Ça commence par une question, du genre : serions-nous capables de jouer La Mer de Claude Debussy à neuf instrumentistes à cordes et lui rendre justice ?, et ça se termine avec un album envoûtant qui rend hommage de façon passionnément sensorielle et même sensuelle à la musique de Claude Debussy. Vagues et Ombres des Montréalais de Collectif9 ajoute un autre très beau jalon dans le parcours impressionnant d’un orchestre de chambre pas tout à fait comme les autres.
Collectif9, c’est un band de neuf cordistes parmi les plus dynamiques de la scène contemporaine montréalaise. Ils sont excellents, ça c’est le point de départ (essentiel) de leur démarche. Ils nous invitent régulièrement à des programmes éclectiques, équilibrés entre l’ancien et le très contemporain, le traditionnel et l’inusité, mais constamment unifiés par des thématiques claires et suggestives, et surtout par une qualité d’interprétation à toute épreuve. C’est le cas ici avec cette ‘’playlist’’ aux couleurs vibrantes mais recouvertes d’un éclairage en clair-obscur fascinant tant par le répertoire choisi que par l’animation discursive alerte et souvent surprenante qui donne vie à tout l’ensemble.
Quatre perles impressionnistes de Debussy (Étude no 4, Des pas sur la neiges, Passepied et Clair de Lune, dans de superbes arrangements de Thibaut Bertin-Maghit, également contrebassiste et leader du groupe) servent de préludes au morceau emblématique du programme, La Mer. Pour répondre à la question initiale à la base de toute cette belle aventure : Oui, ils peuvent jouer cette pièce et lui rendre pleinement justice. L’opulence des textures est étonnamment maintenue, même avec un nonet presque 10 fois plus économe que l’orchestration normale de ce chef-d’œuvre. On y arrive avec une intuition et une connaissance profonde des effets spatiaux créés par la narration debussyste, si bien que même avec ‘’seulement’’ neuf musiciens, l’ampleur du panorama sonore voulu par le compositeur demeure entière. Chapeau.
S’ajoute à cet univers franchement impressionniste, la musique narrativement expressionniste de la Montréalaise Luna Pearl Woolf, l’une des voix contemporaines les plus intéressantes en ce moment. Contact se veut, selon la compositrice, une évocation sonore du monde sous-marin des bélugas dans l’estuaire du fleuve Saint-Laurent. Il est permis d’y remarquer à la fois les cliquetis et sinuosités sonores du langage de ces fascinants cétacés, mais aussi les perturbations créées par les activités humaines.
Ce band fait de la musique classique, sérieuse, avec rigueur et conviction et surtout avec un souci de l’excellence remarquable. Mais il élargit aussi la palette de l’expression nécessaire de cet art toujours marginal avec des mises en scène résolument modernes, des performances dans des salles non conventionnelles pour cette musique (au Bain Mathieu par exemple), et un investissement soutenu dans des présentations vidéos hyper léchées. De toute façon, une formation classique qui a un compte sur Bandcamp ne peut qu’être résolument cool!
Collectif9 est un ensemble enraciné dans son art mais aussi dans son temps et sa génération. Il insuffle à la musique savante un électrochoc de pertinence intellectuelle et émotionnelle qui ne peut que rallier tous ceux et celles qui, parmi les Milléniaux, les Y, les Z et tous les alphabets, recherchent un très grand supplément d’âme dans leurs choix culturels.
Pour acheter l’album : https://collectif9.bandcamp.com/album/vagues-et-ombres (C’est bien mieux pour eux que d’aller sur Spotify! Mais bon, vous pouvez y aller aussi bien sûr)