Le compositeur, producteur et inventeur américain Raymond Scott est peut-être l’un des musiciens les plus connus dont vous n’avez probablement jamais entendu parler. Révisionniste audacieux du jazz, de la pop et des bandes sonores, homme du peuple, homme de mystère, un peu maniaque, de ses débuts dans les années 1930 jusqu’à sa mort en 1994, Scott a bouleversé les conventions de façon spectaculaire et a fortement marqué la culture populaire américaine de l’ère atomique. Parmi ses activités, on peut citer les premières recherches sur les possibilités de la musique électronique. Il a passé des décennies à développer un appareil appelé Electronium, sans jamais être satisfait de ce prédécesseur analogique des générateurs de musique algorithmique et de l’intelligence artificielle. Il s’agissait d’une vision brute et prototypique de, selon ses propres termes, “la collaboration artistique entre l’homme et la machine”. Scott a gardé secret toute sa vie son constant bricolage de l’électronium, léguant ce qui était essentiellement un tas de ferraille obsolète et inutilisable aux soins de Mark Mothersbaugh de Devo à sa mort.
Yuri Suzuki, un artiste sonore et designer japonais maintenant basé à Londres, dont le curriculum vitae inclut une collaboration avec Jeff Mills et des installations au MOMA à New York, a été le fer de lance d’un effort pour reproduire, avec la technologie moderne, comment l’électronium aurait pu sonner. Un simulacre numérique d’un anachronisme essentiellement hypothétique, qui a généré au hasard une musique complète à partir des données les plus minimales – l’aspect intellectuel de l’exercice laisse tellement perplexe qu’il donne mal à la tête. Suzuki et son équipe semblent avoir compris cela, et la dimension purement esthétique du projet en est donc la plus grande récompense. Les onze morceaux qu’on retrouve ici, aux titres « descriptifs », dans la tradition de Scott (A Stimulant To The Imagination, etc.), sont des suggestions abstraites de berceuses et de jingles, exprimées dans des tons électroniques chauds et pétillants. Gai, charmant, voire enchanteur, véritable hommage aux racines de la pop électronique, Scott’s Dream rappelle que, peu importe où la technologie peut conduire l’art, la touche humaine sera toujours essentielle.