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Si les rappeurs français du 113 affirmaient être « jeunes et ambitieux, parfois vicieux » dans Les princes de la ville (1999), il nous semble que Marie-Gold, en tant que La Baveuse, l’est tout autant – dans une esthétique complètement différente, il va sans dire, puisqu’elle explore l’absurde et le ludisme. Mais qui est donc cette Baveuse? Peut-être l’avez-vous aperçue dans sa robe extravagante en tulle violet (créée par Tristan Rehel) à l’occasion du gala de l’ADISQ 2021, ou plus récemment à l’émission La semaine des 4 Julie pour y présenter l’album Bienvenue à Baveuse City? Eh bien comme le nom de l’album l’indique, Marie-Gold est la maîtresse de ce fief imaginaire, dont elle nous offre ici un tour du propriétaire.
PAN M 360 : Tu arrives avec un album concept et tout un univers visuel qui se démarquent de tes précédentes sorties; que peux-tu nous dire sur la genèse de ce projet?
Marie-Gold : Règle d’or, mon premier album, avait été créé un peu dans une ambiance stressante, anxiogène, de pression, je me cherchais musicalement. Bienvenue à Baveuse City, c’était un mixtape sur lequel j’avais commencé à travailler en parallèle, dans lequel je mettais mes vraies pensées, je délirais, je ne me censurais pas; dans lequel j’avais du plaisir, finalement. La pandémie est arrivée, tout a été mis sur pause et j’ai obtenu des bourses pour faire ce mixtape-là. Donc, le projet a pris une ampleur vraiment plus sérieuse qu’il devait l’être initialement, car au début, c’était juste un exutoire créatif. Je me suis dit « Tant qu’à faire, bien le faire ». Donc j’ai fait plusieurs mois de recherche sur les sociétés, sur les différents aspects d’une ville, l’urbanisme, les lois, le patriarcat, le féminisme, les réseaux de transport électrique, qu’est-ce qu’une ville utopique serait… Je voulais vraiment que ce soit un album concept dans le voyage musical. C’était vraiment un gros délire nourri par beaucoup de recherche littéraire, et ça a créé la ville de Baveuse City.
PAN M 360 : Quelles sont les références littéraires qui t’ont marquée?
Marie-Gold : J’ai lu La République de Platon, une brique, en me disant que ça allait m’aider dans ma réflexion. Je pense que oui, puisque dans À la garderie je parle d’être une gardienne, c’est un thème central à ce texte philosophique, quelqu’un qui protège la cité, et j’aborde ça d’une manière amusante, c’est-à-dire la garderie. Sinon, il y a Le mythe de Sisyphe d’Albert Camus. Toute l’introspection sur l’absurdité de l’existence, parce que je m’en allais faire un projet sur la pertinence d’un projet absurde pour comprendre que c’est une expression essentielle. Car, l’Existence dans laquelle on est est absurde, donc c’est correct de l’aborder si on le désire. Ça me permet de justifier ma démarche d’un point de vue philosophique.
PAN M 360 : Peut-on dire que La Baveuse est ton alter ego?
Marie-Gold : La Baveuse c’est 100 % un alter ego. C’est comme Marie-Gold alias La Baveuse, c’est la citoyenne, la cheffe de Baveuse City, tout le monde peut s’approprier ce personnage-là autant que tout le monde peut être citoyen ou citoyenne de la ville aussi.
PAN M 360 : Créativement parlant, qu’est-ce que permet l’utilisation d’un alter ego?
Marie-Gold : Ça permet de faire passer des sujets sérieux à travers une certaine forme de plaisanterie. Ça peut faire en sorte qu’ils soient plus digestes, plus accessibles, mais qu’ils s’acheminent quand même dans la pensée réflexive du public. Le propos est là, il est amené de façon amusante, ludique, ça ne se prend pas au sérieux, mais ce sont des thèmes sérieux.
PAN M 360 : Tu voulais aussi que la dimension « concept » de l’album se retranscrive musicalement; comment as-tu procédé?
Marie-Gold : L’album, c’est une poésie très sérieuse qui côtoie aussi des propos de types trolls, c’est-à-dire absurdes et niaiseux. Musicalement aussi. L’introduction est intense, musicalement, et tout à coup il y a un changement de rythme qui nous amène dans le drum and bass : c’est pour annoncer au spectateur qu’il va être surpris à travers l’album, qu’il va être tiré de part et d’autre. Il y a des interventions théâtrales, dans l’album, sous forme d’interludes (Arrestation, La Bavette, Déconnexion, Tribunal), donc il y a une narration. Les chansons finissent là où les suivantes commencent. C’est le même producteur pour l’intro et l’outro et, comme l’album se termine sur un silence, tu peux le looper et il recommence au début…
PAN M 360 : Tu as d’ailleurs choisi une structure d’album avec intro, interlude et outro…
Marie-Gold : C’est ancré dans l’histoire du rap, mais il y a plein d’albums extraordinaires que j’écoute qui sont juste une compilation de bangers, c’est très correct aussi. Je trouve que ça vient nourrir l’univers créatif de l’artiste, de voir des nuances à travers 45 minutes de matériel, c’est pour ça que j’ai essayé de faire ça. Il a quelqu’un qui fait ça magnifiquement, en Europe, c’est l’artiste Laylow : ses deux derniers albums sont concepts, il y a beaucoup d’interludes. Je voulais trouver ce juste milieu entre l’histoire racontée, qui s’écoute, et l’époque du streaming avec bangers les uns à la suite des autres. On a fait 12 bangers qui peuvent s’écouter seuls – à cause de l’époque dans laquelle on vit et parce que je veux les faire en spectacle et que ce soit le gros parté –, mais quand tu les écoutes ensemble, tu vois le fil narratif.
PAN M 360 : As-tu déjà pensé à comment tu vas donner vie à cet album sur scène?
Marie-Gold : J’ai remarqué que mes trois premiers projets n’étaient pas éclatants en spectacle, c’était plus smooth, R’n’B… Là, je voulais créer un album avec lequel on allait s’éclater en spectacle, c’était nettement une des motivations premières de l’album.
Et pour le vivre, Marie-Gold vous invite à la fête foraine d’ouverture de Baveuse City le 14 avril 2022 à Ausgang Plaza.
(Photo : Geneviève Charbonneau)