Airat Ichmouratov est un compositeur québécois qui sonne comme le meilleur de Hollywood. Mine de rien, le Montréalais est en train de devenir un chef de file de la musique néo-romantique contemporaine et mondiale. Ses compositions, traditionnellement structurées en symphonies, concertos, quatuors, poèmes symphoniques, etc. sont jouées un peu partout sur la planète. Il y a de quoi, elles sont non seulement très accessibles mais surtout fort bien écrites et souvent remarquablement orchestrées, comme de bonnes musiques hollywoodiennes.
Prenons le cas du Concerto pour piano de 2012-2013. Dès le départ, on est en terrain familier et réconfortant : c’est Rach 3! On avance un peu, et on dirait Delerue. Plus tard, il y a Gorecki aussi, dans l’implacable avancée d’accords soutenus de l’orchestre sous les coups de semonce du piano (2e mouvement, grave solenne). Le 3e mouvement évoque Korngold dans l’explosion de couleurs initiales, puis un tourbillon de Saint-Saëns et Rimski-Korsakov dans l’épatante et spectaculaire fresque qui suit pendant presque dix minutes. L’écriture pour les bois, tout au long du concerto, est tout simplement éblouissante. On pense alors aux grandes trames sonores de James Horner dans les années 1980 et début 1990 (The Land Before Time, Willow, Star Trek II, Aliens, Krull, Cocoon, The Rocketeer, etc.) mais, bien sûr, avec un discours purement concertiste pleinement abouti. JP Sylvestre semble vibrer de bonheur avec cette partition lumineuse et héroïque, sincèrement pompière, et en fin de compte mauditement irrésistible.
Le Concerto pour alto en sol mineur est moins exubérant, mais aussi riche d’harmonies coussinées et de moirage orchestral. Parsemé d’éléments folkloriques occasionnels et surtout baigné dans un lyrisme élégiaque engageant, le Concerto profite de l’attention bienveillante et du jeu fluide d’Elvira Misbakhova, également conjointe d’Ichmouratov.
Il est assez fascinant de se laisser aussi facilement embarqur dans une musique que l’on sait être totalement imprégnée d’une esthétique musicale qui date de plus d’un siècle. C’est probablement parce que, si Ichmouratov est clairement (et volontairement) héritier de la grande tradition romantique (Rachmaninov, sort de ce corps!), il ne fait pas que la copier comme une recette de Riccardo : il la propulse en plein 21e siècle avec une opulence orchestrale et un type précis de richesse harmonique rappelle le Romantisme… cinématographique. Or, celui-ci a finalement réussi à être accepté par l’establishment de la musique savante moderne. Du coup, les compositeurs contemporains voulant faire du mélodisme peuvent s’y plonger à corps et plume perdue sans ressentir le besoin d’ajouter des épices chromatiques qui finissent par donner un entre-deux (ni trop moderne ni trop ‘accessible’’, mot longtemps honni) qui n’a jamais vraiment trouvé sa place. La musique du compositeur montréalais est romantique, certes, mais un romantisme qui est passé par des décennies hollywoodiennes. Ça n’aurait pas pu être écrit tel quel en 1920, ou 1890, par exemple.
La musique d’Ichmouratov est donc un grandiose pied-de-nez aux puristes psycho-rigides qui ont si longtemps imposé à la musique contemporaine une bouderie du plaisir. Pourtant, si cette musique est éminemment agréable et plaisante, voire emballante, en restera-t-il quelque chose dans un siècle? Aura-t-elle remplacé le modernisme astringent pour de bon, ce dernier réduit à une mode cérébrale éphémère? Ou, au contraire, est-elle elle-même un effet de mode, un besoin de consonance temporaire après des décennies d’avant-garde hyper exigeante?
Rira bien qui rira le dernier, dit-on. Mais qui, justement?