americana / jazz-rock / kebamericana / rock prog / stoner-rock

Francos ​| Fred Fortin transplante le décor

par Alain Brunet

Sorti en 2004, Planter le décor est un album-clé de Fred Fortin. Vendredi soir au Club Soda,son concepteur confiait à ses fans avoir résisté aux pressions d’en exécuter la matière sur scène. Il a fini par accepter lorsque sa tendre moitié a tranché : « Tu le fais ». Ce que femme veut, Fred le veut, et voilà une salle remplie à ras bord deux soirs d’affilée aux Francos de MTL, devant une foule essentiellement  trentenaire et quadragénaire, venue revivre sa jeunesse pendant une paire d’heures.

Nostalgie quand tu nous tiens? Très rarement en ce qui me concerne, mais cela me semblait justifié cette fois. Justifié parce que Fred avait réuni l’alignement originel de l’album :  Jocelyn Tellier et Olivier Langevin aux guitares, Dan Thouin aux claviers, Alain Bergé à la batterie,  le chanteur aux basse et guitares, assurément un personnel de très haut niveau dans le paysage keb francophone.

Ce fut un show à la mesure de ces musiciens et leur employeur de Saint-Prime, soit un mélange très relevé de culture populaire et de recherche stylistique, mariage réussi entre virtuosité, pesanteur et rugosité bien placées, entre langue familière et langue plus fine.

De quoi être assurément ravi, deux décennies de maturité ont fait le travail: la saturation dans les fréquences basses et moyennes, les subtilités harmoniques  et rythmiques en complément des accords rock, country ou blues, la haute virtuosité de ces interprètes, voilà autant d’éléments pour nous ramener dans ce décor planté deux décennies plus tôt.

Comme dans l’album, il a commencé par Mélane, le récit d’un homme à la dérive sous un ciel de vautours, s’adressant à sa compagne qu’il imagine telle une bouée de sauvetage pour son existence perturbée.

Il enchaînait par Conconne, l’assassinat rocambolesque d’une chanteuse idiote, balancée dans le fond d’un canyon par un mâle enragé. Le tempo s’accélère avec Lucia, lourd stoner rock mâtiné de prog et de country, servi à trois guits dans ta face.S’ensuit Pop Citron, pur country clopin-clopant, décrivant un loser pas vraiment beautiful, frimeur de roman savon dont la gueule se vend comme du pudding.

Il est alors le temps de faire plaisir aux collègues en déployant Ti-chien, une instrumentale polyrythmique aux accents de jazz et de prog, s’y démarquent les jazzmen du quintette – Tellier, Thouin et Bergé.

Tant qu’à être canin, voici l’histoire du chien Robeur qui s’ennuie et qui déguerpit jusqu’au rang 6 avant d’être repéré par son maître, autre stoner rock au tempo lent, assorti de merveilleux ponts.

Nous voilà à Chateaubriand, le filet mignon fantasmé par la traversée du désert sur fond d’un folk americana haché tartare par des beats de plus en plus costauds dont Alain Bergé a le secret.

Et re-country au petit trot, évocation d’une Dérape se concluant par un bon café qui chasse les mauvais esprits.

Un peu plus tard, le récit d’une autre dérape s’avère moins hop-la-vie, elle immerge la face du narrateur dans un bassin de Scotch , triste brosse d’un mec sans compagne,  ça file un mauvais coton. Le narrateur doit rentrer en taxi, l’harmonica plaintif se fond dans le prog-rock archi-saturé, nous sommes touchés par le dialogue entre les guitares et la basse, soutenus par des claviers impressionnistes et un beat on ne peu plus viril.

Une fois l’album entièrement joué, le quintette de Fred Fortin enchaîne une autre dizaine de ses classiques au grand plaisir de ses fans de la première ligne, complétant le tout par trois rappels, deux acoustiques et une dernière pour la route avec formation complète, la Loi du chocolat.

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country / folk / rap emo / rock

Francos | GreenWoodz, l’aura d’une rockstar

par Jacob Langlois-Pelletier

Malgré un changement de direction vers un son plus folk et posé sur son plus récent album, GreenWoodz avait promis un « méchant party » pour sa soirée de lancement. Promesse tenue : le rappeur a enflammé le Studio TD, enchaînant ses nouveaux morceaux sans oublier ses classiques.

Dès son entrée, le natif de Mandeville se montre charismatique à souhait. Arborant une veste en cuir et un jean, GreenWoodz possède l’aura d’une rockstar. Et qui dit rockstar dit public en haleine : du début à la fin, les spectateurs agglutinés devant la scène chantaient mot pour mot chacune de ses pièces.

