Pour une dixième année consécutive, la Fondation Azrieli célébrait lundi à la Maison symphonique les quatre compositeurs lauréats des Prix Azrieli de Musique 2024, dont les œuvres pour chant choral et ensemble instrumental ont notamment évoqué l’âme et la métaphysique juives dans un contexte contemporain.
Animé par l’initiatrice de cette fondation, la chanteuse et généreuse mécène Sharon Azrieli, et l’ex-radio-canadien Mario Paquette, cette soirée a mis de l’avant les oeuvres primées, majoritairement jouées en première mondiale.Des musiciens de l’OSM et le Chœur de l’OSM sous la direction de son chef, l’éminent Andrew Megill, ont exécuté des œuvres chorales très spéciales.
Light to My Path, fantaisie chorale pour chœur mixte, saxophone et percussions et piano, du compositeur israélien Josef Bardanashvili. Ainsi chacun des cinq mouvements de cette pièce associe différentes configurations de l’ensemble : chœur d’hommes a cappella, chœur de femmes a cappella, chœurs mixtes avec musiciens, chœur mixte a cappella. Les non Juifs ont tout intérêt à découvrir l’approche chorale inspirée des écrits sacrés de la religion juive, les inclinations vocales y sont uniques – on peut notamment s’y familiariser à l’écoute de l’album You Want It Darker de Leonard Cohen, qui avait mis à contribution des choristes très inspirés.
Ainsi, le compositeur maintient le lien du sacré dans Light To My Path, avec de formidables appels et réponses, canons, contrepoints fabuleux, sifflements ornementaux et autres effets probants. La technique vocale y est distincte, plus proche des voix baroques ou de la Renaissance. La différence avec les chants sacrés connus de la tradition juive repose ici sur les harmonisations modernes et l’accompagnement instrumental.
En second lieu, le compositeur Yair Klartag voyait The Parable of the Palace,son œuvre pour chœur et quatre contrebasses actualiser davantage la notion de spiritualité. Le parti-pris du compositeur pour la musique contemporaine, vu l’instrumentation choisie et l’harmonisation des voix, contraste avec l’inspiration première de cette œuvre primée par la Fondation Azrieli: la parabole du palais extraite du Guide des égarés du philosophe talmudiste Moshe ben Maïmon dit Maïmonide, avant vécu au XIIe siècle et s’exprimant dans cette langue judéo-arabe aujourd’hui disparue. Les passages de cet écrit métaphysique essaient de tracer cette fine ligne entre la raison et l’irrationalité, et auraient influencé le compositeur en quête de notions universelles dans le contexte actuel, à commencer par ce désir insatiable des humains « de se rapprocher du divin sans jamais le comprendre » Notions néanmoins mystiques, profondément traditionnelles et clairement identitaires.
La troisième œuvre au programme, Symetrias Prehispanicas, était celle du Mexicano-Américain Juan Trigos, qui s’inspire de la cosmologie aztèque, projections d’images à l’appui (gracieuseté du frangin Luciano Trigos), et d’écrits poètes aztèques du XVe siècle, connus ou anonymes. Les chants sont exprimés en espagnol et en nahuati. On y observe une cohabitation encore plus serrée entre tonalité, modalité et atonalité, les hachures et entrechoquements des voix et des instruments y est plus costaud. Cantate-Oratorio pour choeur mixte et ensemble, l’œuvre se déploie sur 11 tableaux regroupés en 4 partie distinctes, récit non linéaire illustrant cette pensée aztèque du monde avant que les conquistadors espagnols ne l’occultent par la force comme on le sait. Voilà certes la plus actuelle des œuvres au programme.
En dernier lieu, on récompensait Kanata pour voix SATB a cappella, œuvre composée par le Canadien Jordan Nobles, la plus courte et la plus singulière au programme des Prix Azrieli 2024. À la fois linéaire, horizontale et brillante d’un point de vue textural, assortie de très subtils décalages rythmiques des motifs vocaux, cette œuvre résulte d’une « méditation sonore sur les notions de lieu, de paysage et domicile ». Une traversée pancanadienne en train aurait inspiré le compositeur a créé ce joyau choral, à la fois succinct et brillant.