C’est apparemment un premier disque monographique pour la compositrice canadienne d’origine japonaise basée à Vancouver et qui est lauréate du Prix Jules-Léger de nouvelle musique de chambre de 2022. On a pu entendre ses Gargoyles In Love enregistrées par I Solisti Della Scala en 2018 sur leur disque « Octets », chez Warner. L’ensemble était alors dirigé par Andrea Vitello, le même qui dirige ici la quarantaine de musicien·nes de l’ensemble BIOS. La pièce titre remplit complètement l’album avec ses 53 minutes. Il s’agit d’une pièce en trois parties dont la première et la troisième sont des interprétations de la même partition, avec une soliste différentes, ce qui fait toute la différence. En fait, pas toute, puisqu’il faut bien dire que même s’il utilise la même partition, l’ensemble ne joue pas la même chose les deux fois. Les musicien·nes et le chef reçoivent des « instructions », de brèves indications mélodiques, des fragments harmoniques, etc. Ils/elles sont placé·es dans une situation de dépendance/indépendance, étant très libres de leur choix, mais devant néanmoins porter attention à ce que font leur collègues. Et c’est ici que l’importance de l’instrument placé en avant, en solo, prend toute son importance. La première partie a pour soliste Geling Jiang, qui joue du guzheng (ou cithare chinoise). Le son de l’instrument est dur et tout en attaques, ce qui conditionne en quelque sorte l’ensemble à répondre de la même manière. Cela donne une première partie passablement explosive (ce qui, par ailleurs, est tout à fait dans le thème – j’y reviendrai).
La reprise de cette même partition, en troisième partie, a pour soliste Naomi Sato au shō, cet orgue à bouche japonais au son délicat et souple. Vous pourriez avoir entendu la soliste en octobre 2022, lorsque l’Orchestre Métropolitain a donné en création la pièce de Rita Ueda Birds Calling… from the Canada in You, pour shō, suona/sheng et orchestre (une commande de la Fondation Azrieli). Il y a encore de la puissance qui se dégage de l’ensemble BIOS dans cette troisième partie, mais sans la violence du premier mouvement.
L’origine de l’œuvre est une demande qui a été faite à Rita Ueda de composer une pièce pour commémorer le 75e anniversaire du bombardement d’Hiroshima (6 août 1945). La compositrice a choisi de regarder vers l’avenir, plutôt que de ressasser le passé, et elle s’est demandée ce que l’on peut faire, individuellement, pour atteindre « la paix ». Ce qui l’a amené à se poser la question, sous-jacente au titre de l’œuvre : « Y a-t-il quelqu’un, dans un pays que je ne connais pas, qui vit la guerre, la famine ou un désastre environnemental à cause de moi ? ». C’est de là que naît l’idée d’une musique construite sur la collaboration entre les musicien·nes, qui sont libres dans leur choix, mais qui doivent interagir avec leurs collègues en respectant les leurs.
Au milieu de la pièce, c’est le tar, genre de guitare persane que joue Saeed Mirzazadeh, qui est soliste. Ce deuxième mouvement compte beaucoup de percussions ; dans le programme de la compositrice, après le chant de l’alouette du premier mouvement (que l’on n’entend pas parce qu’il est recouvert par le bruit des bombes), c’est le moment où le phénix descend aux enfers pour y mettre le feu avant de renaître de ses cendres. On comprend que les deux premières parties soient moins empreintes de sérénité que le mouvement final, dans lequel c’est la colombe qui propage son message de paix. Mais la compositrice est moins optimiste qu’on pourrait le croire… À la fin, la colombe se fait tirer dessus! Et la vie continue…