Les deux voix de Bells Larsen, ensemble pour une première et une dernière fois

Entrevue réalisée par Marilyn Bouchard
Genres et styles : indie folk / indie pop

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Après la sortie de Good Grief en 2022 et de son EP de 5 chansons If I was I am en 2023,  Bells Larsen nous revient avec Blurring Time. Un bel album de 9 chansons où le passé et le présent cohabitent, se tiraillant parfois, pour un instant qui n’existera jamais ailleurs que sur l’album. Une immortalisation d’un passage à travers l’art où l’artiste, alors dans un processus de transition, a voulu dire au revoir à son ancienne identité, comme un cadeau d’adieu, l’entremêlant avec son présent.

Une trame de voix pour les aigus par le « soi d’avant » et une pour les graves par le « soi du présent », après la prise de testostérone. En résulte un duo mélodieux et intime qui inscrit brillamment en musique, et dans l’histoire, cette période de changement qu’il a voulue empreinte de bienveillance plutôt que de tristesse. 

Les extraits 514-415, Blurring Time et Might font leurs chemins accompagnés par leurs vidéoclips et donnent tout de suite le ton de son folk doux et réconfortant avec une pointe de magie dans les arrangements, toujours avec un jeu de voix bien dosé.  Cette approche unique a d’ailleurs valu à l’artiste trans s’être fait refuser l’accès au territoire américain, où il devait se produire en concert, ce qui fut d’ailleurs médiatisé récemment.

Marilyn Bouchard a eu l’occasion de discuter avec Bells Larsen de son processus de création, des collaborateurs. trices sur l’album ainsi que de ses changements vécus et à venir, puisqu’ils ne sont jamais finis.

PAN M 360 : D’où t’es venue l’idée de faire cohabiter ta voix d’avant et ta voix du présent sur l’album?

Bells Larsen: En écrivant cet album, en l’espace d’un an, j’ai compris qui j’étais. J’ai écrit Blurring Time en premier et Might en dernier…mais en réalité elle aurait pu s’appeler I’m gonna » parce que ce n’était plus une possibilité rendu là c’était devenu une certitude. J’ai réalisé à ce moment-là qu’il fallait que je prenne certaines décisions pour être plus authentique par rapport à moi-même, comme par exemple commencer la testostérone. Ça a été vraiment difficile pour moi de savoir si je voulais capturer l’album avec ma vieille voix ou attendre après la transition et l’enregistrer seulement avec la nouvelle. Mais  quelque part c’était un peu inquiétant pour moi parce qu’il y avait une part d’incertitude là-dedans de ne pas savoir comment mon instrument serait modifié. Alors, par sécurité, je me suis dit que j’allais d’abord capturer avec ma vieille voix…et ensuite en réfléchissant au truc je me suis dit « tu sais quoi je pense pas que j’ai jamais vu quelqu’un qui fait un mélange de documentation sur sa transition de cette manière-là » et en même temps il y avait à ce moment-là un trend sur Tik Tok avec les duos où tout le monde faisait des duos avec une version modifiée d’eux-mêmes…je me suis dit que que ce serait un beau cadeau…d’adieu et de bienvenue à me faire.

PAN M 360 : Est-ce que, depuis ta nouvelle voix, cela t’emmène vers des inspirations sonores différentes, puisque ton instrument s’est modifié?

Bells Larsen : Oui tout-à-fait! Vraiment! C’est un peu comme apprendre le français : on a accès à pleins de nouvelles options qu’on avait pas avant! Ça me permet de comprendre et d’expérimenter avec mon instrument de manière nouvelle. Tout comme la langue française me permet d’aller chercher de nouvelles rimes avec lesquelles jouer, ma nouvelle voix me permet d’accéder à des tonalités auxquelles je n’avais pas accès avant.

PAN M 360 : Tu disais dans une entrevue que c’est un album qui est né plus de la nécessité que du choix? Pourquoi?

Bells Larsen : Je pense que c’était une nécessité pour mieux me comprendre. Ma relation avec mon identité, c’est pas une relation où c’est noir ou blanc…this or that…un ou l’autre. Même si je suis un gars, même si j’ai pris des décisions pour transitionner, j’emmène tellement de trucs avec moi de ma vieille version. Et je trouvais ça important que cet autre moi m’accompagne dans ma transition, non seulement avec la musique mais aussi pour le reste de ma vie. J’aurais pu juste enregistrer ma voix avant ou juste après ma transition,mais j’ai fait le choix musical des deux…dans la nécessité pour moi en tant que personne d’être en phase avec tout ce que je suis, étais, et serai.

