Le pianiste américain Matthew Shipp célèbre cette année ses 60 ans, et pour souligner la chose, à l’instar de certains musiciens ayant atteint ce jalon, comme John Zorn et Jean Derome il y a quelque temps et la pianiste Satoko Fujii l’an dernier, il en a profité pour sortir une flopée d’albums, en solo ou avec divers instrumentistes. Parmi ces derniers, se distingue un enregistrement effectué en compagnie du saxophoniste britannique John Butcher et du joueur de synthé analogique allemand Thomas Lehn. Le trio en avait réalisé un premier en concert au Café Oto à Londres en février 2014, celui-ci l’a été dans une ancienne fonderie – où Rodin a d’ailleurs coulé un grand nombre de ses chefs-d’œuvre – en banlieue parisienne, le 18 octobre 2017, soit un mois jour pour jour après son passage à la Sala Rossa dans le cadre d’une mini-tournée nord-américaine qui l’a vu se produire également au festival de jazz de Guelph et à la suite d’une brève tournée européenne, les trois musiciens étaient donc bien « rodés ».
Le premier album était vraiment excellent – tout comme le concert donné à Montréal le 18 septembre 2017 –, le contenu de cette « pierre griffue » l’est tout autant, bien qu’il soit un peu moins explosif. Il n’y a pas que la qualité d’écoute entre chacun des instrumentistes et leur symbiose qui jouent, il y a aussi leur complémentarité dynamique, d’autant que le format trio leur assure une certaine liberté. C’est comme si pour chacun, le jeu des deux autres était stimulant et l’aiguillait. Dès qu’un équilibre dure depuis un certain temps, ils s’ingénient à le bousculer et redoublent d’inventivité pour mieux explorer d’autres territoires et continuer de courtiser l’inattendu. Et puis, comme le disait Butcher dans une entrevue il y a quelques années, l’intérêt de l’improvisation n’est-il pas de pouvoir faire « une musique difficile à imaginer tant qu’on ne se retrouve pas au beau milieu » ?