La 29e édition de Sónar a fait appel à de nouveaux sons en provenance des cinq continents, sur un thème résolument inclusif, festif, coloré et entraînant.
Après une pause forcée de deux ans pour les raisons que vous connaissez tous, le festival international de musique électronique, de créativité et de technologie Sónar Barcelona a tout mis en œuvre pour rameuter les aficionados de musique électronique de tous acabits. Du jeudi 16 au samedi 18 juin très tard (dimanche matin pour être précis), l’événement a attiré des milliers de fans, professionnels et artistes venus d’un peu partout sur la planète. En tout, 117 spectacles et un total de 150 artistes répartis sur 12 scènes.
Pour cette première incursion de PAN M 360 à Sónar, nous nous sommes attardés à la programmation du Sónar de jour plutôt qu’à celui de la nuit, ce dernier se déroulant les 17 et 18 juin, dans de grands hangars proches de l’aéroport de la ville Catalane.
Sónar By Day, et son volet plus didactique revitalisé Sónar+D, se déroulent quant à eux dans le centre de Barcelone, à Fiera Montjuïc, au pied de l’imposant Palais national. Avec ses deux scènes extérieures, disposées côte à côte, et quatre autres réparties à l’intérieur de trois très grandes salles, l’événement permettait aisément de se déplacer d’un univers à un autre en quelques pas.
Si à l’extérieur l’emphase était souvent mise sur le côté festif et plus fédérateur des différentes mouvances électro, on pouvait rapidement se retrouver confortablement assis dans la salle climatisée de Sónar Complex pour se plonger au coeur de performances beaucoup plus pointues. Et quand on sait à quel point le soleil de Barcelone peut taper fort, ces échappées à l’ombre et au frais permettaient de reprendre un peu de force. Le Sónar de jour est aussi beaucoup plus convivial que son pendant nocturne qui attire un public beaucoup plus nombreux dans un environnement moins intime et chaleureux. Donc pour vraiment vivre une expérience de proximité avec les artistes et le public, le Sónar diurne est incontournable. Ensuite, lorsque les derniers beats cessent de résonner, les bars de la ville méditerranéenne, monopolisés par de nombreux labels, accueillent plusieurs DJs de renommée internationale. Donc il y a toujours une proposition alléchante quelque part !
Jour 1
En cette première journée Sónar, c’est clairement le très intègre duo britannique Paranoid London qui s’est démarqué du lot, faisant quasiment l’unanimité auprès des différents professionnels présents et de nombreux festivaliers. Le duo acid-house, inspiré de Liaisons Dangereuses et au penchant électro-punk à la Suicide (le binôme a d’ailleurs collaboré avec le regretté Alan Vega), réussit à respecter la diversité propre aux débuts de la culture acid, sans pour autant tomber dans la nostalgie, et livre des sons bruts sur lesquels un MC vient de temps en temps poser une voix déformée par des effets de distorsion et de reverb. Ce désir de fournir une alternative cinétique à l’aspect plus clinique et cosmopolite de la musique house contemporaine se retrouve dans tout le travail de Paranoid London. Ils puisent dans la même esthétique DIY sans fioritures qui a façonné les débuts de la scène house, et leur refus de suivre les règles – aucune promo, aucun album, aucun téléchargement et aucun écart – est admirable.
Saluons aussi la performance de la diva du kuduro Pongo. L’ex chanteuse de Buraka Som Sistema, qui s’est fait connaître à travers le monde avec l’hymne Wegue Wegue, a offert une prestation entraînante et au niveau d’énergie franchement impressionnant. Impossible de rester sur place.
Jour 2
Cette deuxième journée a clairement été marquée par l’impressionnante performance du montréalais Martin Messier, venu présenter sa nouvelle œuvre, Echo Chamber. inspirée par deux pratiques médicales différentes, les ultrasons et l’acupuncture. À l’aide d’un dispositif de performance qu’il a lui-même créé – trois panneaux équipés de plaques génératrices de son auto-réactives et de longues aiguilles maniées comme des instruments – Messier met en scène un spectacle qui explore la résonance, l’ombre et la lumière et le corps lui-même. Les aiguilles sont utilisées pour percer les panneaux, générant des séquences sonores spécifiques, tandis que l’éclairage brutal illumine ou projette des ombres sur l’ensemble du spectacle. À d’autres moments, les panneaux deviennent des écrans de projection, transposant les mouvements de Messier en formes obscures, ou affichant des charges électriques. Un spectacle envoûtant, où sobriété et minimalisme riment avec puissance.
