renseignements supplémentaires
Laura Anglade a le parcours opiniâtre d’une chanteuse française sûre de ses moyens, établie en Amérique du Nord pour y faire sa place et y faire valoir sa double identité. Ce destin d’une carrière à tout le moins canadienne était tracé, il faut dire. Native de Brousse-le-Château, dans le sud de la France, Laura a grandi au Connecticut avec sa famille émigrée d’Europe. Elle a traversé la frontière septentrionale des USA depuis un moment déjà.
Vieille âme à la mi-vingtaine, cette interprète et improvisatrice aguerrie affiche une préférence marquée pour le jazz moderne des générations antérieures à la sienne. Elle s’inspirerait de Carmen McRae, Sarah Vaughan, Nancy Wilson, Etta Jones, Anita O’Day, Chet Baker, Blossom Dearie.
Le profil profil biographique de cette artiste de qualité est parcouru de comparaisons indirectes et directes…« For fans of: Laufey, Stacey Kent, Veronica Swift, Carla Bruni, Françoise Hardy…While Laura’s style is evocative of Julie London, Helen Merrill and Cyrille Aimée – her voice is uniquely her own. »
Elle puise certes dans le répertoire de la chanson française classique, une couleur distincte à son classicisme jazz lorsqu’il s’agit (surtout) de s’exprimer en anglais.Tout indique qu’elle pourrait provoquer des choses, à tout le moins sur le marché canadien qu’elle investit – particulièrement depuis qu’elle vit à Toronto après avoir résidé quelques années à Montréal. Elle y a collaboré avec des artistes reconnus tels que David Lahm, Ranee Lee, Andre White, Jean-Michel Pilc et Alec Walkington.
Sorti en 2019, l’album I’ve Just Got About Everything chez Justin Time a mis moult puces à moult oreilles.
Et pourquoi pas poursuivre la découverte de Laura Anglade en s’y adressant directement ?
Aussitôt dit, aussitôt fait. Voici l’interview de PAN M 360.
PAN M 360: Êtes-vous d’accord avec ces nombreuses comparaisons qu’on peut lire dans vos profils biographiques?
Laura Anglade: Oui et non, je trouve que chacune de ces musiciennes est unique. Je suis très flattée !
PAN M 360: Doit-on comprendre que vous vous situez entre le chant jazz « classique » et la chanson de qualité, francophone ou anglophone?
Laura Anglade: Oui. Je n’ai pas voulu non plus “jazzifier” toutes ces chansons sur le nouvel album, par exemple celles de Barbara ou de Piaf, mon but était de souligner les paroles, créer un arrangement autour des paroles. Il n’est pas nécessaire de rentrer toujours dans le cadre du “jazz”, en autant que les paroles racontent une histoire sincère et me tiennent particulièrement à cœur.
PAN M 360: Que désirez-vous jazzifier dans le répertoire francophone?
Laura Anglade: Je pense qu’il y a plein de chansons qui peuvent être interprétées de différentes façons. Par exemple, Vous Qui Passez Sans Me Voir, la version originale de Charles Trenet est magnifique, mais assez lente. On a l’impression que la personne est triste, remplie de regrets. Par contre, si on la rend plus “swing”, les paroles changent immédiatement le ton. Le message devient un peu plus ironique, presque moqueur. On peut pas mal jouer avec l’arrangement d’un morceau.
PAN M 360: « French classics made famous by Maurice Chevalier, Boris Vian, Edith Piaf, and Jacques Brel to name a few. »
Ces artistes français (ou belge dans le cas de Brel) sont de la génération de vos grands-parents ou de vos arrières-grands-parents! Bien sûr, plusieurs de leurs chansons ont été « jazzifiées » au fil des décennies comme on le sait.
Alors?
Voyez-vous ce choix d’artistes comme un point de départ de votre exploration du répertoire francophone? Ou encore ce classicisme vous satisfait-il et votre recherche se trouve-t-elle ailleurs?
Laura Anglade: J’ai voulu faire un album en français pour représenter ma double identité franco-américaine, comme si elles se rencontraient. Je suis née en France mais j’ai grandi aux États-Unis. Je me suis toujours sentie entre deux. J’ai voulu aussi montrer que comme dans ma propre vie, les deux mondes, c’est-à-dire le monde du Great American Songbook et le monde de la chanson française, se sont aussi toujours entremêlés. Il y a notamment beaucoup de chansons, dont La Valse Des Lilas et La Chanson de Maxence, Que Reste-il de nos amours qui ont été adaptées et traduites en anglais et qui font partie du répertoire du Great American Songbook. D’ailleurs, j’ai d’abord appris l’adaptation en anglais de La Chanson de Maxence, You Must Believe In Spring. J’ai su plus tard que la version originale venait d’une comédie musicale de Michel Legrand. C’était important pour moi de faire ce cadeau à ma famille aussi, surtout à mes grand-parents français, pour leur rappeler des souvenirs, pour qu’ils puissent se reconnaître à travers les paroles. Ils ont aimé le premier album, mais ils ne comprenaient pas les paroles et ces chansons ne venaient pas de leur culture, ce qui créait comme un mur.
