RADAR : Samito parle du duo SPRLUA, du style amapiano, du travail en studio et des joies du remix

Entrevue réalisée par Théo Reinhardt
Genres et styles : Afrique / afro-électro / amapiano

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Originaire du Mozambique et œuvrant sur la scène musicale montréalaise depuis une dizaine d’années, Samito incarne la moitié du duo SPRLUA, qui brillera jeudi soir au Ministère dans le contexte de la série RADAR. Présentée par M pour Montréal et Mundial Montréal, RADAR met en lumière plusieurs projets émergents, présentés de concert avec la performance sur scène d’un artiste déjà consacré.

Inspiré par le style amapiano, apparu en  Afrique du Sud durant la moitié des années 2010 et qui cartonne mondialement depuis, le duo complété par Haig V mêle ce son avec d’autres et le plonge dans les courants montréalais, le tout assorti d’une touche minutieuse à la production. 

Attentifs aux musiques de partout, les deux musiciens et producteurs électroniques ont récemment sorti Magnum Dopus 2, une collection de remixes de leur album paru l’an dernier, faisant apparaître des noms provenant de Johannesburg, Rome, Tokyo, Veracruz, Vancouver, Toronto, évidemment Montréal.

D’accompagnateur à artiste solo à collaborateur, c’est dans cet esprit de partage, dans l’expérience de la découverte, que Samito trouve son plus grand plaisir. Peu avant sa prestation au Ministère, PAN M 360 lui a posé quelques questions sur son monde, son processus et son art.

PAN M 360 : Pour commencer, peux-tu parler de ton introduction au monde de la musique? Comment en es-tu venu à faire ce que tu fais?

SAMITO : J’ai grandi au Mozambique. Je suis venu en contact avec la musique à l’âge de 7 ans, quand mes parents m’ont envoyé à l’école nationale de musique. Je pense que ça a un peu défini mon cheminement, même s’il n’a pas toujours été continu. J’ai commencé jeune, j’ai arrêté un peu… mais je dirais que mon coup de foudre avec la musique a été à l’âge de 13 ans. C’est là que je me suis dit « Oh, c’est la chose que j’aimerais faire dans la vie ». Je crois que ce moment-là a dicté la suite des choses pour moi, ça m’a fait dire « je vais jouer de la musique, je vais jouer avec des gens », mais c’est aussi là que j’ai fait le choix d’aller étudier en musique. Donc, à ce moment-là, c’était clair, et je pouvais continuer mon chemin. 

Bon, je continue rapidement, mais à un moment je suis allé habiter à Cape Town, en Afrique du Sud, où j’ai étudié la musique avec un très bon professeur. Il était polyvalent : bon arrangeur, bon claviériste, bon coach vocal, donc il a été une grande inspiration pour mon envie d’expérimenter avec toutes les facettes de la musique. Je me vois un peu comme ça dans mon cheminement : quelqu’un qui aime beaucoup essayer des choses, mais aussi trouver de nouvelles façons d’exprimer. C’est là que je trouve mon côté un peu plus expérimental. Je peux aussi jouer avec des genres populaires, mais il n’y a rien qui m’empêche d’aller d’un truc populaire à quelque chose de plus expérimental. Si on regarde ma production musicale, mes projets sont très différents.

PAN M 360 : Et ce coup de foudre que vous avez eu à 13 ans, vient-il d’un événement spécial?

