Les deux albums qu’a créés le jeune prodige du jazz british Shabaka Hutchings en compagnie de son ensemble The Ancestors – Wisdom of the Elders (2016) et We Were Sent Here by History (2020) – ont attiré l’attention des mélomanes sur l’opulente scène jazz sud-africaine. Originaire de la province du KwaZulu-Natal, le pianiste Nduduzo Makhathini avait déjà quelques disques à son actif, lorsqu’il prit part à ces deux aventures qui lui ont permis de se faire connaître du public occidental et de signer avec Blue Note. Son nouvel opus intitulé In the Spirit of Ntu est le premier album à être publié par Blue Note Africa, label bicéphale issu d’une collaboration entre la légendaire étiquette de jazz américaine et UMG Africa.
In the Spirit of Ntu est une œuvre qui s’inscrit dans le renouveau que connaît la mouvance jazz spirituel depuis quelques années. De fait, son créateur l’a envisagée comme une prière musicale, un pont entre le monde matériel et un principe appelé « Ntu », qui correspond à l’essence spirituelle du monde dans lequel nous vivons. Cette prière est née dans une période trouble, puisque l’album a été enregistré quelques semaines après les émeutes qui ont secoué l’Afrique du Sud à la suite de l’emprisonnement de son ancien président Jacob Zuma, en juillet 2021. La puissance du souffle dramatique qui traverse le disque de bout en bout en témoigne.
Afin que cette prière puisse s’envoler vers les cieux et voyager jusqu’à nos oreilles, Makhatini s’est entouré d’une brochette d’excellents musiciens issus de la scène de son pays. La saxophoniste Linda Sikhakhane et le trompettiste Robin Fassie Kock sont de redoutables souffleurs qu’il faudra surveiller de près. Le vibraphoniste Dylan Tabisher, le percussionniste Gontse Makhene, le batteur Dane Paris et le contrebassiste Stephen de Souza composent, quant à eux, une section rythmique soudée tissant des canevas sonores inspirés autant du jazz que des musiques traditionnelles zouloues. Quelques artistes invités font également des passages remarqués : le saxophoniste américain Jaleel Shaw, ainsi que Omagugu Makhathini et l’Allemande Anna Widauer, qui chantent respectivement en isiZulu et anglais. Le leader, de son côté, n’est pas en reste puisqu’il est un pianiste doué capable de belles envolées lyriques comme le démontre Ntu, ultime morceau du programme joué en solo qui clôt les choses en beauté.