Mitshuap (« maison » en Innu-aimun) représente le début d’une nouvelle ère pour l’autrice-compositrice interprète Karen Pinette Fontaine, alias Kanen. Avec à ses côtés Simon Walls et Jérémie Essiambre, elle s’avance vers un rock alternatif plus caverneux, plus grinçant, plus assumé. Elle sait toutefois rester près de ses racines, autant musicalement que thématiquement : les morceaux aux guitares grillées se mêlent à d’autres plus dépouillés, formule ukulélé (ou guitare) et voix. Quête identitaire, maison, froideur des statistiques et des « soleils artificiels » de la ville, ce sont quelques-uns des thèmes traités.
Mais tout n’est pas que gris. En fait, Mitshuap est porteur d’une querelle entre l’épuisement et l’espoir, il oscille entre deux extrêmes. Une lourdeur crépusculaire pèse sur les morceaux, autant sur le plan du son que des paroles. L’album s’ouvre sur un ton grave avec Assi (Terre) et son atmosphère évoquant une post-apocalypse environnementale. Les guitares de Tshekat (Presque) sont languissantes, celles de Nimueshtaten nete (Je m’ennuie de là-bas) sont rauques, fatiguées, mais non moins senties. La voix connue de Louis-Jean Cormier s’y mêle bien. Parfois, on délaisse les peines un moment pour regarder le ciel, admirer les étoiles, les météores, écouter le silence.
Sur cet album, Kanen chante l’ambivalence et la colère, autant en français qu’en langue innue. Ici, le privé est politique, et les deux se marient, coulent ensemble de torrent à ruisseau à torrent encore. Elle chante pour elle-même, mais aussi pour toutes les femmes autochtones disparues et oubliées, pour les gens qui manifestent dans la rue. Elle chante pour une « grande fille » qui est autant elle qu’une autre, la rassurant, lui disant qu’on peut se permettre de ne pas tout savoir. C’est dire à l’autre ce qu’on aurait voulu se faire dire, qu’il y a encore de l’espoir, de l’attention, du temps.
Mitshuap, finalement, c’est la maison. Initialement une question, le thème finit par s’affirmer. Kanen montre que dire, c’est se dire. Elle se cherche et finit par trouver, sinon une réponse claire, des parcelles de lumière, quelques indices de clarté ici et là, rares bijoux de sens qu’on collectionne dans notre tirelire identitaire. Mais plutôt que de les garder pour soi, elle nous les offre généreusement dans une œuvre forte, crue, et certaine de toucher plusieurs âmes.