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Les interprétations de Philip Glass sont parmi les plus belles réussites de l’ensemble à cordes La Pietà que dirige la violoniste Angèle Dubeau. En 2008, l’album Portrait avait donné beaucoup de crédibilité à la musicienne auprès de Philip Glass et son équipe, il est aisé d’affirmer que cet album fut l’un des plus déterminants de sa discographie en ce sens.
Suite logique? Absolument.
Quinze ans plus tard, Signature Philip Glass est un nouvel effort de l’ensemble et sa directrice artistique, qui a obtenu carte blanche pour ce second chapitre consacré au compositeur, une des figures marquantes du minimalisme américain. Pas moins de 16 pièces ou extraits d’œuvres figurent au programme, étoffant ainsi l’expertise de La Pietà dans le répertoire glassien. Ce lundi, un concert donné à la Maison symphonique de Montréal en témoigne, Angèle Dubeau nous en explique généreusement les tenants et aboutissants.
PAN M 360 : Après Portrait, voici donc Signature et le concert qui s’ensuit.
Angèle Dubeau : J’étais dans ma série de portraits, alors là, je me suis dit « Comment j’appelle cet album? » Je ne peux quand même pas l’appeler Portrait bis. » Je me suis dit « Tiens, il y a tellement une signature unique, on va l’appeler Signature. »
PAN M 360 : Alors 15 ans plus tard, vient Signature.
Angèle Dubeau : Oui, 15 ans. D’ailleurs, ce portrait de Philippe Glass a été le premier de ma série de portraits ensuite qui est venue avec Arvo Pärt, John Adams, Ludovico Enaudi, Max Richter, enfin tous ces minimalistes, post- minimalistes, appelons-les comme on veut. Philippe Glass a été le premier de cette série. Et 15 ans plus tard, on le sait, Philippe est encore prolifique.
C’était la première de sa 13ᵉ symphonie, il y a deux ans, au Carnegie Hall. Il continue malgré l’âge (86 ans) et ce qui vient avec. Il a réalisé certaines œuvres.
PAN M 360 : La dernière fois qu’on l’a vu sur scène avec son ensemble, c’était pour la projection de Koyaanisqatsi à la Maison symphonique en septembre 2019, après quoi il n’était pas de l’ensemble qui porte son nom sous la direction de Michael Reisman à la Salle Bourgie, au printemps dernier.
Angèle Dubeau : Je pense qu’il a des hauts et des bas, il ne sort plus beaucoup et continue de travailler en solitaire – comme il a toujours fait, d’ailleurs.
PAN M 360 : Quelles œuvres ont été choisies pour le deuxième tome?
Angèle Dubeau : À l’époque, j’étais plus frileuse de revisiter. J’avais choisi des œuvres qui étaient déjà écrites pour cordes, des quatuors à cordes que je doublais ou triplais. J’avais fait certaines œuvres que Michael Reisman avait revisitées, par exemple la suite de The Hours.
Je m’étais collée sur ce qui existait et que j’avais rehaussé pour La Piétà – 12 cordes.
Là, dans ce cas- ci, la grosse différence, c’est que quand j’ai rejoint Richard Guérin, son bras droit depuis toujours, pour lui dire que je voulais revenir à Philip pour lui un autre portrait, il m’a dit « Tu as carte blanche. On te fait tellement confiance »… et ce « on » venait aussi de Philip. Ce dernier lui a dit « elle peut même jouer mes œuvres au gazou et ça me dérange pas, je sais que ça va être beau ». J’ai eu carte blanche.
PAN M 360 : Quelles fut l’étape préliminaire ?
Angèle Dubeau : Je suis allée butiner, réécouter le répertoire, tout ce que je pouvais retrouver de Philip Glass. À partir de là, j’ appelais Richard régulièrement pour lui demander telle ou telle partition, j’ai pu voir celle de Koyaanisqatsi écrite à la main, des choses complètement incroyables. Ils connaissent le respect que j’apporte à l’œuvre de Glass, ils m’ont appuyée dans mon intention de revisiter certaines œuvres dans une couleur différente. Ils connaissent mon bon goût, il faut croire, et ils l’approuvent. J’ai eu ce cadeau très rare et très apprécié. Je suis donc partie dans cette quête, sans limite de choix.
PAN M 360 : Quelle serait alors l’approche ?
