En ce premier quart de XXIe siècle, rarement le musicophile aura-t-il observé une progression artistique aussi éclatante que celle de Tamara Lindeman, alias The Weather Station. Précisons d’emblée que cette dénomination n’est pas celle d’un groupe à proprement parler; il y a bien, sur Ignorance, quelques musiciens qu’on a déjà entendus sur l’album homonyme paru en 2017, comme Ben Whiteley (guitare et basse), Ryan Driver (flûte) ou Ian Kehoe (guitare et percussions), mais The Weather Station demeure le projet tout personnel de Miss Lindeman. Figurent sur sa frise chronologique un microalbum folk tendance Appalaches-Atlantique paru en 2008, un premier album complet l’année suivante, un autre en collaboration avec le prolifique artisan indé ontarien Daniel Romano en 2011, un troisième enregistré aux célèbres studios La Frette – avec vents et cordes – et paru en 2015, un quatrième plébiscité avec raison en 2017, puis Ignorance aujourd’hui.
En mettant judicieusement à profit son sens instinctif de la musicalité, Tamara Lindeman est passée de très bonne à très très très bonne en l’espace d’une treizaine d’années. Si elle était moins humble, elle chanterait « Je l’ai la touche », à l’instar de Peter Gabriel deux ans avant qu’elle ne vienne au monde. Les critiques les plus sévères avaient tendance à ranger la production de Mme Lindeman dans la case « Joni Mitchell 2.0 ». Ignorance devrait leur faire passer ce réflexe. Au nombre des innovations et autres points forts que l’on entend ici, mentionnons les textes encore meilleurs, le recours à des rythmes s’appuyant souvent sur plusieurs strates de percussions, la guitare experte de la réputée Christine Bougie, ainsi que les ornements de piano, d’orgue, de pianos électriques Wurlitzer et Pianet, de synthés Moog et Juno, de saxo, de clarinette basse et de cordes (sur des arrangements signés Tamara Lindeman elle-même et Owen Pallett).
Du cerveau, de la bouche et des doigts d’une jeune femme de Toronto nous vient une œuvre à la beauté certaine, en cette époque où les certitudes sont souvent tout sauf belles.