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Photos : Emma George
PAN M 360 : Il semble que vous ayez fait connaissance à Bruxelles mais que schroothoop ait vu le jour sur une impulsion un peu folle.
Timo Vantyghem (basse et clarinette) : En effet, tout a commencé par une blague, rien de bien sérieux. Pendant plusieurs années, nous avons fait partie de La Clinik du Dr Poembak, une fanfare locale à Bruxelles. L’hiver dernier, j’ai remarqué qu’il y avait encore des places disponibles pour une jam session locale à Bruxelles. J’ai donc contacté Rik et Margo pour voir si nous pouvions monter un petit spectacle ou simplement jouer un peu de musique. Je savais que Rik fabriquait des instruments artisanaux à partir de matériaux de récupération depuis des années. Et, au même moment, tout à fait par hasard, Margo construisait une avec des rebuts illégaux. Nous avons décidé de mettre nos instruments en commun et d’improviser dans la nuit. Nous nous sommes tellement éclatés pendant ce jam que nous avons décidé de faire d’autres concerts. Comme nous n’avions pas assez de chansons pour faire des concerts d’une heure, nous avons surtout joué des pièces qui laissaient beaucoup de place à l’improvisation. C’est comme ça que le schroothoop a vu le jour.
Margo Maex (percussion) : Quelques semaines après notre premier jam, deux amis nous ont proposé d’enregistrer une partie de notre travail, et nous avons fini par enregistrer un mini-album, appelé Klein Gevaarlijk Afval – qui signifie en néerlandais déchets domestiques dangereux, comme les piles, le diluant à peinture et d’autres déchets chimiques qu’on ne peut jeter à la poubelle.
PAN M 360 : À mon oreille, Schroothoop fait un jazz mystérieux mais enjoué qui intègre des sons et des idées de divers styles de partout, comment décririez-vous votre recette ?
Rik Staelens (instruments à vent et à cordes) : En vivant dans une ville multiculturelle comme Bruxelles nous sommes exposés à toutes sortes de musiques. À la radio, nous entendons surtout de la pop et du rock, un peu de jazz, de blues et de musique classique occidentale, mais dans la rue – ou dans nos arrière-cours – nous pouvons aussi entendre du chaabi marocain, de la musique classique andalouse ou égyptienne, du raï, des mélodies turques, de la musique des Balkans, des chansons de Bollywood, des rythmes d’Afrique de l’Ouest… C’est tout naturel pour moi de vouloir intégrer ces sons à ma musique.
Il n’y a pas de recette à proprement parler, ou plutôt, la recette dépend de la chanson. Parfois, celle-ci part d’une mélodie, d’autres fois, c’est d’un rythme que l’on a envie d’explorer. De temps en temps, l’idée est plutôt de créer une certaine ambiance ou atmosphère, ou nous improvisons juste pour voir ce que ça donne. Nous aimons aussi faire la fête, alors il y a souvent un élément dansant qui se glisse dans nos chansons et qui nous fait taper du pied.
MM : En plus de jouer des grooves du monde entier, j’aime aussi ajouter des sons plus sombres et atmosphériques – comme ce que vous pouvez entendre dans sluikstort. Cette chanson m’a été inspirée par mon obsession pour l’electronica « du champ gauche » et la musique ambient expérimentale d’artistes comme John Also Bennett, Cucina Povera, Kate NV, Steve Pepe, Capitol K… Timo, pour sa part, met à profit la vaste expérience de son autre groupe, Sea (Peoples), pour ajouter à nos chansons des lignes de basse qui apportent une sensibilité indie-rock. Rik apporte des éléments de jazz et de musique du monde. Bien que Rik, Timo et moi ayons des goûts et un bagage musicaux assez différents, nous sommes très complémentaires et nous nous entendons bien sur la direction à donner à chaque chanson.
PAN M 360 : Il y a autre aspect de votre musique qui m’a frappé, c’est la provenance de cet endroit qui n’existe même pas : l’exotica des années 1950. Ce genre de musique est souvent considéré comme du kitsch un peu débile, mais en fait, c’était un style assez avant-gardiste qui a été précurseur non seulement de l’expérimentation stéréophonique, mais aussi de l’hybridation interculturelle sur une base de jazz.
