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Il semble parfois plus facile de souligner la douleur, la souffrance et la violence qu’on vécu les peuples autochtones que de mettre leurs réussites de l’avant. Et tout cela n’a fait que prendre de l’ampleur au cours de la dernière année. Samian, lui, n’a pas choisi de répondre avec agressivité, mais avec toute la force tranquille qui l’habite.
Il choisit plutôt de s’exprimer en anishinabe dans la plupart de ses nouvelles chansons. Il y parle de résilience autochtone, de la générosité de son peuple, de ses chants et danses. Il se plonge aussi dans l’avenir avec un souci pour les enfants, petits-enfants et arrière-petits-enfants des Premières Nations.
Bien que Samian soit actif sur la scène artistique depuis maintenant quinze ans, il ne cesse de tenter de se réinventer. Son cinquième opus à ce jour, Nikamo, ne fait pas exception à ce modus operandi.
Originaire de Pikogan en Abitibi-Témiscamingue, Samian a pour langue maternelle le français. Issu de communautés où la transmission des savoirs se fait via la tradition orale, il apprend l’algonquin par sa grand-mère maternelle. Comme pour nous inviter à en apprendre plus sur son peuple, l’entièreté de Nikamo est chantée en anishinabe, donnant ainsi une autre dimension, une autre couleur à sa voix.
Il n’y a que la poignante Génocide qui est chantée en français, une production de Mark Globe. Pour ce qui est de la réalisation générale de l’album, elle est aussi colorée que le chant.
Assurément, Samian a tourné la pandémie à son avantage en travaillant avec des beatmakers situés aux quatre coins du monde, donnant ainsi des chansons variées et empreintes d’un air mystique. Nikamo ouvre les yeux et les oreilles. Du reggae à l’afro-pop, il y en a pour tous les goûts!
Et pour les récalcitrants embêtés par la barrière du langage… rappelons-leur que nous sommes en 2021. De nombreuses ressources sont à notre disposition pour en apprendre plus sur cette magnifique culture. Armez-vous d’un dictionnaire français-algonquin, ou encore d’une application sur votre téléphone intelligent ! Fermez vos yeux et écoutez ce que Samian et toute sa communauté tentent de nous raconter. PAN M 360 l’a rencontré, il nous en cause davantage.
PAN M 360 : Nikamo, ton cinquième et tout dernier projet, sera sur toutes les plateformes à compter du 6 août prochain. Tu y parles de plusieurs enjeux politiques, de ton besoin d’écrire, de la résilience de la jeunesse et surtout, du sentiment d’injustice que ressentent les personnes autochtones. Nécessité de mettre au monde ce dernier opus ?
Samian : C’est arrivé au tout début de la pandémie. J’anime une série documentaire intitulée En marge du monde, et tous les tournages prévus ont été annulés. J’ai alors écrit la chanson Nikamo, qui se trouve sur l’album, et j’ai réalisé que c’était la toute première chanson en algonquin que j’écrivais. Et c’est comme ça que l’idée est née finalement ; si je peux écrire une chanson… Pourquoi pas un album complet ? Finalement, j’ai non seulement fait ça, mais j’ai également construit mon propre studio d’enregistrement, j’ai fondé ma propre maison de disques… Tout ça est Nikamo.
PAN M 360 : Dans une entrevue accordée il y a quelque temps, tu as précisé que le français est ta langue maternelle, et non l’anishinabe. À part la chanson Génocide où tu chantes en français, l’entièreté de Nikamo est en algonquin. Pourquoi avoir pris cette décision ?
Samian : C’était maintenant ou jamais. Je veux dire, cela fait quinze ans que je fais de la musique, c’est mon cinquième album… Je n’ai pas le choix de me réinventer. Et c’est cela le plus ironique ; je ne veux pas me répéter mais j’ai l’impression de toujours dire les mêmes choses… Parce que l’actualité le fais en sorte. Par exemple, j’ai sorti la chanson Génocide l’année passée pour donner suite aux évènements avec Joyce Echaquan et je n’ai pas eu le choix de la mettre sur l’album après l’horrible nouvelle des pensionnats; tout ça faisait beaucoup trop de sens ! Et aussi, je viens d’une culture de transmission orale, il existe des dictionnaires algonquins, il existe même des applications où l’on peut apprendre différents mots… Je trouve quand même très pertinent et important d’offrir un genre de référent sonore !
PAN M 360 : Comment la production de l’album s’est-elle déroulée ?