PAN M 360: De prime abord, votre style s’inscrit dans le jazz vocal féminin des années 40, 50, début 60. Comment expliquez-vous cette passion pour cette période de l’histoire du jazz moderne ?
Laura Anglade: Pour moi, cette période est intemporelle. Je vois les musiques de cette époque comme des leçons de vie. On dit souvent que les personnes âgées sont plus sages, c’est pareil avec la musique. Qu’on ait vécu ces histoires ou pas encore, on apprend quand même et on peut s’y retrouver, peu importe l’âge qu’on a. Je choisis des chansons à chanter qui me ressemblent ou qui me font du bien, qui me rappellent un souvenir ou un de mes proches. Je suis quelqu’un de très nostalgique.
PAN M 360: Vous considérez-vous comme une chanteuse de jazz « classique »?
Laura Anglade: Je pense, oui. C’est en chantant ce répertoire que je me sens le plus moi-même, que je me retrouve le plus.
PAN M 360: Que cherchez-vous à atteindre en tant qu’interprète et improvisatrice?
Laura Anglade: Je cherche à faire remonter des émotions, des souvenirs. Je cherche à raconter des histoires auxquelles on peut tous s’identifier, de génération en génération. J’aimerais faire revivre certaines chansons un peu moins connues aussi, les personnaliser, les faire revenir à la surface, les chansons qui se sont perdues entre La Bohême et La Vie En Rose. C’est intéressant d’ailleurs. Qu’est-ce qui fait que certaines chansons deviennent les pépites et d’autres non ? Il y a tellement de chansons tout aussi belles, qui ont des histoires tout aussi importantes et méritent d’être racontées. Dans ma vie de tous les jours, j’essaye de vivre davantage le moment présent et de l’interpréter à ma façon, ce qui est la définition même de l’improvisation.
PAN M 360: Quels sont pour vous les enjeux de développement du jazz vocal en 2021 ?
Laura Anglade: De nos jours, il est fantastique de pouvoir atteindre le public du monde entier, simplement avec une vidéo partagée. J’en suis reconnaissante parce que j’ai pu avoir des échanges avec beaucoup de gens que je n’aurais jamais rencontrés par ailleurs. Je reconnais que nous avançons vers un monde virtuel, et je m’y adapte. Mais je trouve aussi qu’il peut y avoir une perte d’authenticité, dans le sens où on se préoccupe tellement de notre visibilité en ligne qu’on en oublie l’essentiel: le partage de ce qu’on aime, tout simplement, trop lié au nombre de “likes” et de “views”. Il faut apprendre à avoir du recul car je suis déjà tombée dans ce piège plusieurs fois. Je chante parce que ça fait partie de moi, j’ai des choses à exprimer et à donner à travers la musique.
PAN M 360: On vous doit l’album en quintette I’ve Got Just About Everything. Un autre est prévu en 2022.
Laura Anglade: Pour le moment, nous venons de terminer le deuxième album, Venez donc chez moi, qui sortira en mai 2022.
PAN M 360: Pourriez-vous nous expliquer votre progression esthétique à travers ces projets, ainsi que le choix de vos collaborateurs?
Laura Anglade: Sam (Kirmayer) et moi travaillons ensemble depuis plusieurs années maintenant. Nous avons appris à nous connaître par cœur à travers la musique. Cela nous arrive même d’improviser à l’unisson sur scène. Nous avons enregistré cet album en pleine période de pandémie, bloqués chez nous, sans pouvoir répéter ensemble. Il y a toujours eu une belle complicité musicale entre nous, et cette quasi absence de répétition rend l’album encore plus spontané et naturel, et met en valeur notre confiance mutuelle.
PAN M 360: Pourquoi êtes-vous désormais installée à Toronto? Combien de temps avez-vous vécu à Montréal?
Laura Anglade: J’avais envie de découvrir un autre aspect du Canada et une nouvelle scène de jazz, et j’ai toujours aimé cette ville. J’ai quitté les Etats-Unis à l’âge de 18 ans pour suivre mes études de traduction à Montréal, et je suis restée deux ans après la fin de mes études. Donc j’ai passé six ans en tout à Montréal. Je n’ai en fait jamais vécu en France, à l’exception de périodes de vacances dans un petit village dans le sud de la France, où se trouve ma famille.
PAN M 360: Qui vous accompagnera à la Salle Bourgie? Que comptez-vous y présenter grosso modo?
Laura Anglade: Sam Kirmayer m’accompagnera pour ce concert. On présentera la musique de notre nouvel album. J’ai vraiment hâte de pouvoir enfin partager ce projet, et surtout dans cette magnifique salle !
Laura Anglade et Sam Kirmayer se produisent le jeudi 11 novembre, 18h, à la Salle Bourgie