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Palais. Argile. L’ambition altière de l’humain. Son extrême fragilisation en ce bas monde.
À l’ère de nos existences virtuelles, néanmoins menées dans un monde physique en proie à tous les dérèglements, le Parisien Arthur Teboul a choisi d’incarner quelques humains au-delà de lui-même.
Déperdition affective sur écran tactile, errance dans les savanes de pixels… Espoir, résistance malgré tout. Beauté, fraternité, amour, raffinement, lyrisme. « Se donner du mal pour se donner du bien. » « À tous les repas, manger du soleil. » Quête malgré tout.
Pour ce troisième opus à l’enseigne de Feu! Chatterton, Arthur Teboul a rejoint ses collègues Raphaël de Pressigny (batterie), Antoine Wilson (basse), Clément Doumic, Sébastien Wolf (guitares et claviers), pour enregistrer l’excellent Palais d’argile.
Pour souder aux sons ces récits arthuriens d’un monde nouveau, ou plutôt d’un autre Moyen-Âge qui s’annonce, le groupe électro-rock a recruté Arnaud Rebotini, docteur es-synthés analogique, dont la réputation monumentale transcende aisément l’idée qu’on peut se faire de la french touch, déjà un vieux concept comme on le sait.
Une visite s’impose au Palais d’argile, notre guide est nul autre qu’un de ses principaux architectes, chanteur élégant, lettré frontman, généreux interviewé.
PAN M 360 : Petite touche locale pour commencer : Feu! Chatterton est l’une des rares formations françaises où l’implantation se fait simultanément en Europe et en Amérique francophones. Ta perception, Arthur ?
ARTHUR TEBOUL : On se sent hyper chanceux que ça se soit passé tout de suite avec le public de Montréal. Nous étions sur la même longueur d’ondes, nous étions comme avec des amis quoi! On espère que ça va durer!On a un super souvenir du Club Soda en 2016, franchement! Au M Telus deux ans plus tard, ce fut une belle soirée mais le son n’était pas bon. Pour des raisons économiques, on n’était pas venu avec notre ingénieur du son et… dans une salle de cette capacité, tu ne peux faire l’économie d’un ingénieur du son. Sur scène on le sentait bien mais on nous a dit que le son n’était pas bon, ça nous a frustrés… On se reprendra dès que possible !
PAN M 360 : Entrons au Palais d’argile, commençons par le son : Feu! Chatterton a cette fois travaillé avec Arnaud Rebotini, un incontournable de l’électro française. Que justifie ce choix?
ARTHUR TEBOUL : Il est passionné, il est passionnant, la musique l’anime complètement. On a écouté beaucoup de musique ensemble, soul, blues, reggae ou même country. Arnaud est connu pour la musique électronique mais en fait c’est un passionné. On s’est retrouvés sur la même chose, sur cette vibration de l’âme, ce qu’on trouve par exemple dans les chants gospel.
PAN M 360 : D’autant plus qu’il est un grand spécialiste des synthés analogiques ou modulaires !
ARTHUR TEBOUL : Oui! Et c’est pour ça qu’on est allé le chercher. On aime être dans cette tension entre les instruments du groupe et la boîte à rythmes. Quelque chose d’électronique mais quelque chose de chaud, avec des circuits. Sur scène, Arnaud est l’un des seuls gars en France à s’entourer d’un parc de synthétiseurs lorsqu’il se produit sur scène. Tout est joué en direct, rien n’est contrôlé par des ordinateurs. C’est un truc vraiment de savant, de laborantin, un truc de fou! C’est une exigence qui est rare aujourd’hui que de chercher à préserver cette poésie du son.
Pourquoi, au fait, on aime tant la musique des années 70? Les synthés analogiques remontent aux années 70. Aujourd’hui, les beatmakers travaillent généralement sur des ordinateurs, alors que nous sommes touchés et attirés par le ronronnement des amplis, par ces choses qui chauffent. Même lorsqu’on va chercher l’électronique on y va chez quelqu’un qui a cette sensibilité pour l’âme.
PAN M 360 : Comment cette rencontre se manifeste-t-elle dans la facture générale de l’album ?
ARTHUR TEBOUL : Quand nous avons fait parvenir les maquettes à Arnaud, elles étaient très avancées, plusieurs passages électroniques étaient déjà là alors qu’on pourrait imaginer qu’Arnaud les a ajoutés par la suite. En revanche, certains passages instrumentaux plus groovy ou soul sont le résultat de son apport. C’était donc chouette de se perdre l’un dans l’autre!
PAN M 360 : En substance, que vous a-t-il apporté?
