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Le samedi 27 mai 2023, ‘’La voie du cœur’’ fera résonner à Montréal toute l’ampleur de sa mystique réjouissante. De son véritable nom Qawwali, ce style musical de plus de 700 ans, surtout présent au Pakistan et en Inde, et principalement connu en Occident par la voix de Nusrat Fateh Ali Khan (1948-1997), pourra être entendu dans toute sa splendeur sur la scène de la salle Oscar Peterson de l’Université Concordia, rue Sherbrooke ouest. Pour l’occasion, un ensemble parmi les plus éminents : Fareed Ayaz et Abu Muhammad Qawwali Ensemble. Les deux musiciens nommés sont, en plus, des descendants directs d’une très longue lignée de virtuoses associés à la plus grande école de Qawwali, en Inde.
Si vous connaissez un tantinet Nusrat Fateh Ali Khan, vous savez donc que ce genre enraciné dans la pratique religieuse musulmane de branche soufie n’a rien d’aride ou de rébarbatif. C’est au contraire une véritable fête dévotionnelle, empreinte de rigueur mais exprimée dans une bonne humeur et une ouverture d’esprit qui fait trembler tous les rigoristes constipés du monde! Pour les Occidentaux que nous sommes, et afin de mieux comprendre le genre d’ambiance qui se dégage d’un concert de musique qawwali, la comparaison pourrait aisément être faite avec le Gospel états-unien, dans lequel on aurait inséré des éléments de chansons à répondre et qui serait construit avec la richesse structurelle des Cantates de Bach!
Ce genre de concert n’est pas aussi fréquent sous nos cieux québécois qu’en terre ontarienne, par exemple, où les communautés sud-asiatiques ont une empreinte plus importante (les choses changent, cela dit : cette communauté est en pleine expansion à Montréal). Il faudra donc pleinement profiter de cette occasion, si la curiosité et l’attrait pour les musiques savantes non-occidentales vous titillent le moindrement!
Peut-être pour la première fois dans un média francophone québécois, une entrevue sérieuse a été menée avec des virtuoses incontestés du Qawwali, ce que peuvent être Wynton Marsalis pour le jazz, William Christie pour la musique baroque ou Joyce DiDonato pour l’opéra. Rencontre avec Abu Muhammad, partenaire de longue date de Fareed Ayaz, deux ‘’diplômés’’ de la prestigieuse école Qawwal Bachon ka Gharana de Delhi, incidemment l’institution où a également étudié Nusrat Fateh Ali Khan!
Pan M 360 : Le Qawwali demeure méconnu en occident. De quelle manière pouvez-vous en résumer le style et le sens pour des personnes qui ne l’ont jamais écouté?
Abu Muhammad : Le Qawwali est un genre musical qui exprime la dévotion pour Dieu. Le nom vient de ‘Qaul’, qui veut dire parole (du prophète).Le Qawwalil est populaire surtout en Inde et au Pakistan et certaines régions du Bangladesh. Il a été créé il y a plus de 700 ans par Amir Khusrau, lui-même disciple du saint soufi Hazrat Nizamuddin Auliya. Le but était de simplifier ‘Samah’ (des séances de poésie religieuse et philosophique), qui existait avant, et le rendre plus populaire pour le grand public.
Pan M 360 : Il s’agit donc d’un genre musical prévu dès le départ pour être accessible! Est-ce un genre uniforme, ou y a-t-il plusieurs sous-genre?
Abu Muhammad : Dans notre tradition et notre gharana (école), il y a plusieurs sous-genres empruntés d’autres traditions tels que le thumri, le ghazal, le bhajan etc. Mais peu importe le genre ou sous-genre, pour nous, le but ultime est d’atteindre Dieu via le chemin de l’amour.
Pan M 360 : Un amour magnifiquement porté par la musique… Quelle place possède le Qawwali dans la société musulmane en général? Ses origines soufies lui permettent-il d’être aussi apprécié dans les communautés chiites et sunnites?