Angèle Dubeau : Je n’avais pas osé à l’époque aller vers la série des quatsi Je me disais « Non, c’est trop lié aux instruments à vent ou au chant choral, alors que cette fois j’ai fait un clin d’oeil, je me suis permise d’explorer sans limite de choix et amener ça dans une formation violon solo, corde et piano. Bien sûr,ce n’est pas juste une revisite pour en être une. Il faut que ça ait sa raison d’être, puis il faut que ça soit amené avec une autre écoute, une autre façon valable de l’exprimer. C’était vraiment avec ces antennes que je suis partie à la redécouverte de l’œuvre de Glass.
Angèle Dubeau : Que justifient les choix de ce 2e album consacré à Philip Glass ?
Angèle Dubeau : D’abord, j’ai décidé de commencer avec un beau clin d’œil: l’album de 2008 se termine avec Closing, un extrait de Glassworks. Celui-ci, je l’ai commencé avec Opening du même album, la boucle était bouclée, c’est la continuité.Opening nous met dans l’ambiance, dans l’univers de Philip Glass. J’avoue que je suis bien contente d’Opening, de ce qu’on a fait avec ça. Je suis une trippeuse de son, l’intention était d’aller chercher justement ces couleurs qu’on est capable d’exploiter avec nos instruments à cordes.
PAN M 360 : Prenons le 4e mouvement de sa 3e symphonie.
Angèle Dubeau : On sait que l’œuvre Philip Glass est très variée, soit pour le théâtre, le cinéma, de toutes les configurations classiques possibles, de la symphonie à l’orchestre de chambre, au duo, etc.. J’ai voulu aussi exploiter cette diversité de propositions, Et donc cette symphonie avait été écrite au départ pour pour un orchestre à cordes, je crois que c’était l’Orchestre de chambre de Stuttgart qui l’avait commandée. J’avais lu que le compositeur voulait donner un rôle important à chaque musicien, comme s’ils étaient tous solistes. Tant qu’à moi qui dirige un ensemble de 12 cordes, ça vient renforcer justement cette approche où on veut vraiment donner à chaque section un rôle de soliste. Il y a vraiment beaucoup de matière, puis on l’entend très bien dans cette formation réduite. On s’entend que c’est aussi une œuvre, quand on parle quand même d’une diversité d’écritures, ça, c’est une écriture beaucoup plus classique, je dirais, beaucoup plus traditionnelle dans l’écriture.
PAN M 360 : Prenons aussi pour exemple les duos # 1 et # 4 pour violoncelle et violon.
Angèle Dubeau : J’ai eu beaucoup de plaisir à jouer avec Julie Trudeau, une merveilleuse violoncelliste. On se connaît depuis longtemps, c’était du bonbon! Julie était ravie, je l’étais aussi. On s’est vues, on a travaillé aussi chacun de notre côté. J’avais choisi les deux duos, mais en lui faisant entendre tous les duos, son choix s’arrêtait sur les deux mêmes. C’était facile : tu t’écoutes, tu joues, tu trippes ensemble. C’était vraiment ça.
PAN M 360 : Le 3e mouvement de la sonate pour violon et piano est aussi remarquable.
Angèle Dubeau : Une idée complètement folle car c’est une sonate qui a été très rarement enregistrée. C’est très virtuose, ça donne des notes plein les oreilles et plein les mains aux musiciennes de La Pietà. J’ai pris ce dernier mouvement parce que je voulais faire aussi un survol, j’ai hésité un moment à faire s’enchaîner les 2e et 3e, et j’ai arrêté mon choix sur le seul 3e mouvement.
PAN M 360 : Il se trouve des œuvres récentes sur cet album Signature, autre signe de sa spécificité.
Angèle Dubeau : La plus récente est son Piano Quintet Annunciation, une œuvre composée en 2018. C’est une œuvre composée en deux sections, j’ai choisi la première. J’ai gardé dans cette œuvre l’intimité du quintette à certains moments, mais à d’autres moments, j’ai décidé de bonifier le matériel en le distribuant à des sections. Je suis contente aussi de ce résultat, c’est une écriture qui ressemble beaucoup à Philip Glass où tu as des moments sombres, et aussi des moments plus lumineux. La première fois que je l’ai entendue, je trouvais quand même spécial ce quintette, relativement traditionnel de prime abord. Mais très vite, on tombe dans l’écriture si familière du compositeur.
