N NAO : une lueur précieuse est tombée dans l’eau

Entrevue réalisée par Louise Jaunet

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Sortie d’un sommeil mouvementé, juste avant l’éclosion de sa métamorphose sous sa forme adulte, la jeune autrice-compositrice-interprète québécoise N NAO (Naomie De Lorimier) marque sur L’eau et les rêves, prodigieux deuxième album de dream pop expérimentale, l’empreinte d’une illusion invisible, d’un phénomène merveilleux, d’une rencontre mystérieuse. 

À travers un rituel artistique et symbolique qui se produit naturellement depuis des millions d’années, l’album sorti récemment chez Mothland s’imbrique dans un ambitieux ouvrage transdisciplinaire et collaboratif, dont le sujet se dévoile progressivement écoute après écoute, à travers sa recherche documentaire sur l’eau douce. 

Mêlant à la fois rythme krautrock, spontanéité free jazz, improvisation folk psychédélique, chaînes d’effets dream pop et enregistrements extérieurs pris sur le vif, l’ensemble de l’album, d’une authenticité rare, invite à se perdre en haut d’une montagne durant un songe, pour naître à soi-même à côté d’une source d’eau douce qui rend la vie plus perméable aux changements inconscients. 

Réalisé dans un état de méditation et de transe, l’ensemble de ses recherches donne vie à la magie d’un ange céleste, tantôt doux, tantôt orageux, telle une divinité personnifiant les forces de la nature qui fait briller la sensation pure d’exister à l’intérieur. À l’abri dans sa chambre ou dans le studio, l’impulsion spontanée et intuitive de son inconscient n’a plus peur de dire ce qui doit être dit, afin d’enlever du poids aux ombres.

Cette communication silencieuse, mystique et bienveillante permet de regarder au fond des choses, dans les profondeurs : le déclin, la perte, la vie, la mort, la reconstruction, le soin. Le chuchotement surnaturel d’une connexion à distance l’encourage désormais à prendre des risques au bord du précipice, puisque le ciel la rattrape désormais dans sa chute. 

L’éclipse des couleurs est donc bien une victoire, elle brise la frontière entre le réel et l’imaginaire et permet de renouer la vie avec l’avenir. Le droit d’exister d’un.e survivant.e cache un mystère, un trésor, un outil puissant. Le pouvoir du numineux donne l’espoir de survivre à la Fin du monde. La simplicité crée des miracles.

N NAO a accepté de s’entretenir avec PAN M 360 pour nous en dévoiler le secret.

PAN M 360 : Alors qu’on te découvre seulement maintenant, avec ton deuxième album L’eau et les rêves, on se rend compte tu possèdes en fait déjà un long parcours dans la scène underground, notamment aux côtés de Klô Pelgag, Marie-Pierre Arthur, Crabe, zouz, Safia Nolin, Jonathan Personne et Lumière. Comment es-tu tombée dans cette communauté d’artistes ?

N NAO : Étant née à Montréal, j’ai pu rencontrer beaucoup d’artistes très tôt dans mon parcours. Au cégep, des contacts s’étaient déjà créés avec des accompagnateurs et des accompagnatrices actifs sur la scène musicale. J’y ai rencontré Etienne Dupré (bassiste pour Klô Pelgag, Mon Doux Saigneur, zouz) qui est actuellement dans mon groupe, ainsi que Charles, avec qui je joue depuis longtemps. J’ai commencé à faire des sets à Montréal dans des endroits DIY, comme La Plante. L’étiquette de musique expérimentale Jeunesse cosmique m’a aussi donné ma première chance.

Après mes études en jazz, je suis partie m’installer quatre mois à Berlin avec mes pédales d’effet, pour vaincre mes peurs en quelque sorte. Un soir, j’ai réussi à faire un set dans une salle pleine, c’est à ce moment là que je me suis rendue compte qu’il y avait réellement un public pour ce que je faisais et que je pouvais prendre confiance. Lorsque je suis revenue à Montréal, j’ai commencé à accompagner Laurence-Anne, ce qui m’a permis de faire de nouvelles rencontres. De fil en aiguille, j’ai accompagné de plus en plus d’artistes. Tout cela s’est fait très naturellement au fil du temps.

