sur une pièce de la géniale, et encore trop méconnue, Barbara Strozzi (1619-1677), Che si può fare?, enchaîne le programme. Atmosphère ambient initiale, rapidement parcourue de vocalises fantomatiques et traitées numériquement de Hannigan. La base harmonique se délite graduellement, atteignant parfois l’atonalité, et la pièce se teinte alors d’une calme mais intrigante étrangeté. On est ici plus résolument planté dans la musique contemporaine, mais sans être trop abrasif.
Chalmin ajoute son arrangement pour soprano et piano de la même pièce de Strozzi, dans une version plus proche de l’originale (vocalement parlant), à laquelle le piano apporte une touche de néoclassicisme très actuel, et surtout très accrocheur. Quelques couleurs électro frémissantes finissent de donner un caractère unique et séducteur à la pièce.
Pour l’avant dernière pièce, Bryce Dessner revient avec un autre hommage à Hildegarde, O nobilissima viriditas, où grâce au jeu de piano ondoyant et à la voix angélique de Hannigan, il lance la pièce de manière ensorcelante, avant de faire gonfler les vagues sonores et leur donner une puissance lyrique et dramatique impressionnante. Très très fort.
L’album se termine avec O vis aeternitatis de Hildegarde, dans un arrangement de Chalmin, où encore une fois, la voix de Barbara Hannigan, qui se répond à elle-même tels en échos numériques éthérés, flotte paisiblement sur des volutes délicats d’affleurements électroniques.
Pas toujours égal dans la stature créative, mais souvent envoûtant.