RS : Excellente observation à propos de l’exotica, mais si ça vient de moi, ce serait plutôt inconscient. La première fois que j’ai entendu des trucs de Martin Denny, c’était il y a une vingtaine d’années. Même si ça m’a plu, je trouvais à l’époque que c’était davantage une curiosité. Je n’ai pas poussé mon exploration plus avant et je suis passé à autre chose. Lorsque des amis à moi ont fondé un big band d’exotica, The Left Arm of Buddha, il y a quelques années, je m’y suis à nouveau intéressé. C’est certainement un genre intéressant et je comprends comment notre musique peut la rappeler aux gens.
Pourtant, bien avant l’exotica, Sidney Bechet avait fait un disque haïtien à la fin des années 30, Dizzy Gillespie intégrait déjà des rythmes cubains à sa musique dans les années 40. À peu près à l’époque de Martin Denny, Dave Brubeck a exploré les rythmes turcs. Dans les années 60, John Coltrane, notamment, a exploré la musique indienne, Yussef Lateef a fait des recherches sur la musique du Moyen-Orient et de l’Afrique, Phil Woods a fait un disque avec des musiciens grecs, il y a eu le travail de Don Cherry, de Gato Barbieri… Je crois que l’ouverture à d’autres cultures est une disposition inhérente au jazz.
MM : Je dois avouer que j’aime beaucoup l’exotica des années 1950. J’aime les références pas très subtiles et enjouées à la musique orientale, caribéenne, japonaise, andine ou hawaïenne, pimentées de cris d’animaux et de rythmes tribaux. Ces dernières années, j’ai écouté de nombreux disques d’exotica parus dans les années 50, de Les Baxter, Martin Denny, Yma Sumac, Frank Hunter, etc. Vous ne pouvez pas imaginer à quel point j’étais contente lorsque John Caroll Kirby a sorti son album Travel en 2017. Pour moi, cet album marquait le début d’un renouveau de l’exotica. Je me souviens que John Caroll Kirby avait qualifié sa musique d’exotica de « troisième génération ». Votre question m’a fait réaliser que nous avons peut-être fait inconsciemment notre propre album exotica de troisième génération. Super !
PAN M 360 : Le travail de réalisation de David « Dijf » Sanders est tout à fait remarquable, il dirige vos sons un peu comme un bon chef, en faisant ressortir avec soin la saveur de chaque ingrédient, que pensez-vous de son processus et de ce qui en est ressorti ?
MM : Je ne connaissais pas personnellement Dijf, mais je connaissais bien son travail, dont ma pièce préférée, Retired Sportswatch, tirée de l’album Moonlit Planetarium. Un jour, un de mes amis a entendu un enregistrement sur iPhone réalisé lors d’une de nos répétitions. Il connaissait bien Dijf Sanders et lui a demandé s’il serait intéressé à mixer notre musique si jamais nous l’enregistrions correctement. Il semble que Dijf était assez enthousiaste. Quand j’ai eu vent de la nouvelle, j’étais super excitée et j’ai fait comprendre à Rik et Timo que nous ne pouvions pas laisser passer cette chance. Je leur ai dit que notre musique ne pouvait pas être entre de meilleures mains que les siennes, et nous nous sommes mis d’accord pour donner carte blanche à Dijf pour l’enregistrement.
C’est bien que Dijf n’ait pas fondamentalement changé nos enregistrements, il a plutôt ajouté les bonnes couleurs, donné aux passages percussifs plus de profondeur spatiale et plus d’éclat aux basses et aux kalimbas. Il a également ajouté des effets subtils, comme des panoramiques stéréos, de la réverbération ou des delays à hauteur modulée pour les flûtes, les clarinettes et les violons. Nous sommes extrêmement satisfaits du résultat !
PAN M 360 : En ce qui concerne les instruments eux-mêmes, j’imagine que les percussions de base et même la contrebassine étaient assez simples à construire. En revanche, les instruments à vent en PVC ont dû être plus difficiles, surtout lorsqu’on tient compte des différentes tonalités.
RS : Chaque instrument nécessite une approche différente. Les choses qui semblent faciles à première vue peuvent toujours susciter des difficultés inattendues. Même les percussions de base, comme la fabrication d’une peau de tambour à partir de ruban plastique, n’est pas aussi simple qu’on peut l’imaginer. Si vous tendez toutes les bandes dans le même sens, vous obtenez un son terne et qui ne dure pas, alors que lorsqu’elles sont tendues en diagonale, elles se renforcent mutuellement.