PAN M 360 : On retrouve plusieurs lieux de Montréal dans tes textes : Outremont, le coin Clark/Duluth. Ton art est-il influencé par la ville où tu vis?

Bells Larsen : Oui c’est sûr! Montréal est tellement belle! C’est magnifique comme ville! Je partage mon temps entre Toronto et Montréal, et j’ai une amie qui vivait à Montréal et qui est repartie à Toronto qui me disait quelque chose comme : « Tsé Toronto tu vas là pour tes amis, tes connexions…c’est vraiment une ville sociale. Montréal, c’est une expérience… »,  et je n’aurais pas pu mieux dire. Montréal c’est une expérience où tous tes sens sont actifs. Montréal tu peux la sentir, la feeler, la goûter, la voir. Je me sens très inspiré comme artiste par Montréal, parce qu’elle est tellement artistique aussi comme ville.

PAN M 360 : Tu disais que la lentille avec laquelle on regardait le passé dans le cas d’une transition était souvent triste ou teintée de regrets mais que tu voulais plutôt faire de ce passage une célébration, remplie de bienveillance et de gratitude. Peux-tu nous expliquer ta vision?

Bells Larsen: Tout d’abord,  je mets vraiment l’emphase sur le fait que ça c’est ma perception à moi et mon vécu du truc mais je comprends tout-à-fait que certaines personnes auront besoin de vivre un deuil d’une manière qui leur est propre et qui peut parfois être plus triste,  ayant besoin de mettre la vieille version de soi de côté pour que la nouvelle puisse vraiment naître. Juste pour dire que tous les sentiments sont valides. J’ai grandi en regardant  l’émission canadienne Degrassi et j’ai aussi regardé plusieurs vidéos de coming-out, même avant de faire le mien, et dans beaucoup des représentations que je voyais… disons dans Degrassi quand il y avait une personne trans qui parlait, on voyait la vieille version de cette personne-là et il y avait beaucoup de musique triste en arrière, dans les coming-out vidéos sur YouTube il y avait pas forcément un ton triste mais…une dichotomie claire (que je comprends tout-à-fait)…donc au final c’était souvent plus mélancolique et je m’y retrouvais moins. C’était moins ma réalité puisqu’au départ, j’avais pensé que j’étais peut-être non-binaire…genre que j’étais un mélange. Comme j’ai dit dans la toune Blurring Time, j’ai pensé que j’étais « both and more » et maintenant je comprends que c’est plutôt un côté binaire où je tombe mais j’ai beaucoup de dualités, de complexité, d’influences qui cohabitent en moi et je ne pourrais pas être la personne que je suis maintenant sans toutes les versions de moi du passé. Alors c’est un peu ça que je voulais célébrer sur l’album et j’avais envie que ce soit une célébration douce pour les deux moi.

PAN M 360 : Les arrangements dans l’album sont minimalistes et épurés. Était-ce un choix pour laisser plus de place aux voix?

Bells Larsen : Oui exactement! Je voulais que les voix soient à l’avant-plan et d’un autre côté aussi… J’écris toute ma musique dans ma chambre, assis sur mon lit, c’est assez intime. Et j’adore tellement la qualité des mémos vocaux  au moment où la chanson vient juste d’être écrite. Je pense que je voulais aussi cette qualité d’intimité. Que quand quelqu’un écoute la musique il puisse sentir qu’il est à côté de moi maintenant…et à côté de moi avant. Que les deux versions de moi sont de chaque côté de l’auditeur.

PAN M 360 : Tu avais déjà travaillé avec Graham Ereaux pour Good Grief, qu’est-ce qui a été différent dans le processus de création cette fois-ci?

Bells Larsen : Honnêtement, je dirais qu’il y a eu des moments où ce n’était pas facile. C’est vraiment connecté avec ma santé mentale et aussi avec mon estime et ma confiance en moi. Avant j’étais vraiment « je suis flexible, i’m good to go with whatever » mais quand tu es plus sûr de ce que tu veux, de ce que sont tes limites et que tu es plus direct avec ça… C’est vraiment bon mais quand tu avais des relations qui existaient avec beaucoup de facilité, ça crée un contraste disons. Quand j’ai enregistré la voix haute, je n’avais pas encore commencé la testostérone et j’étais encore incertain…encore un peu timide. Puis, j’ai cultivé tellement d’amour propre et de compréhension de qui je suis dans l’intervalle, aussi grâce à une psy fantastique… Je savais beaucoup plus qui j’étais. Donc peut-être que ça pouvait être choquant pour certains. Et Graham est vraiment la personne la plus douce, ce n’est pas à propos de lui mais à propos du monde en général et de mon rapport à celui-ci qui a changé. J’ai perdu quelques liens dans le processus, par alignement, mais Graham n’est pas là-dedans!