Abu Muhammad : Le Qawwali est présent surtout en Inde, au Pakistan et dans quelques régions du Bangladesh. Il n’y a pas de barrière entre les chiites et sunnites pour l’appréciation du Qawwali. Sa musique est universelle. Par exemple, il y a une chanson qui dit qu’après le prophète ‘Quiconque m’accepte comme maître, pour lui, Ali est également le maître’. Donc les chiites et les sunnites acceptent cette notion.
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Pan M 360 : La pratique de cet art musical est-elle très répandue ou est-ce plutôt le fait d’une minorité motivée (un peu comme la musique classique en Occident)?
Abu Muhammad : La pratique est plus répandue que la musique classique (de l’Occident ou de l’Orient) car le message contenu dans le Qawwali va au-delà de la musique. Il s’agit de dévotions et de prières remplies d’amour pour Dieu.
Pan M 360 : Combien de temps doit-on étudier en moyenne pour être adéquatement formé à cet art?
Abu Muhammad : Dans la tradition familiale, on enseigne les chansons aux enfants de la famille quand ils sont très jeunes, donc ils grandissent dans cette ambiance. Pour les gens qui viennent de l’extérieur, il faut au moins six ou sept ans pour bien saisir les éléments fondamentaux.
Pan M 360 : Un artiste devrait connaître minimalement environ combien de pièces pour être reconnu comme adéquat et respecté?
Abu Muhammad : En général, si un artiste maîtrise une centaine de pièces, il est capable de donner des concerts. Il doit être capable de chanter des poèmes d’une vingtaine de saints soufis pour être reconnu.
Pan M 360 : Vous avez étudié dans le gharana Qawwal Bachon ka de Delhi, une école célèbre et prestigieuse. Le plus connu de ses ressortissants en Occident est Nusrat Fateh Ali Khan. Pourquoi ce gharana est-il si prolifique en grands musiciens?
Abu Muhammad : Le fondateur du Qawwali, Amir Khusrao, a rassemblé, il y a sept cents ans, une douzaine d’enfants pour chanter du Qawwali, une forme simplifiée du Samah. Le leader de ce groupe d’enfants fut Samat Bin Ibrahim, l’ancêtre de ma famille. Dans ce gharana, on met beaucoup d’emphase sur la musique classique indienne. Quiconque veut chanter du Qawwali doit d’abord bien étudier la musique classique, apprendre plusieurs ragas et seulement alors pourra-t-il apprendre les textes des chansons du Qawwali. C’est ce fondement qui contribue à la qualité des musiciens.
Pan M 360 : L’influence de Nusrat Fateh Ali Khan est-elle perceptible dans l’enseignement de ce gharana aujourd’hui? De quelle manière?
Abu Muhammad : Je ne crois pas que Nusrat Fateh Ali Khan représentait vraiment les traditions de notre gharana. Il était certainement un très grand chanteur, mais il a gagné en popularité en employant des techniques de fusion qui n’étaient pas de notre gharana.
Pan M 360 : Comment le Qawwali d’aujourd’hui est-il différent de celui du passé? Y a-t-il une évolution notable dans la façon de le jouer, ou bien la tradition est-elle encore sensiblement la même qu’il y a 2, 5 ou 7 siècles?
Abu Muhammad : Dans le temps d’Amir Khusrau, les instruments d’accompagnements étaient le sitar et le tabla. Plus tard, on a introduit l’harmonium et le dholak (un instrument de percussion). Ces jours-ci (par exemple dans les séances du Coke Studio, une émission musicale très populaire au Pakistan) on emploie des instruments comme la guitare, le piano, des tambours, etc. Depuis cent ans, il y aussi l’influence de Bollywood (cinéma indien) qui a provoqué des distorsions dans le Qawwali. Nous croyons que le Qawwali doit nous amener vers la paix et la spiritualité. Ce n’est pas pour du divertissement banal de gens dépourvu d’amour et de dévotion envers Dieu.
Pan M 360 : Qu’aimez-vous apporter d’original au Qawwali, qui n’est pas apporté par vos confrères?
Abu Muhammad : Quand nous chantons, nous prenons beaucoup de temps pour expliquer le sens de nos chants. Même les enfants arrivent à comprendre le contenu. Je ne crois pas que nos confrères font ainsi. Nous valorisons également la partie musique classique comme racines de musique qawwalie.