installation / Musique contemporaine

Semaine du Neuf | Parcours spirituel au cœur de la matière et du son

par Alexandre Villemaire

Jean-François Laporte, artiste québécois présent sur la scène de l’art contemporain depuis le milieu des années 1990, propose des créations intégrant la performance, l’art sonore, la composition musicale, la performance, l’interprétation, l’installation ainsi que l’art numérique. Dans le cadre de la Semaine du Neuf, dans les locaux mêmes du Groupe Le Vivier, il présente Spirituel, une installation sonore dans laquelle le public est invité à s’immerger et à circuler pour « explorer les méandres de son être, à contempler ces instants uniques où le visuel et le sonore se rencontrent dans une harmonie inédite » Nous avons eu l’occasion d’assister à la performance, de même que d’en discuter avec le compositeur, au sortir de ce court voyage dans cet environnement sonore éthéré.

Quand nous entrons dans la salle de l’église St Hildas, lieu où loge maintenant le Vivier, nous sommes accueillis par une structure disposée de manière circulaire au centre de la pièce : douze bols métalliques de différentes tailles, retournés sur eux-mêmes, et un treizième surélevé, la partie creuse orientée vers le ciel. Sur ces bols, rétroéclairés par des lumières changeant de couleurs au gré de la performance, un fil pend, accroché à un trépied. À l’extrémité de ce fil, une petite hélice rotative qu’il va faire tourner autour du bol, alimenté par un moteur, pour produire du son. Voilà la base de ce qui se dévoile à nos yeux et à nos oreilles dans cette salle en bois plongée dans la pénombre. Instinctivement, on est appelé à tourner autour de cette installation, intrigué par sa forme, légèrement dubitatif quant à ce que nous allons entendre.

Progressivement, certains bols se mettent à chanter doucement, illuminés par un éclairage rouge. De plus en plus, les sons générés par les frottements réguliers et irréguliers des hélices deviennent plus nombreux, plus rapides, alors que les textures sonores et visuelles changent. Les frottements qui nous évoquent le bruit des bols tibétains font place à des frappes rapides de quelques hélices qui, disposées sur le socle de ces bols, imitent les attaques percussives des joueurs de tablas indiens avec leur sonorité unique ; quelques instants plus tard, c’est la masse sonore d’un gamelan qui est évoquée pour finalement finir par des sons rappelant ceux de nos clochers d’églises.

À être seuls dans cet environnement sonore, libres de circuler dans l’espace, de nous arrêter et de contempler le son, nous sommes plongés pendant les 15 minutes que dure l’installation dans son entier, dans un espace où le temps semble s’arrêter ou devenir élastique. L’organicité avec laquelle les différentes strates musicales s’enchaînent et gardent notre attention et notre curiosité en éveil. On reste dans l’expectative en se demandant quel élément va s’activer, où, comment et quelle sera son intensité, tant sonore que visuelle. Des réflexions nous viennent aussi dans cet espace, où l’on cherche à décoder comment la thématique de la spiritualité, outre le fait d’être présentée dans l’enceinte d’une église, s’articule musicalement. Les douze bols ne représenteraient-ils pas les douze sons de la gamme chromatique ou les 12 apôtres du Nouveau Testament ? Les référents musicaux entendus évoqueraient-ils à leur manière les grandes religions comme l’hindouisme ou le bouddhisme ? Les réponses sont multiples et personnelles, ce qui rend chaque visite et itération de l’œuvre unique pour chacun.

Alors que nous sortons de ce cocon visuel et sonore, dans lequel on aurait aisément pu se laisser emporter et bercer, nous abordons la discussion avec Jean-François Laporte en nous enquérant de son passé et de sa formation musicale.

