Une décennie plus tôt, l’émergente Lana Del Rey était la proie de moult détracteurs côté médias dits de référence. À la spectaculaire américaine de Lake Placid, on reprochait la voix, l’enfance et l’adolescence dans la ouate, la chirurgie plastique, l’ambition, la préfabrication d’une œuvre faussement sombre et tragique, l’opportunisme gonflé au botox, pis encore.
Sa contre-performance à un talk-show de fin de soirée avait certes contribué à cette descente aux enfers de la critique patentée, on connaît la suite : nous sommes en 2023 et Lana Del Rey a fait depuis longtemps la preuve de son très grand talent. Sa voix est aujourd’hui jugée magnifique, la vastitude de son univers chansonnier et sa prolificité sont reconfirmées à chaque nouvelle sortie d’album.
Voilà son neuvième en 13 ans d’activités discographiques et cet album, Did You Know That There’s a Tunnel Under Ocean Blvd, maintient tout l’intérêt à son endroit.
La noirceur de ses débuts, cette quête nostalgique d’une Amérique morte et enterrée, fait place à un propos plus dégagé. Portraits souvent sombres et cyniques mais plus sages, moins collés sur ses enjeux immédiats, hyperlucidité affective, sens aigu de l’observation, quête de beauté malgré le fardeau de la tâche.
À travers les trames amoureuses, amicales, familiales, sociales ou carrément mystiques, Lana del Rey tente d’extirper du sens et de la sagesse à travers le ressenti poétique. De plus en plus de sagesse, donc, et ce au détriment du désarroi et de la détresse bien réelle des débuts.
Musicalement, l’univers de la chanteuse poursuit son expansion, on l’observe notamment dans le second « mouvement » rap de la chanson A&W, un texte senti sur l’abus sexuel. Idem côté Peppers, autre rap chansonnier qui ne dénature en rien la facture de la dame de 37 ans. L’album est réalisé par la principale intéressée à laquelle se joignent Mike Hermosa, Jack Antonoff, Drew Erickson, Zach Dawes et Benji, et l’on ne compte pas les collaborations de Tommy Genesis, Father John Misty, Riopy, Jon Batiste, Bleachers, SYML.
Les ballades en gris bleu, les arrangements fastes de cordes de la pop classique des années 40, 50 ou 60, les chansons folk au piano ou à la guitare acoustique, enfin tout ce qu’on connaît de Lana Del rey est enrichi de nouveaux éléments sonores texturaux provenant de la lutherie électronique ou de la musique expérimentale, le tout assorti d’intermèdes instrumentaux à la manière d’un album hip-hop ou de tentatives néoclassiques parfaitement acceptables puisqu’elles servent des formes chansonnières sans prétentions instrumentales.
La patte de Lana Del Rey est désormais connue, mais le filon est encore riche. Cet album n’est ni une bombe ni un grand wow mais s’inscrit dans le très riche corpus de cette beauté tragique.