PAN M 360 : Tu as également travaillé avec Georgia Harmer sur cet album, qui est une amie d’enfance, c’était comment?

Bells Larsen : C’était le truc le plus naturel du monde. Je suis à l’appartement de mes parents en ce moment et je vois la guitare qu’elle m’a donnée pour mon 18e anniversaire. Avec cette guitare, j’ai donné  tous mes premiers shows avec Georgia. J’ai plus ou moins une décennie d’expérience de travail avec elle, et la raison pour laquelle je suis allé la chercher pour ce projet-là, c’est parce qu’elle avait une relation vraiment intime avec ma voix d’avant.  Donc c’est sûr qu’elle va m’aider à accueillir la nouvelle. Et aussi c’est une musicienne tellement talentueuse, qui a une manière vraiment intéressante de penser  les harmonies. Elle entend les choses. Elle sait où en donner et où en enlever, comment créer des impacts…et je suis vraiment content d’être allé la chercher pour ça.

PAN M 360 : Le queer time est un sujet qui te fascine et qui t’a inspiré pour cet album. Veux-tu nous en parler un peu?

Bells Larsen : Je pense que le monde queer et trans vit l’expérience temporelle différemment que les personnes cisgenres ou straight,  principalement parce qu’on découvre un peu plus tard dans la vie. En tout cas, ça a été vrai pour moi puisque j’ai fait plusieurs coming-out – j’ai déjà identifié avec chacune des lettres dans l’acronyme LGBTQ-. J’ai 27 ans mais en même temps je me sens comme si j’avais 3 ans. J’apprends tout juste sur mes désirs, mes vœux, mes limites…puisque c’est juste maintenant que je peux cultiver et découvrir ça. J’ai d’autres amis de mon âge qui sont en train d’avoir des bébés. Une timeline queer c’est pas chronologique…mais c’est pas déchronologique non plus.  Mon timeline est tellement flou,  tellement all over the place. Je suis moi maintenant. Mais j’ai toujours été moi. Et je suis encore le moi que j’étais. Tout ça coexiste.

PAN M 360 : Tu as récemment annoncé que tu avais dû annuler une série de concerts aux États-Unis, en raison du climat inquiétant qui y règne ces jours-ci et aussi à cause de complications reliées au fait que tu es trans. Peut-on en savoir davantage?
Bells Larsen : Ouais ça fait une semaine et demi que j’ai annoncé ça et ça quelques jours que mon album est sorti alors je pense que c’est bien naturel que l’album et que je sois un artiste politisé soient mélangés. J’accueille ça et je le comprends. Et j’espère que mon album peut être réconfortant pour ma communauté, surtout celle  vivant aux USA,  pour les personnes qui se sentent isolées et oppressées par les nouveaux règlements. J’espère que la musique peut humaniser la communauté… parce que les gens haïssent ce qu’ils ne comprennent pas et ont peur de l’inconnu. J’espère que ma musique peut montrer que je ne suis qu’une personne voulant  se rapprocher d’elle-même et que ce n’est pas quelque chose d’unique pour les personnes trans. Je trouve vraiment beau qu’au sein de la communauté trans, on démontre une propension à s’explorer soi-même. Je vais gérer la situation, me concentrer sur le Québec, le Canada et l’Europe. Et je pense que je suis moins dans le choc maintenant, je comprends la situation actuelle.

PAN M 360 : Qu’est-ce qui t’attend pour la suite de 2025?
Bells Larsen : Il y a i beaucoup de shows qui s’en viennent (pas aux États-Unis mais ailleurs haha)! Oui il y a Toronto, Hamilton, Montréal aussi c’est à guichets fermés et je suis très excité. Aussi il y aura les festivals et encore plus de dates québécoises à venir jusqu’à l’automne. Je ferai une tournée Canadienne avec un de mes héros, on va se promener dans de grosses salles!

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