Julianna Barwick : un fleuve moins tranquille qu’il n’y paraît

Entrevue réalisée par Alain Brunet

Depuis son émergence en 2006, l’Américaine Julianna Barwick a acquis une grande notoriété par ses surimpressions vocales, instrumentales ou électroniques générées par des technologies numériques ou analogiques. La vie n’est certes pas un long fleuve tranquille pour celle qui vient de lancer les œuvres linéaires de Healing Is A Miracle chez Ninja Tune, avec le concert du chanteur Jónsi (Sigur Rós), de la harpiste Mary Lattimore et du producteur Nosaj Thing.

Genres et styles : ambient / chant choral / expérimental / post-rock

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Pour une quatrième fois depuis 2011, année de son arrivée sur la scène internationale alors qu’elle bossait dans le studio new-yorkais de Sufjan Stevens qui l’avait recrutée pour son label Asthmatic Kitty après la sortie de ses EP Sanguine (2006) et Florine (2009), Julianna Barwick lance un nouvel album, Healing Is A Miracle, qui fait suite à Will (2016), Nepenthe (2013) et The Magic Place (2011).

PAN M 360 : Pendant ces quatre dernières années, soit après la sortie de Will et avant celle de Healing Is A Miracle, vous avez travaillé sur différents projets. Parlez-nous de cette musique composée pour la danse.

JULIANNA BARWICK : Je venais de m’installer à Los Angeles en 2017, après avoir vécu 16 ans à New York. On m’a alors demandé de créer une musique pour le Ballet Collective, projet parallèle du danseur et chorégraphe Troy Schumacher du New York City Ballet. Il voulait que je monte sur scène avec les danseurs, chose que je n’avais jamais faite. J’avais déjà travaillé avec des danseurs, mais je n’avais jamais conçu une musique originale, soit un morceau de 35 minutes dans ce cas précis. J’ai d’abord dit à Troy que j’adorerais faire la musique mais qu’il n’était pas question que je la joue sur scène. 

J’étais vraiment trop intimidée par la compagnie de danse, ses danseurs venaient tous du New York City Ballet ! On m’a quand même demandé d’essayer de répéter avec les danseurs. Mes amis m’ont encouragée à le faire, ils m’ont dit que ce serait une expérience mémorable. Alors j’ai essayé et nous avons fini par donner trois représentations à New York. Ç’a effectivement été une expérience formidable ! Ça avait été un vrai défi pour moi de déménager à Los Angeles, mais j’ai été très heureuse de me retrouver souvent à New York en 2017.

PAN M 360 : En 2018, toujours à New York, vous avez travaillé avec l’intelligence artificielle pour mener un projet très particulier : une musique sans cesse renouvelée par les sons ambiants captés en temps réel. Expliquez-nous.

JB : J’ai composé de la musique pour l’hôtel Sister City avec les équipes de l’hôtel Ace et de Microsoft. Au sommet de l’hôtel, une caméra captait des informations dans le ciel. Ces images et ces sons (oiseaux, avions ou autres) étaient ensuite filtrés par un programme d’intelligence artificielle mis au point par Microsoft. Ce programme déclenchait alors des sons que j’avais préalablement enregistrés. Cela générait ensuite une partition en constante évolution, sans cesse nourrie par l’environnement. Nous avons ensuite pris quelques-uns de ces éléments et nous en avons tiré un enregistrement que nous avons sorti en 2019 sous forme d’EP intitulé Circumstance Synthesis. »

PAN M 360 : Vous avez grandi en Louisiane avant de venir étudier à New York pour y étudier et y vivre pendant 16 ans, pourquoi êtes-vous maintenant Los Angeles?

JB : Pour de nombreuses raisons. D’abord, j’adore le climat. Et puis, il y a tant de compositeurs et de musiciens qui sont installés ici. J’y ai une petite maison, c’est si calme ! Je peux enregistrer sans irritants sonores. À Brooklyn, il y avait toujours du bruit à l’extérieur, mais les promenades que j’y faisais me manquent. J’ai besoin de marcher, ça fait partie de la magie de New York. Mais L.A. est plus calme, et la nature ici est géniale… la forêt, les séquoias, la montagne, la mer, le désert… c’est très inspirant !

PAN M 360 : L’année dernière, vous avez recommencé à faire de la musique pour vous-même, mais aussi avec des artistes qui sont des amis. Commençons par Jónsi de Sigur Rós, parlez-nous de cette collaboration dans le contexte de votre nouvel album, soit pour la chanson In Light.

