Sandeep Bhagwati est une authentique et vibrante incarnation du transculturalisme en musique, on en contemple l’étendue au cours de la saison 2023-24 de la SMCQ, en voici la plus récente illustration : lundi et mardi dernier au Coeur des Sciences de l’UQAM rempli à pleine capacité, le compositeur mis en lumière dans la Série Hommage de la SMCQ proposait une œuvre « profondément émotionnelle, spirituelle et immersive ».
Pour 4 voix et 4 trombones, Prana explore la respiration en s’inspirant de concepts spirituels issus d’Asie méridionale. Au programme, inspiration, expiration, méditation, quête texturale, fréquentation des 7 chakras yogiques du corps, exécution, comprovisation – combinaison des mots composition et improvisation, illustrant et assumant la coexistence dynamique de ces deux pratiques dans la création musicale.
Isolés dans différentes localités pendant la pandémie, les trombonistes avaient uni (en visio, on imagine) leurs souffles respectifs, grâce aux exercices de respiration induits par ce projet de comprovisation. Inspiré par cette expérience, Bhagwati a composé Music of Breaths, écrite cette fois pour quatre voix a cappella. De cette idée de fusionner les deux expériences naquit Prana.
« En sanskrit, explique Bhagwati d’entrée de jeu, Pra signifie remplir et Na signifie la vie ou la respiration. » Ainsi, Prana explore les sons générés par le souffle humain et offre « de nouvelles perspectives dans votre manière de respirer et d’écouter ».
Montréalais d’adoption issu des cultures indienne et allemande, le compositeur et théroricien de la comprovisation transculturelle s’exprime ici en français, anglais et allemand. Il introduit en toute clarté son œuvre composite, fondée sur une synthèse de concepts à la fois philosophiques et spirituels, concepts induisant les sons à exprimer par les 4 chanteuses et les 4 trombonistes : Kathy Kennedy, Sarah Albu, Elizabeth Lima, Andrea Young, Felix Del Tredici, Kalun Leung, David Taylor, David Whitwell.
D’abord c’est l’expression des cuivres qui s’échangent des notes longuement expirées, puis c’est au tour des voix de s’exprimer sur des fréquences linéaires. Puis les 8 artistes travaillent ensemble, puis en sections, et ainsi de suite jusqu’à une conclusion plus élaborée au plan compositionnel.
Les techniques étendues du jeu de trombone (grommellements, harmoniques graves, souffle humain exacerbé à travers le son de l’instrument , etc.) et des voix (jeux subtils d’onomatopées, vaste lexique de recherches texturales, etc.) nous mènent à cette zone de comprovisation aménagée par Sandeep Bhagwati.
La structure des jeux d’expressions est simple et exige la créativité de chaque interprète en temps réel, ce qui n’est pas sans rappeler plusieurs expériences d’improvisation libre observées au fil des dernières décennies, légèrement harnachées par un système compositionnel peu contraignant. La surimpression des voix et des trombones exige néanmoins une vraie cohérence compositionnelle, des éléments pré-enregistrés (évocations respiratoires directes ou indirectes, etc.). Les trombones optent alors pour des sons continus et les voix s’expriment en saccades, ce qui produit un contrepoint intéressant.
Des fragments de mélodies s’imbriquent subséquemment dans un tout organisé, côté trombones, un bestiaire vocal se met alors en branle et nous sommes alors quelque part entre le concert et la randonnée en forêt équatorienne.
En fin de parcours, l’organisation des sons imaginés par Sandeep Bhagwati devient plus dense et plus complexe, ce qui requiert une direction d’orchestre (Cristian Gort) et un effort supplémentaire des interprètes pour étoffer le discours et en exécuter la conclusion.
crédit photo: Marie-Ève LaBadie