Samian : J’ai collaboré avec beaucoup de beatmakers ! La pandémie a quand même fait que tout le monde travaillait de son studio. Alors pour la première fois, je n’avais pas à aller à Ottawa ou à Montréal pour enregistrer. J’ai donc contacté des artistes du Costa Rica, du Nigéria, de l’Allemagne, du Royaume-Uni… Donc chacun pouvait m’envoyer les fichiers alors que les envoyais pour le mixage et le mastering et on me renvoyait le produit final. Tout ça a créé une collaboration… pandémique je dirais ? On a donc découvert qu’il était possible de travailler de cette façon. Et vu que les frontières ont disparu, c’est pour çon entend des morceaux plus reggae, d’autres plus afro-pop… Ça a donné quelque chose de diversifié et spécial.
PAN M 360 : Tu as sorti un vidéoclip pour accompagner la chanson Ishkodè, chanson que tu dédies aux victimes et survivant.e.s des pensionnats autochtones à la suite des découvertes des dépouilles retrouvées. Tu y chantes « Je vois maintenant que ce qui m’est arrivé est important ». Que veux-tu dire ?
Samian : Je parle du ‘’nous’’, finalement. Aujourd’hui, nous sommes capables de voir ce qui nous est arrivé. Cela fait quinze ans que j’ai l’impression de me répéter incessamment, mais cela fait bien plus longtemps que les survivant.e.s des pensionnats essaient de dire quelque chose. Et on ne les écoute toujours pas. Avec tout ce qui s’est passé cette année dans l’actualité, les gens ont fini par réaliser l’ampleur de tout ça. Et pour le vidéoclip, je voulais que les gens voient la beauté de notre culture. Je voulais qu’ils voient les visages des enfants, des petits-enfants, les couleurs…
PAN M 360 : Tu es plein d’espoir ou plutôt fatigué de la dernière année ?
Samian : Il reste tellement de chemin à faire. Le plus difficile je pense, c’est le combat à long-terme d’être incompris. À mes concerts, la moitié de la foule est autochtone alors que l’autre moitié est non-autochtone, et ça c’est une victoire. La musique rassemble, alors que la politique divise. Je reste tout de même positif ; ma musique parle d’espoir, de résilience, je m’entoure de personnes qui partagent cet état d’esprit.
PAN M 360 : Tu étais auparavant avec Disques 7e Ciel et tu as choisi de les quitter afin de fonder ta propre maison de production : Nikamo Musik. Pourquoi as-tu fait ce choix ?
Samian : Je ne suis pas contre une autre maison de disques. J’ai fait ça pour mes intérêts et ceux d’autres artistes qui désirent comprendre le fonctionnement de l’industrie de la musique. À la base, personne ne va t’expliquer comment fonctionnent les pourcentages, ton salaire… Personnellement, j’ai tout appris à mes dépends, et cela m’a donné envie d’expliquer à ceux.celles qui désirent s’y lancer ce que tout cela implique. C’est dans cette philosophie de transparence que Nikamo Musik veut fonctionner. Et sans pointer personne en particulier, c’est cela est inexistant dans le monde de la musique en soi. Donc, je vais le faire, de manière indépendante et entouré d’une solide équipe.
PAN M 360 : Tu sembles beaucoup vouloir t’adresser à la jeunesse, lui rappeler de ne pas perdre espoir, que les jeunes ont la force et le courage « de ne pas faire comme leurs parents ». Tu fais d’ailleurs des conférences dans les écoles afin de parler de sujets sensibles comme la toxicomanie, la violence… Quel est le conseil que tu aurais aimé recevoir lorsque tu étais jeune ?
Samian : Que tout ça en vaut la peine. Que tout ce que tu vas vivre, que tout ce que tu vas traverser va avoir un sens, un jour. C’est probablement ce que j’aurais aimé entendre lors de ma jeunesse ; c’est qu’il n’y aura jamais rien de facile. Tu vas traverser des tempêtes, des épreuves, mais tout ce qui compte est comment tu vas te relever. Avoir un don ne veut pas dire être meilleur.e qu’autrui, c’est avoir vécu quelque chose et le transmettre à d’autres.
PAN M 360 : On te demande souvent si tu désires te lancer en politique ?
Samian : À chaque entrevue. Mais pour moi, me lancer en politique serait de me limiter. Il y a des choses que les politicien.ne.s ne peuvent pas dire, et je ne veux pas me censurer. Faire de la politique parfois, c’est souvent se taire. Ce que j’ai à dire, je le mets dans ma musique, je suis bien là où je suis. Je suis à ma place.