Les flûtes et clarinettes en PVC ont été particulièrement exigeantes. Il y a beaucoup de calculs, d’essais et erreurs à faire avant d’obtenir des résultats concluants. En utilisant du ruban adhésif pour recouvrir les trous mal percés, j’ai trouvé un moyen de réaliser jusqu’à trois ou quatre modèles expérimentaux à partir d’un seul tuyau, ce qui a permis de réduire considérablement le gaspillage de PVC. Pour que les choses restent aussi écologiques que possible, j’envisage maintenant de construire mes futurs prototypes en papier mâché.
PAN M 360 : Vous avez également fabriqué des lamellophones, des kalimbas et d’autres instruments du genre à partir de couteaux de cuisine; au fait, y en a-t-il un parmi vous qui ait une formation en médecine d’urgence, au cas où ?
RS : J’ai reçu une formation de base en premiers soins avec un suivi une fois l’an. Comme je dirige des ateliers de lutherie sauvage [construction d’instruments non-conventionnels], il est utile d’avoir des connaissances de base en matière de premiers soins. Heureusement, j’ai rarement besoin m’en servir. Je touche du bois.
MM : Ces couteaux font mal aux doigts quand on en joue un peu trop longtemps, mais je ne me suis toujours pas blessé en en jouant.
PAN M 360 : Après avoir examiné les accidents malheureux, parlons des accidents heureux. Les instruments construits avec des rebuts doivent nécessairement avoir des limites par rapport à ceux fabriqués selon des spécifications professionnelles. Cependant, j’imagine qu’ils offrent beaucoup de surprises inattendues, et utiles en cours de route.
RS : À propos des limites, je ne peux pas mieux l’exprimer que Georges Braque dans sa collection d’aphorismes Le jour et la nuit : « Les moyens limités engendrent des formes nouvelles, invitent à la création, font le style ». Parfois, l’idée n’est pas tant d’étendre les frontières que d’optimiser les résultats à l’intérieur de celles-ci.
TV : Ces frontières ou ces limites sont une des choses que j’apprécie beaucoup dans ce groupe. Pas de synthétiseurs compliqués pour me faire perdre la tête. Vous savez, c’est un soulagement de n’avoir que quelques notes et sons par instrument.
RS : On en trouve un exemple dans les clarinettes que je fabrique. Comme je n’ai pas encore trouvé le moyen de fabriquer un mécanisme de tonalité qui fonctionne correctement, certaines d’entre elles sont limitées à une gamme pentatonique. Mais du côté positif, cela nous permet d’approfondir les possibilités que cette gamme pentatonique offre, tant sur le plan mélodique qu’harmonique. De plus, cela nous incite à concevoir les solos de manière plus rythmique.
Nous avons également découvert que certaines imperfections dans un pont de violon provoquaient un bourdonnement fort et rude, que nous avons utilisé à notre avantage. Nous avons découvert par la suite que ce même concept était déjà utilisé dans les trompettes marines du Moyen Âge et de la Renaissance. Cet instrument était utilisé pour obtenir certaines harmoniques sur une corde, au lieu de créer un bourdonnement fort.
Un avantage des instruments en PVC est que ceux-ci peuvent même être utilisés dans l’eau. Peut-être devrions-nous essayer cela à l’occasion d’une fête nautique cet été.
TV : Au Canada?
PAN M 360 : Rik, vous avez longtemps donné des ateliers pédagogiques de musique, une pratique musicale très différente de celle qui consiste à divertir le public par des concerts et des disques. Cet aspect de votre curriculum vitae collectif a-t-il eu une incidence sur la musique que vous faites avec schroothoop et la manière dont vous la faites ?
RS : Eh bien, j’étais un interprète – jouant principalement les différents membres de la famille du saxophone – bien avant même d’envisager de donner des ateliers. Même si je jouais dans un groupe professionnel et que je faisais des tournées internationales, j’avais toujours besoin d’un emploi pour joindre les deux bouts. J’ai donc décidé que ce serait bien si cet emploi pouvait aussi avoir un lien avec la musique. C’est ainsi que j’ai commencé à organiser des ateliers de musique.
Les groupes avec lesquels je joue et les ateliers que j’anime sont vraiment deux mondes différents. Schroothoop a été créé comme un groupe à part entière, et non comme un orchestre de démonstration pour promouvoir les ateliers. Mais, bien sûr, il y a des liens. Les ateliers m’ont permis d’expérimenter avec de nombreux types d’instruments et de mettre au point beaucoup de pièces d’équipement, dont certaines servent maintenant dans schroothoop.