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Véhicule de la compositrice et leader d’orchestre Katia Makdissi-Warren, l’ensemble Oktoécho présente Transcestral, « un véritable hymne à la vie ». L’objet est d’actualiser les modes de tansmission des mémoires ancestrales, et d’ainsi exprimer « la commune quête perpétuelle de l’harmonie entre l’homme et la nature, en s’inspirant des musiques et des danses sacrées de traditions soufies et autochtones du Canada. »
Il s’agit ici de mettre en valeur la transe, l’état entre la transe et l’éveil. Dans les cultures autochtones et soufie, il existe un mot pour désigner cette extase qui se situe entre l’état de conscience et la transe.
Chez les soufis, il s’appelle le Tarab. En langue anishinaabemowin , il s’appelle NÎWÔNÎSHÀN BUNN-GEE ET-WAWA NAEN DA-MÀN.
Ce programme inédit réunit sur scène 17 artistes, chanteurs, danseurs, poètes issus de milieux différents : six communautés autochtones et soufies y sont représentées, sans compter des musiciens issus du jazz, de la musique classique et de la musique contemporaine.
Sous la gouverne de Katia Makdissi-Warren, cette communion interculturelle met en relief la poétesse innue Joséphine Bacon, le chanteur soufi Anouar Barrada, la chanteuse Métis Moe Clark, la chanteuse de gorge inuite Nina Segalowitz et les chanteurs de pow-wow Buffalo Hat Singers (Norman Achneepineskum), ainsi que le danseur autochtone yoreme, Sam Ojeda, et le jeune derviche tourneur de 10 ans, Adam Barrada.
À l’invitation de PAN M 360, Katia Makdissi-Warren mous explique ces aurores trancestrales, concept en mouvement depuis quelques années déjà, et qui atteint aujourd’hui un haut niveau d’expression artistique.
PAN M 360: Quels sont les liens directs et indirects entre les pratiques ici associées?
Katia Makdissi-Warren : Les deux cultures ont des musiques et danses qui permettent de rentrer en contact avec le monde invisible. Par exemple le tambour pow-wow réunit toutes les forces vivantes, minérales, végétales et animales. Sa forme circulaire embrasse le cercle de la vie et le son. Il représente le battement du cœur de la création. Chez les Soufis, le cercle est au centre de toute la symbolique. Il a toujours une origine, un point de départ. Son cœur bat avec le nom de Dieu, c’est l’appel divin. L’instrument ney (flûte) représente l’Être humain parfait qui laisse librement passer le souffle, symbole de l’Absolu.
PAN M 360: La transe, phénomène d’hypnose collective fondée sur la répétition de motifs, se trouve dans toutes les sociétés traditionnelles. De quelles façons se révèle-t-elle dans ce contexte interculturel?
Katia Makdissi-Warren : Comme ce spectacle reste dans un contexte profane et dans un espace-temps défini (soirée de spectacle), c’est plutôt l’esprit de ces musiques qui nous inspirent. Cet esprit commun d’appel à se connecter à la voie du cœur et de paix, un message d’universalité qui franchit les frontières.
PAN M 360 : Comment la composition tire-t-elle parti des expressions soufies et inuites dans ce contexte?
Katia Makdissi-Warren : Il y a une petite ressemblance dans l’émission des sons entre le chant de gorge inuit et les sons de respiration chez les soufis. Dans le contexte de notre spectacle, nous créons un point de rencontre à travers ces sonorités.
PAN M 360 : Le chant de gorge est d’abord un jeu alors que plusieurs musiciens non autochtones perçoivent ce jeu comme étant de la musique. Comment ces nouvelles œuvres s’en inspirent-elles?
Katia Makdissi-Warren :Le katajjaq, chant de gorge inuit, est un jeu vocal sans paroles qui imite des sons de la nature. Il est traditionnellement pratiqué par deux femmes placées face à face qui se tiennent les épaules.