ARTHUR TEBOUL : Plus de clarté, plus d’espace, plus de précision. On allait plus loin dans le son mais en le simplifiant. Il nous fallait revenir à l’os pour gagner de l’amplitude alors qu’avant, on croyait gagner de l’amplitude avec plus de couches. Au contraire, il faut que ça respire. Et ça, ça demande une certaine expérience, cette maturité qu’Arnaud nous a insufflée. Grâce à lui, nous avons trouvé cette sobriété qui rend les choses plus amples, à la manière d’une pâte qui lève et qui s’imprègne de l’air ambiant. De plus, Arnaud nous a aussi permis d’affiner le son de nos synthétiseurs. Tous les morceaux sont enregistrés en live, il est arrivé aussi qu’Arnaud y joue des claviers même si c’est d’abord l’exécution du groupe. Et voilà cette rencontre entre la musique vivante et la musique des machines.
PAN M 360 : Autres éléments déterminants dans la confection de cet album?
ARTHUR TEBOUL : Il y a cet élément majeur, c’est Boris Wilsdorf qui a travaillé notamment auprès du groupe Einstürzende Neubaten. Arnaud Rebotini a eu l’humilité de dire qu’il n’était pas ingé-son, qu’il était artiste et réalisateur de ses propres enregistrements mais qu’il n’avait peut-être pas l’expertise souhaitée pour les prises de sons des instruments. Ce n’est pas son métier et il a donc recruté Boris Wilsdorf pour faire ce travail, cette union des deux a abouti à ce son.
La grande différence par rapport à nos enregistrements est la manière d’enregistrer pour acquérir cette clarté plus grande. Pour la première fois qu’au sein du groupe, nous sommes vraiment satisfaits, nous livrons nos ambitions dans la forme voulue. Parfois il y a un voile, de petites frustrations… comme nous faisons des choses assez ambitieuses, il nous faut avoir les moyens de nos ambitions. Et là c’est la première fois qu’il y a cette adéquation, cette recherche de clarté malgré les structures et le lyrisme, cette alliance de sobriété et d’exaltation.
PAN M 360 : Le texte s’impose-t-il davantage dans Palais d’argile ?
ARTHUR TEBOUL : De prime abord, nous ne le voyons pas comme ça. Nous trouvons que sur le deuxième album oui il y avait ça, mais pour celui-ci, nous avons le sentiment d’avoir trouvé un équilibre proche du premier des trois albums où la voix et le texte étaient en équilibre. Mais… vu la clarté de la production cette fois, la voix ressort mieux et produit peut-être cette impression du texte et de la voix devant.
PAN M 360 : Au-delà de cette impression peut-être superficielle, votre intention était donc de retrouver l’esprit de groupe, c’est bien ça?
ARTHUR TEBOUL : Oui. Au départ, cet album était un ensemble de chansons qu’on prévoyait jouer en spectacle, avant de les enregistrer. Nous avions bossé pendant six mois sur une création originale, que des nouveaux morceaux destinés à la scène. Une semaine avant la première de ce nouveau spectacle, il y a eu le confinement, le spectacle fut annulé. Nous voulions que les gens viennent nous voir sans savoir ce à quoi ils assisteraient. La scène donnerait une patine aux morceaux, une épaisseur particulière et … on n’a pas pu le faire.
PAN M 360 : L’esprit de la scène s’est-il alors déplacé en studio?
ARTHUR TEBOUL : Les morceaux avaient été construits pour la scène, on était dans cette énergie de groupe, dans cette intention de jouer en live, sans métronome. On s’embarque, on fait trois prises comme à l’ancienne. Et donc on a pu retrouver ça, après quoi les arrangements et autres choix de réalisation ont donné plus de place à la voix. C’était important pour nous d’atteindre l’équilibre entre cette énergie du live et la clarté du message.
PAN M 360 : Passons au texte, maintenant. Quels sont les thèmes centraux de Palais d’argile ?
ARTHUR TEBOUL : Ce n’était pas réfléchi à l’avance, ce sont des choses que l’on voit jaillir au fur et à mesure dans la création. Bien sûr, il y a notre rapport aux technologies, au virtuel… C’est comme pour les synthétiseurs, on oublie qu’à l’origine de la virtualité il y a des serveurs chauffent dans des entrepôts munis de ventilateurs pour les refroidir. L’information qui transite dans nos ordis et nos téléphones passe aussi dans le fond des océans via des fils immenses. Il est important de se rappeler que la virtualité prend racine dans la matière.