SAMITO : Je pense que c’était surtout le fait de le réaliser moi-même. Oui, j’ai toujours eu cette flamme-là, mais quand j’étais petit, mon initiation à la musique était davantage l’œuvre de mes parents que la mienne. À l’âge de 13 ans, c’est en écoutant de la musique que j’ai remarqué ce niveau émotif, cette connexion. C’était tellement fort, et c’est là que je me suis dit « C’est ça que je veux faire ». À partir de ce moment-là, j’ai écouté beaucoup de musique populaire, hip-hop et tout ça. Plus tard, à 15 ans, c’était mon époque du jazz, et ça a complètement chamboulé les choses. Je commençais à découvrir plein de choses, entre Herbie Hancock, Abdullah Ibrahim, Oscar Peterson, Charlie Parker, Bobo Stenson, Keith Jarrett, j’ai tout écouté. Mais c’est difficile de décrire tout ça, parce que j’ai toujours eu tendance à aller vers autre chose. Alors à la même époque que le jazz, j’écoutais du drum’n’bass. Mais bon, je pourrais t’en parler toute la vie! (rires) C’est un peu général comme approche, mais c’est ce qui m’a permis d’avoir une ouverture à beaucoup de choses.

PAN M 360 : Quelles sont les origines de SPRLUA?

SAMITO : C’est une histoire assez intéressante. Pendant 10 ans, Haig, l’autre producteur du groupe, et moi, nous avions des amis communs qui nous poussaient toujours à nous rencontrer. En 2017, j’étais en train de terminer ma tournée solo, je sentais que je devais prendre une pause prolongée, à cause de problèmes de santé. À ce moment-là, j’avais besoin d’aide avec mon laptop, et Haig et très bon avec les Macs (rires). Je suis allé le voir, on a passé un super après-midi, j’ai écouté ce qu’il faisait, et on s’est dit qu’on aimerait faire quelque chose ensemble. Sauf que c’était pile au moment où je prenais une pause, et je n’étais pas dans l’état d’esprit pour faire de la musique. Mais je lui ai laissé une tonne de démos, parce que le plan initial était de travailler ensemble sur mon projet personnel. Au fil du temps, on trouvait que ça n’avançait pas, qu’on n’arrivait pas à remplir la vision que j’avais de ce projet. C’est à ce moment que j’ai dit à Haig « Pourquoi on ne crée pas un nouveau truc ensemble? À la place de travailler sur des démos qui existent déjà, partons de zéro. » Avant ça, moi j’avais voyagé en Afrique pour me ressourcer, pour clarifier mes objectifs avec la musique. Quand j’étais là-bas, l’amapiano explosait en Afrique du Sud. C’était fou pour moi, parce que c’était complètement nouveau, mais en même temps ça me rappelait des choses que j’avais entendues quand j’étais jeune. Donc je reconnaissais la chose, mais elle était complètement sophistiquée. En revenant au Québec, j’ai partagé ça avec Haig, et il est devenu complètement obsédé, encore plus obsédé que moi! (rires) C’est à partir de ça que tout a commencé. Mais on ne voulait pas copier l’amapiano, on ne voulait pas se l’approprier. On voulait trouver un son local, qui entrait dans l’esprit de la culture DIY montréalaise. Donc, on en prend, mais on essaie de trouver notre son autour de ça.

PAN M 360 : À quoi ressemble votre processus créatif?

SAMITO : Souvent, Haig crée un loop, et il me l’envoie. Après ça, moi, s’il y a quelque chose qui me parle là-dedans, je vais essayer de poser une voix de base dessus. On travaille assez rapidement… bon, c’est discutable, parce que nos projets prennent du temps, mais on a un bon processus de création quand on a une idée de base sur laquelle on est d’accord : il m’envoie un truc, moi je saute là-dessus, j’écris quelque chose. Ce n’est pas tout de suite dans une optique de paroles, c’est plus pour trouver un vibe vocal, pour créer un sentiment, une émotion autour de ce qui a déjà été créé. À partir de ce moment-là, on se rencontre au studio pour commencer à arranger les choses. Au niveau technique, moi je m’occupe souvent d’entrer dans la session, et de créer la forme, la structure. Après, je commence à écrire le texte, et ensuite je retourne à Haig, qui travaille les sonorités du beat. À partir de ce moment, ça devient un aller-retour entre nous deux. On échange beaucoup d’idées, de fichiers, et on finit avec plusieurs itérations de chaque chanson.