JB : J’ai enregistré en Islande en 2012. Jónsi et moi sommes devenus amis, puis j’ai fait une tournée avec Sigur Rós. J’étais et je suis toujours une grande fan de Sigur Rós et de son travail en solo. Jónsi vit maintenant à Los Angeles, alors je lui ai demandé s’il voulait chanter sur mon album et il a accepté. Je lui ai envoyé une maquette et il m’a dit qu’il fallait que j’écrive les paroles. Encore une fois, je n’avais encore jamais fait ça, et j’ai dit OK… tout ce que Jónsi me demande de faire, j’accepte ! Je lui ai renvoyé la chanson et il a enregistré sa partie en faisant sa propre production. Le résultat : une nouvelle et merveilleuse collaboration. Mais ça m’a rendu très nerveuse et m’a fait sortir de ma zone de confort. Vous savez, j’aime ne faire qu’une prise, puis improviser pour ensuite assembler le tout sans trop y consacrer de temps. Ça m’a beaucoup appris, je suis très fière de cette chanson que nous avons faite ensemble.

PAN M 360 : Vous avez aussi travaillé avec Nosaj Thing, excellent producteur, DJ et compositeur de musique électronique et de hip-hop expérimental basé à Los Angeles. On lui doit des albums fort intéressants, parus sous étiquettes Innovative Leisure et Alpha Pup. Comment cela s’est-il passé ?

JULIANNA BARWICK : Lui et moi avons été en contact lorsque j’étais à New York. Nous avions échangé des courriels et des infos, et je l’ai finalement rencontré à Los Angeles. Au départ, j’avais imaginé travailler avec lui sur tout l’album, mais il était très occupé; il a son propre label, il est aussi DJ… c’était donc très difficile à cause de son emploi du temps. Toujours est-il que je lui ai envoyé de la musique, comme je l’avais fait pour Jónsi. Il y a ajouté des rythmes et j’y ai aussi ajouté des claviers. Le processus a été similaire, mais cette fois je n’ai pas eu à écrire de paroles.

PAN M 360 :  Originaire d’Asheville, petite ville de Caroline du Nord devenue un centre important du néo-folk et du néo-folk-rock, la harpiste Mary Lattimore a signé cinq albums depuis 2013. Elle a travaillé notamment avec Thurston Moore, Jeff Zeigler, Kurt Vile et Steve Gunn… et tout récemment avec vous. 

JB : Oui, Mary et moi sommes de très bonnes amies, nous vivons toutes les deux à Los Angeles et nous avons beaucoup tourné ensemble. J’ai aussi fait un remix d’un de ses disques il y a quelques années. Elle est extraordinaire ! J’ai toujours voulu qu’elle joue sur mes disques. J’ai donc créé cette chanson Oh Memory, puis elle est venue dans mon studio à la maison, nous avons fait une dizaine de prises. Elle possède une solide formation classique et apporté des choses incroyables à cette chanson. C’est comme ça que ça s’est passé.

PAN M 360 : Même si on observe une évolution tangible de votre musique, les bases originelles ne restent-elles pas les mêmes ?

JB : Oui, nous sommes dans le même univers. Quelques morceaux du dernier album ressemblent à ceux de mes débuts. Mais d’un autre côté, Healing Is A Miracle comporte des pièces totalement différentes. Par exemple, ce que j’ai fait avec Jónsi est très structuré, presque pop, proche de la forme chanson. Il y a un peu des deux.

PAN M 360 : Pour bien comprendre Healing Is A Miracle, il faut connaître les fondements de votre travail, il faut donc remonter à vos débuts professionnels. Racontez-nous.

JB : En 2005, j’ai commencé à enregistrer après avoir bidouillé avec l’électronique, une guitare électrique, une pédale de boucle, ma voix. J’ai alimenté ces boucles et je les enregistrées sur mon magnétophone 4 pistes. J’ai fait ma première bande maîtresse mais je ne savais pas vraiment ce que je faisais. Je travaillais avec ce dont je disposais et j’ai sorti un premier EP en 2006. Puis, j’ai acheté un ordinateur et un logiciel Garage Band. J’ai ensuite appris à m’en servir en participant à des ateliers gratuits de Garage Band à l’Apple Store de SoHo. J’ai sorti un deuxième EP, après quoi j’ai enregistré sur Asthmatic Kitty.

Au lieu d’enregistrer dans ma chambre à coucher comme je le faisais auparavant, j’ai pu utiliser le studio de Sufjan Stevens pendant qu’il était en tournée. Il y avait un piano, une batterie, d’autres instruments… ç’a donné The Magic Place ! Par la suite, Alex Somers m’a envoyé un courriel pour m’inviter à faire mon album suivant avec lui en Islande. J’ai donc dû sortir de ma zone de confort et enregistrer avec des invités et des gens qui me regardaient travailler. Alex avait un studio incroyable chez lui. Nous sommes également allés dans le studio où Sigur Rós enregistrait. Ça représentait un virage à 180 degrés pour moi. Chacun de mes disque représente donc une étape pour moi, dans une direction ou une autre. Voilà quel a été mon parcours.

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