Cela m’a conduit à parler de notre rapport entre matériel et virtuel. Cela m’a aussi mené à la question de notre rapport au monde, à l’autre, à soi, à la nécessité de faire attention, de prendre soin les uns des autres. Ça pose du coup les questions de la lenteur, de la délicatesse, de l’inutile, et de voir comment on peut faire résistance aux maux de notre temps qui sont la vitesse, le vacarme, la rentabilité, l’hyperconsommation, l’hystérie. À sa façon poétique, l’album parle de ça.
PAN M 360 : Il y a toujours cette fine ligne où la poésie se démarque du pamphlet lorsque de tels sujets sont abordés. Comment rester poétique?
ARTHUR TEBOUL : L’album pose effectivement cette question : comment naviguer dans ce monde en faisant résistance sereinement, sans donner la leçon? Quand on critique les écrans, on n’accuse personne d’autre que soi, ses propres faiblesses, ses propres tourments. On suggère d’essayer des choses ensemble et voir comment on peut s’en tirer. En tant que groupe, c’est une démarche qui nous habite vraiment : se tirer par le haut, se serrer les coudes, une idée de fraternité quoi. C’est pourquoi cet album parle aussi de faire attention au monde, de la mer et des migrants, de la nature en danger, du rapport à l’autre.
PAN M 360 : Quelle fut la stratégie narrative des nouvelles chansons ?
ARTHUR TEBOUL : Dans les textes des albums précédents, le narrateur du récit était presque toujours moi, un jeune homme de son époque qui parle des problématiques liées à son âge. Mais cette fois, je me suis mis dans la peau d’autres personnes, une jeune fille, une femme plus mature, un vieillard. Plusieurs voix habitent ces chansons.
PAN M 360 : C’est aussi ton évolution d’auteur. Au départ, on parle souvent de soi-même, puis on devient capable d’incarner d’autres personnes.
ARTHUR TEBOUL : Oui et c’est une des raisons pour lesquelles j’ai eu envie d’écrire. Dans un bon livre, on arrive à vivre à la place un personnage qui n’est pas soi. Être capable de vivre dans la peau d’un autre, essayer de ressentir ce qu’un autre ressent, c’est d’ailleurs un remède contre la misanthropie, un remède pour aimer l’humanité. Je ne suis pas romancier mais j’apprends de plus en plus à voyager dans les êtres avec cet outil qu’est mon écriture. En y parvenant, on peut faire exister un personnage de fiction et on découvre de riches secrets sur l’humanité.
PAN M 360 : Il a des adaptations aussi dans cet album.
ARTHUR TEBOUL : Oui il y a un texte de Prévert adapté pour la chanson Compagnon des mauvais jours. Et une autre d’un poème de Yeats, pour Avant qu’il y ait le monde. J’ai pris des éléments, on fait des refrains, je me suis permis des répétitions. Je ne suis pas allé aussi loin que Bashung dans le montage et la déstructuration des textes de ses auteurs, d’autant plus que je n’avais pas la possibilité de discuter avec eux (rires). Ça s’est fait de manière assez naturelle : découvrir un beau poème qui vibre en soi de telle sorte qu’on a l’impression de s’être fait un ami, un compagnon à remercier. Et quand on découvre quelque chose de beau, on le partage. Ces deux adaptations, il faut dire, sont aussi destinées à une comédie musicale réalisée par Noémie Lvovsky. Elle nous a sollicités pour écrire les 12 chansons de son film, La Grande magie, où chantent les comédiens et comédiennes. Les adaptations de Prévert et Yeats se retrouvent aussi dans notre album parce qu’elles y résonnent bien.
PAN M 360 : Le court titre de cet album en dit long sur la conjoncture. Explique-nous ce choix en guise de conclusion.
ARTHUR TEBOUL : Tous les textes de Palais d’argile ont été écrits avant la pandémie, le titre a été trouvé à la fin du processus. L’humilité qu’impose la période actuelle à l’humanité justifie le choix du titre. Il a suffi qu’une chauve-souris ou je ne sais quel animal sur un marché en Chine fasse en sorte que le monde entier s’enraye. Un grain de sable arrête la machine, ça redonne de l’humilité. Il a donc cet orgueil de l’humain qui est de vouloir bâtir des palais. Mais il ne doit pas abandonner cet orgueil, il faut toujours essayer de donner le meilleur de soi-même, fournir ses plus gros efforts, exprimer son plus grand raffinement.En plus la construction d’un palais est une aventure collective. Il y a donc cette ambition assumée, sachant que tout ça reste très fragile. Un jour on est gai et on se dit c’est un palais. Un jour on est triste et on se dit que c’est que de l’argile. On vit et on meurt mais… quand on sera morts, on aura vécu.