Jean-François Laporte : Au départ, je ne connaissais rien. Je suis arrivé dans le monde de la musique à 25 ans, je ne connaissais rien de l’art. À part que j’aimais la musique depuis que je suis petit. Je suis allé en Afrique centrale quand j’avais 18-19 ans en 1988 avec Jeunesse Canada Monde, au Zaïre [aujourd’hui la République démocratique du Congo]. C’est là que j’ai découvert ce qu’était la musique. Ce que je connaissais de la musique, c’était d’être auteur-compositeur. Au départ, j’ai fait des études en génie civil et je travaillais dans le milieu de la construction et je n’aimais pas ça du tout. Même si je faisais de l’argent et que tout le monde me disait : « Tu as un bon job et un bon salaire », ce n’est pas ça qui me passionnait. À un moment donné, j’ai eu le flash que ça faisait déjà quatre ans que j’étais revenu d’Afrique, et je me disais à moi-même : tu aimes ça, la musique ? Tu devrais peut-être suivre des cours. Donc, j’ai tout lâché. Je me suis donné cinq ans et je me suis dit que d’ici mes 30 ans, si jamais ça fonctionne, je continue. Je suis entré au Cégep Marie-Victorin, qui était le seul collège à l’époque où tu pouvais entrer sans avoir de bagage en musique. J’y suis allé en voulant être auteur-compositeur et tout de suite, j’ai découvert plein de trucs. On était quatre étudiants, on s’était payé un prof de compo en quatre sessions. Je n’ai jamais fini mon DEC parce que j’ai été accepté en musique à l’Université de Montréal. À l’époque, des gens comme moi étaient obligés de faire un cursus de quatre ans et non trois, avec la première année où on faisait de l’électro et de l’instrumental. C’est là que j’ai découvert plein de mondes et plein de choses : la pièce de Varèse Poème symphonique composé pour l’Exposition universelle de 1958, la musique de Parmegiani, l’électroacoustique, etc.

PAN M 360. : Quels sont les éléments qui vous inspirent personnellement dans vos compositions?

Jean-François Laporte : Le timbre est au centre de tout ce que je fais. Ce qui m’intéressait pendant longtemps, c’était d’être dans une masse, et d’être capable de sculpter avec les oreilles, d’entendre des trucs et de vraiment aller à la rencontre d’éléments qui sont présents, mais qu’on n’écoute pas normalement. Ce qui m’intéresse dans les musiques orientales, le shakuhachi, par exemple, j’aime le vent, j’aime l’impureté, les bouts de salive que tu entends, alors qu’avec la flûte traversière, même si c’est très proche, il n’y a pas de souffle, tu as juste de belles notes. Alors que dans les autres instruments, le souffle en fait partie.

PAN M 360 : D’où vous est venue l’idée de l’installation cinétique, sonore et visuelle Spirituel ? Pourquoi avoir fait le choix d’en faire une installation plutôt qu’une œuvre performative destinée à la scène ?

Jean-François Laporte : On peut faire remonter tout ça à ma professeure de composition à l’Université de Montréal, Marcelle Deschênes, qui était une femme extraordinaire et qui a ouvert des portes à plein de monde et à plusieurs compositeurs. On était vraiment à l’écoute de chaque individu. Avec elle, on n’a jamais vraiment parlé de musique comme telle, à part après les concerts. Pour elle, la musique, ce n’était pas la partition. Sur le choix du format, j’aime beaucoup les défis. Tu viens dans une installation, tu n’es pas dans le même mode d’écoute que si tu viens à un concert. L’installation, je trouve qu’elle est chouette dans la mesure où elle permet une notion du temps qui est malléable. Des fois, un concert, tu n’y vas pas parce qu’il est arrivé quelque chose et tu ne peux pas y aller. Tandis que l’installation, ce n’est pas grave. C’est de 12h à 18h, tu peux venir quand tu veux. Tu es un peu plus relax, tu es libre. Personne ne te prend par la main. Ça permet de le vivre à sa façon.

Spirituel est présenté jusqu’au 15 mars, à l’Espace Ste-Hilda entre 12h et 18h. INFOS ICI

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