PAN M 360 : Durant ton cégep, tu as fait un programme en chant jazz, composition et arrangement. La musique a-t-elle été présente très tôt dans ta vie ? 

N NAO : Oui, mes parents ont remarqué très tôt que j’avais une oreille. Alors que je ne savais même pas encore parler, je pouvais imiter parfaitement le son de l’aspirateur, j’avais la bonne note (rire). Enfant, j’étudiais en musique classique à l’école Le Plateau, mon grand-père écoutait toujours de la musique classique et mon père faisait de la chanson.

PAN M 360 : Charles a été le premier membre à t’accompagner dans ton projet N NAO. Cette rencontre semble importante pour toi, peux-tu nous en dire plus ?

N NAO : J’ai commencé à écrire, à composer, à chanter et à expérimenter toute seule de mon côté entre le secondaire et le cégep et Charles a été la première personne qui a entendu mes chansons. Nous nous sentons connectés à travers notre manière de voir la musique, d’en écouter, d’apprécier l’art en général. Lorsqu’on jouait ensemble, c’était comme si on dialoguait nos réflexions à travers la musique, comme une espèce de correspondance sur notre vision du monde. Charles a une maîtrise en histoire de l’art et on aime beaucoup échanger nos théories.

PAN M 360 : Comment sont arrivés les autres membres du groupe ?

N NAO : Le processus s’est fait très naturellement. Lysandre Ménard (Lysandre, Helena Deland) était déjà sur mon premier album A jamais pour toujours en 2018. Juste avant son voyage pour Londres, j’étais venue chez elle échantillonner ses improvisations au piano. Son départ me rendait triste et je voulais garder un morceau d’elle avec moi. C’est devenu sa première participation au projet. Etienne et moi avions déjà joué ensemble par le passé dans notre local, on se croisait également dans les mêmes concerts. 

On s’est retrouvées ensemble dans zouz, Klô Pelgag, puis sur mon premier disque. Samuel Gougoux (TDA, Corridor, Kee Avil, VICTIME) nous avait vu Charles et moi en première partie de Jonathan Personne en 2019. Il a eu un coup de cœur pour notre duo et nous avons commencé à jouer en trio à partir de ce moment-là. Ce sont toutes de belles rencontres, c’est vraiment magique quand on est ensemble.

PAN M 360 : Tu as enregistré l’album au studio Green Room et dans ta chambre. Est ce que c’était important pour toi de te sentir bien entourée, dans un cadre intime et personnel ?

N NAO : Oui, vraiment. J’ai toujours fonctionné dans l’intimité, je trouve que c’est là que la création peut jaillir de façon plus pure, lorsqu’on se sent en confiance dans ses interactions. Je suis quelqu’un qui aime aller au fond des choses et sentir une certaine profondeur avec mes collaborateurs. Il fallait que je sois avec des gens de confiance pour pouvoir créer cette mise à nu.

https://youtu.be/yycxMN3pevY

PAN M 360 : Ton album est accompagné de vidéos qui illustrent une recherche documentaire sur l’eau douce. Comment t’es venue l’idée ?

N NAO : En fait, l’idée m’est venue après avoir filmé les vidéos. J’avais fait un court métrage dans un étang pour l’EP La plus belle chose. Je le voyais plus comme une performance, ancrée dans un moment. Je me suis ensuite procurée une caméra 8 mm, que j’ai gardée avec moi pendant deux cycles de saisons lors de mes escapades méditatives en nature. Quatre cassettes sont sorties de ces expériences. J’ai réalisé spontanément qu’il y avait beaucoup de thèmes qui tournaient autour de l’eau, de son miroitement, de ses différents états, de son caractère mystérieux, sensuel, sensoriel. C’est comme si je l’avais découvert après coup. J’ai donc commencé à me concentrer sur cette matière, sur sa lumière et sur sa réfraction. Tout cela s’est précisé autant au niveau musical, qu’au niveau des textes et des visuels. Avec ma caméra, je voulais essayer de voir à travers et à l’intérieur de la matière.

