Lorsqu’une chose ne peut plus continuer, inévitablement elle cesse. Arrivant juste au bon moment, alors que toutes sortes de crises bouleversent l’ordre établi, l’ubiquiste saxophoniste Shabaka Hutchings nous présente son plus récent projet, un sextuor auquel se joignent quelques invités. Non, Hutchings et sa bande ne viennent pas nous dire que tout ira bien, mais pas non plus pour hurler de désespoir.
L’essence de l’album tient aux paroles du chanteur et parolier Siyabonga Mthembu – orateur mi-griot, mi-prophète. Il ne s’embête pas à dresser une liste des problèmes sociaux et environnementaux sur lesquels tout le monde peut s’entendre, à part les imbéciles, mais annonce plutôt la fin du monde tel que nous le connaissons – et propose quelques idées sur la suite des choses et la meilleure façon d’y arriver. En particulier en ce qui a trait aux valeurs patriarcales obsolètes avec la pièce We Will Work (On Redefining Manhood).
We Are Sent Here By History marque le passage du label Brownswood de Gilles Peterson à la vénérable étiquette Impulse ! qui a jadis fait rayonner John et Alice Coltrane, Sun Ra et Pharaoh Sanders. C’est d’ailleurs un excellent port d’attache pour certains autres, sinon tous les autres projets de Hutchings, notamment Sons of Kemet mais surtout Ancestors, sans doute le plus remarquable issu du mouvement de renouveau du jazz spirituel.
The Comet is Coming, son projet londonien jazz-électro-punk, a lui aussi des préoccupations apocalyptiques, mais le ton est plutôt irrévérencieux, la fin des temps étant un prétexte de défoulement. La musique et les idées de We Are Sent Here… n’ont rien à voir. Elles sont crues mais fringantes, dures mais vulnérables, vigoureusement animées mais heureusement dépouillées. Elles sont aussi résolument afrocentriques, dignes même dans leurs moments les plus extrêmes et inébranlables dans leurs convictions.