PAN M 360 : Alors vous délestez beaucoup quand vous en venez à la sélection.

SAMITO : Oui. Haig est vraiment un maniaque du son. Moi, je suis plus quality control, c’est moi qui se rappelle de la meilleure version, et qui le dit quand on atteint un point où ça ne fonctionne pas, quand on perd le feeling. Mais Haig, lui, il pousse le plus loin possible. Ça peut être long avant de savoir vers où une chanson va aller, mais ce qui est fascinant, c’est qu’il y a toujours un moment de breakthrough, où ça casse et où on trouve exactement la chose qu’il fallait. Donc on finit par avoir 20 à 25 versions d’une chanson. Ce n’est pas toujours un processus facile. Il y a une anxiété qui vient avec le sentiment de ne pas finir une chanson, ou une perte de direction. Ça demande beaucoup de discernement pour savoir ce qu’on veut communiquer, les choix à faire. Parfois il faut revenir à la première version. Mais on est très engagés, on le fait pour la musique.

PAN M 360 : Vous avez sorti Magnum Dopus l’année dernière. Le mois dernier, vous avez publié Magnum Dopus 2, une collection de remixes de certaines de ces chansons. Quel est le processus derrière un album de relectures comme celui-ci?

SAMITO : Dans ce cas-là, ça part surtout avec des amitiés, des gens que j’ai autour de moi. Personnellement, je vois le processus musical comme une expérience de découverte. Donc c’est possible que quelqu’un d’autre ait une meilleure interprétation d’une chanson. « Meilleure », pour moi, ça relève surtout de la façon dont c’est communiqué aux gens. Pendant la création, nous, comme artistes créateurs, on devient obsédés par certaines choses. Mais ça arrive souvent que ce qu’on voyait comme la meilleure chose n’est pas nécessairement la meilleure chose. Pour moi, c’était important de donner une nouvelle vie à ces chansons-là, parce qu’il y a tellement de potentiel dans les fichiers qu’on a créés. Il y a tellement de textures, de fichiers, de sons qu’on a mis. Nos chansons ont tendance à être denses, en ce qui concerne la quantité d’instruments. Ça ne paraît pas parce qu’on le mixe de manière solide, mais il y a beaucoup d’éléments. Alors, je me dis souvent que si quelqu’un avec une perspective différente entre dans cette chanson-là, c’est possible d’avoir quelque chose de précieux. Donc, pour revenir à la question, ça revient à trouver qui autour de nous comprend ce qu’on essaie de faire, mais aussi de trouver des gens de la relève, qui peuvent nous aider et qu’on peut aider en retour. Dans le fond, ça revient vraiment à qui on aime comme producteur. Le processus est simple : on demande à tout le monde qu’est-ce qu’ils veulent remixer. Ensuite, chaque artiste part avec sa chanson choisie, ainsi que tous les fichiers. C’est carte blanche, on ne donne pas de direction pour ne pas limiter le potentiel.

PAN M 360 : Finalement, a quoi peut-on s’attendre de votre performance ce jeudi?

SAMITO : Je dirais quelque chose de bref, mais très solide, dans le sens que ça donne complètement l’idée de notre son. Je pense que ça va être très ancré sur le groove amapiano, avec tous ses sentiments et ses mouvements. On veut que les gens puissent bouger, apprécier, et en même temps on essaie de grandir et de développer les choses, donc c’est une expérimentation pour nous aussi. Mais ça va être une bonne performance, on est solides, on est sûrs de ce qu’on fait, on connaît la musique. C’est aussi la première fois qu’on joue surtout pour le public  francophone de Montréal. On a fait POP Montréal, on fait MUTEK cet été, mais c’est pas mal la première fois qu’on interagit avec l’industrie francophone québécoise. En tout cas, ça va être un show hybride, avec une première partie de perfos en live, et qui se termine sur un petit DJ set.

PAN M 360 : Merci Samito!

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