Album solo du violoniste Emmanuel Vukovich, Resilience est l’initiative d’un musicien très proche de la nature et de sa communauté. Il y lie symboliquement et artistiquement ses préoccupations environnementales et humanistes à l’idée qu’il se fait de « la capacité de résilience ».
L’opus s’amorce par trois transcriptions de mélodies traditionnelles turques, roumaines et serbo-croates par Béla Bartók. Vukovich y a explore ces mélodies traditionnelles de différentes cultures situées à l’intersection de l’Occident et de l’Orient. Il y exprime aussi le résultat de ses recherches sur les timbres et les textures sonores de ces musiques recueillies notamment dans une collection de l’université Harvard, qui compte plus de 30 000 cylindres en aluminium de poésie orale épique chantée en serbo-croate, enregistrements de Milman Parry dans les années 1930 et transcriptions de Bartók à l’université de Columbia au tournant des années1940. Ces arrangements s’inscrivent dans le sillon des recherches doctorales de Vukovich à l’université de Stony Brook (Long Island, NY) avec les membres du défunt quatuor à cordes Emerson.
Ainsi, le violon et la voix de son interprète s’y entrelacent, un bourdon de vielle à roue (Philippe Sly, co-arrangeur) peut aussi soutenir la ligne mélodique, on y évoquera la splendeur matinale, la complainte, la souffrance intérieure ou encore l’état d’éblouissement que génère la nature et sa faune aviaire. Une fois de plus, l’esthétique d’un jeu tout à fait contemporain fait contraste avec le lointain passé des sources musicales et engendre une étonnante fusion.
La pièce qui suit est construite sur 4 mouvements, et aborde de front la thématique de l’album : Resilient Earth, 4 Caprices pour violon seul (Four Caprices for solo violin), composée pour Vukovich par l’Américaine Sheila Silver. À l’évidence, les étirements et contractions aux extrêmes du discours mélodique, jusque dans les plus fines harmoniques aiguës, relèvent assurément d’une solide réflexion compositionnelle. Tout cela est cohérent et incarné par une sensualité bien tangible. Qui plus est, la complexité de cette œuvre est moins évidente qu’on ne le croit de prime abord, vu la lenteur de plusieurs passages. Qu’on ne s’y méprenne… pas facile!
Arrive la Sonate pour violon seul de Béla Bartók, une œuvre anguleuse répartie en 4 mouvements, dense, complexe, d’une exigence extrême. Il s’agit en fait de la dernière partition achevée du génial compositeur hongrois expatrié aux USA, qui dut la retoucher jusqu’à sa mort pour satisfaire les demandes de son commissaire, Yehudi Menhuin. Emmanuel Vukovich y brille à n’en point douter.
S’ensuit une œuvre du compositeur Dinuk Wijeratne, très doué musicien canadien d’origine sri-lankaise, notamment associé en tant que claviériste au Silk Road Ensemble du célébrissime violoncelliste Yo Yo Ma. Sa sonate en trois mouvements pour violon et piano a été composée en 2009 et révisée 2022, on y observe un judicieux mélange de musique contemporaine occidentale et de plus discrètes inflexions mélodiques sud-asiatiques, dont les glissandi permettent d’explorer des intervalles presque carnatiques. Éduqué musicalement au Canada, au Royaume-Uni et aux USA, Wijeratne est aussi un excellent instrumentiste, mais c’est Katherine Dowling qui exécute l’œuvre au piano aux côtés de Vukovich, œuvre particulièrement intense dans le 3e mouvement – Moto Perpetuo.
Pour conclure cet enregistrement, le soliste a choisi la compositrice canadienne Zosha Di Castri et sa Patina pour violon solo. Patina au sens patine, au sens textural, multi-couches, timbral, granulaire. Quelques phrases de cette pièce relèvent d’une certaine vigueur, mais le tout est majoritairement calme, contemplatif, ancré dans le sol. Un atterrissage en douceur, certes mais aucunement dénué de substance.