On pourrait presque dire que le grunge est à Seattle ce que le post-rock est à Montréal. Depuis les années 90, Montréal a produit une myriade de groupes comme Godspeed You ! Black Emperor, Thee Silver Mt. Zion Memorial Orchestra, Set Fire to Flames et Fly Pan Am. Ces formations ont joué un rôle décisif dans la cristallisation de l’esthétique post-rock. Esmerine en est une autre, dont les principaux membres sont Rebecca Foon, de Thee Silver, et Bruce Cawdron de la diaspora Godspeed.
Avec une discographie qui s’étale sur deux décennies, Esmerine s’est démarqué de ses contemporains par un style de post-rock qui s’appuie fortement sur des éléments néo-classiques ou de rock de chambre, ainsi que sur la musique folklorique du monde entier. Son plus récent album, Everything Was Forever Until It Was No More, est magnifiquement conçu, convaincant et témoigne de la pertinence du post-rock à l’ère post-pandémique.
Le titre à lui seul est très évocateur; il imprègne toute l’écoute du sentiment de nostalgie et de deuil qui parcourt tout l’album. Cet album a vu le jour dans des circonstances singulières et se distingue, dans le corpus d’Esmerine. Le groupe l’a enregistré pendant la pandémie sans pouvoir organiser de grandes répétitions collectives. Cela s’est traduit par des configurations plus dépouillées qui confèrent à l’album une certaine étanchéité et une retenue qui jouent en sa faveur. Cela étant dit, l’album reste très atmosphérique, avec des superpositions instrumentales denses et savamment orchestrées. Everything Was Forever Until It Was No More présente une large palette instrumentale qui transcende l’ordinaire, avec marimbas, mellophones, sousaphones et boîtes à musique, entre autres.
Everything Was Forever est un album accessible et rafraîchissant, dans un genre souvent intimidant. À l’exception de quelques longs morceaux, l’album est principalement composé de paysages sonores autonomes. Il est toutefois préférable de l’écouter dans son ensemble pour apprécier les flux et reflux naturels d’un thème à l’autre. L’album doit être abordé comme une sorte de bande-son; comme les membres du groupe l’ont écrit, il aurait pu constituer « une partition de rechange au film Melancholia de Lars von Trier ou au roman The Road de Cormac McCarthy ». L’ambiance est totalement contemplative et parfois profondément touchante, avec un sentiment gratifiant de catharsis à la fin.