PAN M 360 : Dans le cas de cet album, on ne sent pas le souci d’être pop comme on peut le sentir sur d’autres albums. Tu pouvais choisir quoi que ce soit de Glass selon tes goûts personnels.
Angèle Dubeau : Je n’ai aucun problème à être pop mais pour ce projet, j’avais surtout en tête cette carte blanche du compositeur. Un cadeau du ciel ! La première fois, tu dis « Il me connaît pas trop. Tu veux être respectueuse de l’œuvre. » J’avais aussi 15 ans de moins. Aujourd’hui, j’ai l’âge que j’ai et le bagage que j’ai, je n’ai pas cette crainte ou quoi. Je suis allée sans limite aucune. Ça, c’est la grande différence.
PAN M 360 : Et ta connaissance de l’œuvre de Glass te permet bien des choses!
Angèle Dubeau : Je l’ai réécoutée entièrement en me questionnant : ai-je quelque chose à dire de plus ? Puis-je y apporter un autre regard ? » Ça partait comme ça et je tentais ensuite de mener l’affaire ailleurs. Oui, il y a toujours cette recherche, quels que soient mes projets, je suis quelqu’un qui va au fond des choses et c’est ce qui s’est passé également avec cet album. Bien que je connaissais très bien l’œuvre, je lai réécoutée des heures et des heures et plus encore. Pour Candyman Suite, par exemple, je suis tombée sur un arrangement de Michael Reisman pour violon et piano. On a bonifié, on a coloré avec les cordes, mais en ajoutant des petites touches. Des pizzicati ont remplacé des notes de piano, par exemple.
PAN M 360 : On imagine que l’altiste et arrangeur François Vallières t’a prêté main forte, une fois de plus.
Angèle Dubeau : Absolument. Pour cet album, cependant, je me suis permise plus que jamais de lui donner des directives. Je veux ça comme ça, on coupe ça là, on fait ça ici, etc. François, on travaille depuis longtemps ensemble, alors il me connaît. Quand je lui dis « Écoute, ça, ça semble vraiment plus grave, je veux que ça gronde dans l’orchestration », je n’ai pas besoin de donner de détails. Je sais que ça va gronder, que ça va aller comme je le veux. Il connaît tellement la dynamique de l’ensemble!
PAN M 360 : Un autre exemple?
Angèle Dubeau : Une autre pièce dont j’aime beaucoup le résultat, c’est Metamorphosis. C’était à l’origine pour piano solo. J’ai entendu tellement de versions de cette œuvre, toutefois je n’avais rien entendu avec cordes et piano. Je me disais que toutes ces montées rythmiques très rapides me donneraient la liberté d’un contre-chant au violon. Alors, voilà, j’ai rajouté mon violon dans ces passages très rythmiques de triolets rapides, arpégés, si tu veux. C’est beaucoup plus pianistique que violonistique, mais je double le piano partout. Je suis très contente du résultat !
PAN M 360 : Pour la facture générale, qu’est- ce qui est, au-delà du choix du répertoire, ce qui diffère dans le son d’ensemble par rapport à l’enregistrement de 2008?
Angèle Dubeau : Une des choses pour moi qui me rend si fière, c’est que La Pietà se reconnaît désormais par sa sonorité unique. Les gens me le disent: « J’écoutais la radio, puis ça ne faisait pas 30 secondes que ça jouait, ça ne pouvait être un autre orchestre que La Pietà. Je le répète, je suis vraiment une trippeuse de son. D’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours vu mon interprétation comme un peintre avec sa palette de couleurs. Je peux, avec mon violon, colorer la musique.
PAN M 360 : Cette valeur est évidemment partagée avec les membres de La Pietà.
Angèle Dubeau : Tout à fait. Les musiciennes me connaissent (certaines depuis les études!), me devinent, me font confiance et savent où je m’en vais avec ça. On arrive à cette osmose avec le temps et les tournées. Et à un moment donné, ça devient cette sonorité que je veux atteindre et qui devient la leur. Et quand on se retrouve dans des moments comme ça, sans avertir, je vais changer la couleur, la texture. J’ouvre grand les yeux et je communique cette idée : « Attention, quelque chose s’en vient. » Et les musiciennes sont aux aguets ! J’arrive ainsi à modeler mes intentions pour la couleur et la texture. Ça, je pense que c’est devenu aussi une signature de la Pietà.