C’est le début de l’union Rafael Payare / OSM sur enregistrement! Et quelles noces! Mahler, cher au cœur du chef montréalais d’origine vénézuélienne, constitue un choix logique pour lui, mais tout de même audacieux : il ne manque certainement pas de grandes lectures des symphonies du grand Gustav. Mais, fidèle à sa personnalité fonceuse, Payare ose et gagne. Voici une Cinquième au bord du gouffre, entre lumière et abîme, fragile dans les risques qu’elle prend, mais émotionnellement puissante dans sa réussite. De longs accents dans le thème stentorial du premier mouvement, équivalent mahlérien du ‘’Destin’’ évoqué par Beethoven dans sa propre cinquième, témoignent adéquatement du volontarisme de Mahler à affirmer sa soif de vivre et sa foi en l’Espoir . Le contraste avec les morceaux de mélodies triviales, genre fête foraine, est poussé à bout par Payare. Ce dernier joue ici à Freud en psychanalysant le compositeur et ses fantômes de jeunesse, des échos obsessifs mêlant souvenirs pénibles de son père battant sa mère pendant qu’un orgue de barbarie jouait une musique grotesque dans la rue à côté. Il est là Mahler, dans cette collision absurde. Payare l’a compris. Il a aussi compris qu’on ne gonfle pas cette œuvre avec des grandiossimos trop ralentis. On agit, on avance, avec urgence et nervosité. Mahler n’avait pas le choix : il savait sa santé fragile, il savait qu’il avait peu de temps pour dire ce qu’il avait à dire. Il était pressé, du moins dans cette ultime symphonie de la ‘’première période’’, de partager son espoir d’une fin heureuse. Le deuxième mouvement est farouche, le troisième joue avec la limpidité flamboyante et l’obscurité. Ici, la Maison symphonique fait flèche de tout bois (pardonnez la!) en servant de caisse de résonance absolument parfaite. Que de détails, que d’éclairage flatteur sur les lignes individuelles dont l’entremêlement devient clarté et compréhension aisée, là où tant d’autres peuvent être inutilement touffus. L’Adagietto, à neuf minutes, ne s’éternise pas. Heureux choix car le shooting de silicone musical de certaines versions, insupportablement langoureuses, ne me semble pas convenir. Adagietto, pas Lento. L’urgence, encore. Puis, l’explosion de vie, d’espoir et de rédemption du cinquième et dernier mouvement, jubilatoirement Frisch, allegro giocoso.
Je pense que Payare a trouvé le juste ton, celui qui correspond à la personnalité de son orchestre et de sa salle : un mariage inspirant entre l’Europe (ici germanique) et l’Amérique française, laquelle est elle-même un mariage entre deux mondes à l’origine opposés, mais réunis en une symbiose unique. Finalement, la chaleur latine inhérente à l’esprit québécois et aux origines directes de Payare, finit de conclure une première aventure discographique passablement réussie et teintée d’une forte personnalité pour l’Orchestre montréalais et son jeune chef.