Guitariste, producteur et compositeur s’étant d’abord fait connaître au sein du groupe de rock garage Monotonix de Tel-Aviv, Yonatan Gat est un artiste autodidacte se situant entre le rock‘n’roll, l’avant-garde et la performance artistique, avec une âme de nomade dans la jungle urbaine et l’état d’esprit d’un citadin qui garde l’espoir de vivre son chemin librement. Que ce soit avec son précédent album Universalists, sa récente collaboration avec le collectif de pow-wow expérimental Medicine Singers ou ses performances en constante mutation jouées au milieu du public, Yonatan nous rappelle – par son répertoire – qu’il y a, au-delà des guerres et des patries, des hommes indépendants qui cherchent d’autres idéaux.
Pour donner du sens au passage inestimable du temps, l’artiste, maintenant installé à New York, a récemment lancé son propre label Stone Tapes (Maalem Hassan Ben Jafaar, Mamady Kouyate, Monotonix), une sorte de canal de communication de calibre international, comme une bibliothèque vivante d’anthropologie à mettre sur pied, qu’il surnomme ironiquement « end of world music ». Alors que la mythologie du rêve américain est centrée sur l’ambition et la compétition féroce, où le sacré n’a pas sa place, ici, c’est tout le contraire. Yonatan veut provoquer l’oreille pour briser les frontières restrictives des genres. On trouve au bout du chemin de cette action courageuse un imaginaire de la résistance, en cette époque de crise où le mépris de l’art exprime le déclin et où le cœur doit survivre clandestinement à la désolation.
Pour son troisième album, Yonatan Gat propose une impressionnante reprise réimaginée du célèbre Quatuor à cordes no 12 d’Antonín Dvořák, une des œuvres de ce type les plus marquantes du répertoire de la musique de chambre, écrite en 1893 pour deux violons, un alto et un violoncelle. Entouré de Greg Saunier de Deerhoof à la batterie, du compositeur Curt Sydnor à l’orgue et de Mikey Coltun de Mdou Moctar à la basse, Yonatan se lance sur American Quartet dans une véritable aventure humaine sans retouche, enregistrée comme un plan-séquence après seulement quelques répétitions, où l’on sent spontanément, dès la première écoute, l’énergie brute et imprévisible du groupe. Habitué à l’inconnu que la perte de vision apporte, le collectif s’est détaché du système d’écriture en apprenant les mélodies à l’oreille, pour créer une façon sensorielle de lire le potentiel de la danse, pour se libérer d’une interprétation stricte de la pièce et pour s’initier, par le son, à la croisée des chemins d’une montagne convoitée. Imprégné des couleurs d’un clair-obscur à l’aube, Slow American Movement est le véritable joyau naturel caché de cet album, nous faisant presque oublier qu’il s’agit, à la base, d’une pièce de musique classique. Enregistré en 2018, à l’époque de la naissance du premier enfant de Gat, American Quartet est comme la preuve de foi d’une force immobile d’un artiste indépendant, qui réussit à prendre feu, les yeux fermés.