L’autre belle surprise de la journée fut le set de l’improbable DJ Marcelle (Marcelle Van Hoof). Considérée comme une sorte de blague par plusieurs, la DJ et productrice néerlandaise se tient loin des conventions et des normes du milieu du DJing, d’abord par son (non) look et surtout par sa sélection musicale et sa façon de mixer, qui s’apparente plus à celle des DJs de sound systems jamaïcains. Le beat to beat et la précision n’ont pas vraiment d’importance avec DJ Marcelle, c’est le choix des musiques qui prime avant toute chose, et c’est ce qu’on aime. Celle qui a longtemps pratiqué le métier de journaliste écrit et radio, aime surprendre et amener le public à sortir de sa zone de confort. Ses 20 000 vinyles et ses nombreux albums témoignent de son expérience et de l’étendue de sa connaissance musicale. Jungle, free jazz, musiques traditionnelles, dancehall, techno et davantage font partie des caisses de disques qu’elle traîne d’un événement à l’autre.
Dernières mais certainement pas des moindres, Octo Octa et sa partenaire Eris Drew ont offert une perfo b2b époustouflante et euphorisante. Un set plein de bonheur et d’énergie servi avec passion par les deux icônes d’une house libertaire et fédératrice. Le plaisir plus qu’évident qu’ont les deux DJ à collaborer ensemble et faire jouer une musique qu’elles aiment et connaissent jusqu’au bout des doigts était franchement transcendant. Une véritable science du dancefloor.
Jour 3
L’américain DJ Python, (Brian Piñeyro, également connu sous les alias Deejay Xanax et DJ Wey), a livré un set chaud et sensuel sous un soleil de plomb. Qualifiant sa musique de « deep reggaeton », Python va beaucoup plus loin que les rythmiques redondantes associées au genre. Sa proposition est à la fois tribale et sexy, touchant à la deep house, à l’afro-house, au dancehall, à l’IDM et à d’autres assemblages musicaux inattendus. Le producteur et DJ new-yorkais affiche un certain goût pour le décalage avec une belle cohérence.
Déjà présent la veille pour la conférence Androids Singing The Body Electric dans le cadre du Sónar+D, le mythique réalisateur, arrangeur, compositeur et musicien Craig Leon était samedi à l’affiche du Sónar By Day pour présenter quelques-unes de ses œuvres en compagnie de sa complice de longue date Cassell Webb. Assis derrière leurs laptops et machines, le duo a offert une prestation assez statique (il a 70 ans et elle 74 tout de même) dans laquelle Leon revenait en partie sur ses premières œuvres Nommos et Visiting, jouant quelques pièces des deux albums aujourd’hui quarantenaire. Affichant une feuille de route plus qu’exemplaire (outre son travail du côté de la musique classique, on lui doit la réalisation d’un nombre incroyable d’albums mythiques, notamment le premier des Ramones, de Suicide, de Blondie, de Richard Hell en passant par les Talking Heads, The Fall, The Sound, Front 242, The Weirdoes, DMZ, The Pogues, Bangles, etc.), inutile de dire que le personnage était attendu par une bonne poignée de festivaliers. La musique électronique de Leon est minimale, obsédante, joliment surannée ; les rythmes et les sons nous ramenant parfois aux premiers Suicide, Kraftwerk et autres pionniers de la musique électronique.
30 ans demain
Un bon festival, c’est une curation qui suit une certaine vision artistique d’une édition à l’autre, c’est bien entendu un site convivial offrant une qualité sonore et visuelle optimale et c’est bien sûr le public. Sónar réunit tout cela, à quelques écarts près, notamment au niveau de la programmation qui parfois suit un peu trop les tendances actuelles au détriment de la qualité artistique. Mais comme l’offre est tellement généreuse, il est facile de tourner le dos à un spectacle un peu trop cheesy pour s’enligner vers quelque chose de plus pointu, ou de simplement faire un tour au bar.
Ce qui est assez remarquable avec le Sónar By Day est sans conteste l’auditoire. Une foule excentrique, bigarrée, colorée, festive et étonnamment bien plus âgée que celle que l’on peut croiser dans les festivals du (presque) même acabit ailleurs. On se sent à sa place, entouré d’une bonne vibe positive et sympathique. C’est ça le gros plus de Sónar et c’est en grande partie pour cette raison (et la musique!) qu’on espère y retourner l’an prochain pour la 30e édition, édition qui promet d’être encore plus magique!