Nous voilà une fois de plus plongés dans les années 60, 70 et 80. Annie Clark / St.Vincent pouvait-elle échapper à ce retour en arrière, à cette pêche dans les mers vintage ? Bien sûr que non. Les mers vintage sont poissonneuses, elle y lance son chalutier, la pêche s’avère excellente. Sitar à l’occidentale façon Beatles, pop jazzy à la Steely Dan/Donald Fagen, krautrock à la David Bowie, groove virtuose en mode Stevie Wonder, country-lounge à la kd lang (ou même Patsy Cline), folk-pop orchestral à la Paul Simon, pop insipide à la Sheena Easton…
Immanquablement, arrive un stade où une figure du renouveau pop-rock, figure étrange de par ses allégeance indie, devient la norme. C’est ce qu’on observe vraisemblablement chez St.Vincent depuis son opus homonyme sorti en 2014, encore plus avec Masseduction en 2017, et voilà ce Daddy’s Home réalisé par le bienveillant Jack Antonoff, assurément le plus conformiste de tous ses albums et celui qui obtiendra le plus fort assentiment du public et de la gent médiatique. Qui plus est, le texte se fonde sur le pardon, l’amnistie, l’absolution, la relativisation de nos mauvais coups, sur la nécessité de faire la paix avec les siens, avec les autres et soi-même. Dans cette optique, Daddy’s Home se veut une évocation tragi-comique des mésaventures de son père – réellement trouvé coupable de fraude, incarcéré, récemment libéré au terme de sa sanction pénale.
Inutile de souligner que la poposphère occidentale crie au génie, qu’Alexis Petridis ne se peut plus dans The Guardian, autorisant du coup la dithyrambe de seconde division et plus encore. Qui osera donc briser cette belle unanimité ? Personne ne voudra aller là, bien évidemment. Le chalutier de St.Vincent est amarré au port des supervedettes, vide ses cales d’une pêche miraculeuse el les emplit des fruits cultivés depuis les débuts de sa carrière solo – soit au terme d’une collaboration réussie auprès de Sufjan Stevens.
Après avoir montré la voie, la guitar héroïne, chanteuse, compositrice, réalisatrice, leader d’orchestre, en pleine maîtrise de sa destinée, fait l’exercice de la réminiscence pop et en exhibe toutes les balises à travers ce prisme de queer flamboyante brillante, de surcroît très sexy. Janelle Monáe, autre queer emblématique de la pop culture haut de gamme, n’a-t-elle pas suivi un parcours similaire ? À n’en point douter, St.Vincent fait la démonstration de ses dons immenses. Or, la surdouée sait pertinemment que son arrivée au faîte de la pop de grande qualité implique obligatoirement une escale vintage, pour le plus grand plaisir des hipsters assagis et aussi pour le plaisir du grand public dont les références musicales ici évoquées sont gravées dans le disque dur… jusqu’à sa date de péremption.