Les chanteuses tentent de se faire mutuellement rire. Le jeu prend fin lorsqu’une des participantes est à bout de souffle ou rit.
Dans Transcestral, le chant de gorge est sorti de son contexte premier d’abord parce qu’il n’y a qu’une seule chanteuse (Nina Segalowitz). Sans dénaturer le chant d’origine, il devient un vecteur sonore important de l’appel à l’extase, car la chanteuse accentue la répétition de motifs.
PAN M 360: Formellement, comment les formes soufies et inuites sont-elles utilisées dans les compositions?
Katia Makdissi-Warren : Formellement, les structures musicales de la plupart des pièces de Transcestral restent plus dans un esprit de musique « occidentale ». Je mets les guillemets, car la notion de musique occidentale n’inclut pas dans le langage courant les musiques des Premières Nations/Metis/Inuits qui vivent géographiquement en Occident. Pour revenir aux structures musicales de la plupart des pièces de Transcestral, les formes empruntent davantage les formes musicales d’origine européenne classique. Étant formée en composition classique, il est pour moi plus habituel de naviguer et de manier la rencontre musicale à travers cette écriture.
PAN M 360: Comment ces œuvres de fusion culturelles se traduisent-elles au sein de l’ensemble OktoEcho?
Katia Makdissi-Warren : C’est un travail d’équipe tant au point de vue interprétation que composition. Plusieurs créateurs sont au centre de Transcestral : les compositions de Norman Achneepineskum, Moe Clark, Nina Segalowitz, Cherryl l’Hirondelle, Joseph Naytowhow, la poésie de Joséphine Bacon, les paroles d’Anouar Berrada, les improvisations de Didem Basar, Marianne Trudel ou de David Ryshpan. De mon côté, le travail est bien sûr aussi une partie de composition, mais aussi les arrangements musicaux de toutes les pièces. Cette collaboration donne un répertoire qui parfois donne la voix à un ou l’autre des artistes solistes, parfois à plusieurs à la fois. Et chaque composition nous amène dans un univers différent, mais qui est toujours dans l’esprit même de l’expression de Transcestral. Il y a des pièces en cri des plaines, d’autres en arabes, en innu, des pièces inspirées davantage de l’esprit du tambour pow-wow, d’autres plus proches de la culture soufie…
PAN M 360 : L’album complet sortira en janvier 2022. Autres pièces au programme?
Katia Makdissi Warren : En tout, 11 pistes figureront sur l’album. Ça passera d’un solo de chant de gorge à une pièce plus orchestrale qui se nomme Zadka. Également. le groupe de chant et tambour pow wow Eya Hey Nakoda d’Alberta sera présent sur quelques pièces. Les Eya Hey Nakoda ont participé avec nous sur la création de ce projet durant les 10 dernières années.
PAN M 360: Dans le contexte de la grande renaissance autochtone au Canada et des nombreux processus de réconciliation malgré le racisme systémique et les horreurs des pensionnats ravivées par la découverte des sépultures d’enfants disparus?
Katia Makdissi-Warren : Ce que les autochtones ont subi depuis trop longtemps est extrêmement douloureux. C’était plus qu’urgent que tous ces drames et souffrances soient divulgués officiellement. C’est très bien que ça sorte et que ces injustices soient enfin médiatisées pour conscientiser, demander des pardons et favoriser un processus de réconciliation. Je crois qu’on doit rester vigilant à faire comprendre les situations de discriminations, qu’elles soient conscientes ou inconscientes, qu’elles viennent de nous-mêmes ou d’autres. Ainsi, on peut contribuer du mieux qu’on peut à créer un présent et un avenir dans le respect. Malgré tout ce passé, je remercie de tout cœur nos frères et sœurs autochtones d’être là, avec leur force et leur respect de la source de vie.
Crédit photo: Mario Faubert
Trancestral est joué par Ochtoécho, ce samedi au Théâtre Outremont, 20h, 25$ -39,50$