C’est un événement : l’une des pionnières de la musique électronique avec les deux Pierre (Schaeffer et Henry), la Française Eliane Radigue, est ici enregistrée par le Quatuor Bozzini. Également membre à part entière de la fabuleuse bande des premiers minimalistes new yorkais (Glass, Reich, La Monte Young, Tenney, Lucier, Cage), Radigue revendique plusieurs faits d’armes, dont celui d’avoir été parmi les premières femmes (peut-être LA première) a utiliser un synthétiseur modulaire (le Buchla 100 series) en musique d’avant-garde. Elle a également défroqué le Moog pour finalement s’amouracher du ARP 2500 pendant près de 40 ans. C’est au début du nouveau millénaire qu’elle se tourne vers l’acoustique, et propose des œuvres encore baignées de ses explorations timbrales synthétiques. Son cycle des Occam (70 pièces à date, pour toute formation, du solo à l’orchestre symphonique) est l’une des grandes aventures actuelles en musique contemporaine.
Le Quatuor Bozzini s’attelle à insuffler une nouvelle splendeur à ses immenses lignes faites de notes soutenues jusqu’à bout de souffle (heureusement qu’il s’agit d’un quatuor à cordes!). Cet Occam Delta XV est ici offert en deux versions, substantiellement différentes l’une de l’autre. C’est que, voyez-vous, Radigue donne ses indications de façon orale aux musiciens, comme le faisaient probablement les premiers humains. C’est une vision intuitive qui implique une grande écoute de la part des interprètes. La musique qui en résulte exige une concentration de tous les instants ainsi qu’une endurance physique importante pour soutenir des lignes continues et mouvantes pendant près de quarante minutes pour chaque pièce!
Le résultat est un univers fascinant dans lequel les oreilles curieuses seront plongées comme dans une infinitude glacée parcourue de nuances subtiles, mais vives, d’ombres et de lumière. Cette nébuleuse totalement enveloppante flirte entre l’ambiant et la saturation sonore. Sans aucune pulsation perceptible, le minimalisme discursif de Radigue est tout de même parcouru de variations microtonales et nanostructurelles régulières qui lui font refuser toute accusation de statisme.
C’est peut-être la musique que l’on entendrait en plongeant dans un trou noir, nos atomes étirés à l’infini par les déformations d’un espace-temps tendant vers l’éternité. Bouleversant.