L’existence humaine en ce siècle trouble, l’aliénation au travail, la quête d’un espace rituel pour évacuer les , l’évocation de la symbolique des fantômes, ombres de nous-mêmes ou esprit des morts. Avec Ghostland, une œuvre immersive née en 2016, le compositeur français Pierre Jodlowski a voulu produire un choc, un fracas, divers états fantomatiques reliés à nos existences, mais aussi des sourires et de la sensualité.
Éminemment immersive, l’œuvre est conçue pour percussions, trame sonore, écran chinois, projections sophistiquées, manipulation d’objets en direct. Les interprètes y sont à la fois virtuoses de la percussion et acteurs/figurants de cette performance interdisciplinaire.
L’œuvre se déploie sur trois tableaux dont le principal, Büro, se veut un espace virtuel illustrant un lieu de travail dépersonnalisé, vaste salle garnie d’ordinateurs. Voilà le terreau idéal pour le burn-out, la dépression, voire le suicide comme ce fut le cas chez Orange, un service de téléphonie en France qui avait défrayé la manchette pour une vague de suicides et qui fut une source d’inspiration pour cette pièce. Précédemment, des croquis de meubles fluorescents servent aux percussionnistes afin de se déplacer devant et derrière l’écran. Il y a un récit au programme. Il y a des phrases dites en allemand, il y a 4 percussionnistes se consacrant à différentes fonctions.
Aurez-vous déduit que nous ne sommes plus exactement dans la percussion contemporaine au sens où les Percussions de Strasbourg, se sont fait connaître, on pense ici à l’arsenal des timbales, marimbas, cymbales et autres gong utilisés couramment dans les ensembles de percussion.
Après six décennies d’activités, l’institution française s’est renouvelée, ses interprètes tendent à maîtriser tous les vocabulaires percussifs, de l’électro au rock au jazz contemporain en passant par diverses traditions non occidentales. Par exemple, le jeu simultané de quatre batteries sur fond électroacoustique incluant un déferlement de noise, de darkwave ou même d’échantillons traités de riffs de guitares harcdcore/métal, s’avère plus que concluant pour rafraîchir toute proposition associée au corpus contemporain.
Chez Jodlowski, nous ne sommes plus dans un seul sillon, mais bien dans l’assemblage et l’intégration de référents multiples au service d’une seule esthétique, fort heureusement d’ailleurs.
Par rapport à Ghostland, mes seules réserves résident essentiellement dans la pertinence du troisième tableau (Pulse) par rapport aux deux précédents (Holon-S et Büro) dont la jonction reste cohérente dans la trame dramatique. Les percussionnistes se mettent alors au service d’une chorégraphie et d’une interaction avec la manipulatrice d’objets qui est un personnage en soi. La proposition musicale se fait alors plus mince au profit de la gestuelle ce qui produit une agaçante impression de longueurs… on aurait donc préféré rester au bureau et y suivre la trajectoire des morts-vivants qui y bossent à contrecœur. Mais bon, d’autres vous diront possiblement le contraire…