PAN M 360 : La pochette a été réalisée durant l’une de ces escapades en nature. Peux-tu nous en dire plus ?

N NAO : Je voulais collaborer avec Laurence Veri, une céramiste que j’apprécie beaucoup. Nous nous sommes rencontrées au marché Jean Talon lorsque nous étions toutes les deux fleuristes. On a choisi de créer une céramique ensemble. De là est venu l’idée d’un ange, qu’elle avait déjà exploré dans une céramique et que je voyais également dans les textes de l’album. Elle a dessiné la figure de l’ange dans du grès avec des grains de sable et des roches. Je suis partie avec la céramique pour la documenter autour d’une chute, à sept heures de route. Laurence avait fait trois céramiques différentes, il s’est avéré que ma préférée avait une craque dedans. Finalement, je trouvais cette imperfection là tellement belle. Elle était tellement fragile, il fallait bien faire attention à elle durant notre voyage. Nous sommes restés toute une fin de semaine près de cette chute Charles et moi. On lisait, on se baignait, on prenait des photos. C’était une belle expérience de documentation. J’ai choisi cette chute en particulier car je savais que j’allais pouvoir être calme.

PAN M 360 : Le titre de l’album est inspiré du livre de Gaston Bachelard L’eau et les rêves. Quel lien fais-tu entre ce livre et ton album ?

N NAO : A travers notre relation artistique et épistolaire, Charles m’a offert ce livre. Il a en quelque sorte complété les thèmes qui étaient déjà abordés dans l’album. J’aime son aspect philosophique, mais aussi comment l’auteur aborde la poésie de la matière. Il dit que l’eau est la matière même des rêves. Cette phrase m’évoque beaucoup de choses. Pour écrire les chansons, j’ai utilisé mes souvenirs de rêve. Je m’entrainais le matin en sortant de mes rêves, pour écrire et composer à la guitare. L’eau est aussi une matière très sensuelle qu’on peut associer à la féminité, à la nymphe, à la sirène. Gaston Bachelard a publié ce livre dans les années 40, je trouve ca intéressant d’avoir une perspective plus actuelle, qui vient d’une femme.

PAN M 360 : Tu décris les images de la vidéo Tout va bien comme haptiques. Comment l’as-tu réalisé ?

N NAO : J’avais lu un texte de Laura U. Marks durant mes études à Concordia qui m’avait vraiment interpellée. Elle amène l’idée qu’il s’agit en fait d’une stratégie utilisée par les femmes à travers l’histoire, qu’on peut retrouver dans la tapisserie et ses textures caressantes par exemple. Elle parle des vidéos haptiques comme étant très distortionnées, tellement texturées qu’elle va caresser le regard. Aujourd’hui, tout se passe à travers des écrans, nous vivons dans une époque où tout est visuel, alors je trouve cela intéressant de créer une image qui s’adresse au corps, à la peau, à la sensation. Je l’ai fait naturellement avec la caméra, je filme ce que je vois comme si je les touchais. Il y a une forme de sensualité dans mon travail de recherche qui rejoint mes valeurs écoféministes. J’essaie de donner une perspective sur la nature qui est d’égal à égal.

PAN M 360 : Que représente La plus belle chose pour toi ?


N NAO : Dans une journée, ca m’arrive souvent de dire “c’est la plus belle chose”. Mais ce n’est jamais la même chose. Ce qui recoupe tous ces moments-là, ce sont ces éclats de vie, d’authenticité, de sincérité. C’est la rencontre. On accepte de rencontrer les autres, de se rencontrer soi-même, que les choses nous impactent. Si je suis devant un paysage sublime, j’accepte qu’il me frappe et j’accepte d’être présente à ces choses là. La plus belle chose, c’est prendre le risque de se rencontrer. Derrière ça se cache une réflexion qui est constamment en mouvement, comme une forme de présence.

Crédit photo : Naomie de Lorimier & Cléo Sjölander

Affiche ci-dessous: Juliette Dupont-Duchesne

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