Le constat est frappant : il entretient une connexion spéciale avec celles et ceux qui l’écoutent. Le lancement prend rapidement des allures de grande soirée entre amis. Tout au long de la fête, il multiplie les échanges avec les gens sur place, allant même jusqu’à descendre dans la salle à deux reprises — notamment pour l’excellente Lucifer, tirée de son nouvel opus.

À ses côtés, on retrouvait un batteur, un guitariste alternant entre électrique et acoustique, ainsi que Cook Da Beatz, DJ et complice de longue date. C’est sur scène que se révèle pleinement l’influence emo-rap qui traverse sa discographie. Mélancolie, amour et tristesse sont au rendez-vous.

À mi-parcours, GreenWoodz s’approche du public et s’assoit sur un petit tabouret. Il s’apprête à interpréter Tommy, un poignant hommage à un ami parti trop tôt. Éclairé par les lampes de poche des téléphones, le rappeur de 7ième Ciel livre ce morceau d’une main de maître, donnant vie à l’un des moments les plus émouvants de la soirée.

Les fans présents au Studio TD ont également eu droit à quatre invités de taille. Shreez, Rymz, Souldia et Aswell sont tous montés sur scène pour interpréter leurs collaborations respectives. La montée de ce dernier pour leur titre IDGAF a confirmé que le hip-hop d’ici est entre de très bonnes mains avec ces deux hommes.

GreenWoodz a livré un spectacle généreux, vibrant et sans faux pas. Un lancement à l’image de son évolution.

Chanson francophone / Chansonnier / quatuor à cordes

Festival Classica | Pierre Flynn, revenir à bon port

par Claude André

Dans le cadre du Festival Classica, Pierre Flynn a revisité cinq décennies de chansons en version intime, accompagné d’un quatuor à cordes, pour un concert lumineux et habité dans l’église de Saint-Lambert.

Si le titre de notre dernier article sur Pierre Flynn, en novembre dernier au Gesù dans le cadre du Coup de cœur francophone, était Lumineux ténébreux, cette fois, c’est un résilient satisfait qui s’est présenté à nous, vêtu de ses habituels habits noirs.

Flynn, bien campé dans son univers, s’est installé au piano, déroulant des chansons souvent inscrites dans notre inconscient collectif, fruits d’une cavale artistique de plus de cinquante ans. Il a amorcé la soirée avec Le vent se lève (arrangement de Richard Grégoire) du groupe Octobre pour conclure avec Capitaine, ô capitaine en rappel, une pièce qui, dans cette enceinte catholique, résonnait d’une lumière particulière.

Dans cette église de Saint-Lambert, l’ex-figure de proue de la formation culte Octobre nous a donc offert un spectacle enrichi d’un quatuor composé de deux violons, d’un alto et d’un violoncelle, un projet initié par le Palais Montcalm de Québec, sous la direction musicale de Caroline Béchard. Le quatuor réunissait également Mélanie Charlebois (violon), Karina Laliberté (alto) et Ryan Molzan (violoncelle). Si l’on ne ressentait pas une grande complicité visuelle entre Flynn et les musiciens, peu d’échanges de regards, une admiration sincère, notamment d’une violoniste, transparaissait discrètement.

On notera un savant travail d’éclairage naturel : la lumière filtrant au travers des vitraux s’amenuisait à mesure que la nuit tombait, offrant une transition visuelle délicate et réussie.

Au cours de la soirée, Flynn n’a pas hésité à jouer avec une certaine autodérision, évoquant ses longues périodes de procrastination entre chaque album avec humour et lucidité, sans jamais tomber dans la confession appuyée. En filigrane, on comprenait qu’il revenait de loin, comme un marin dont la barque se serait égarée dans le triangle des Bermudes avant de se retrouver à bon port. Une image qui sied bien à cet amoureux du Québec, qui porte en lui une part de l’âme du pays, faite aussi du fleuve.

Musicalement, le quatuor à cordes a su ajouter une somptuosité sans lourdeur, loin des clichés pompeux : ni démesure ni envolées outrancières. Les arrangements, signés entre autres par Anthony Rozankovic (Croire), Boris Petrowki, Vincent Legault (Tadoussac), et Flynn lui-même, servaient les chansons avec sobriété. Quelques éléments électroniques, percussions enregistrées, beats, loops, venaient ponctuer la trame sans jamais écraser l’ensemble. Peu de solos instrumentaux, mais un habillage efficace et mesuré.

Le spectacle rappelait par instants la mise en scène sobre de Michel Faubert vue au Gesù, notamment dans Possession et ses lourdes chaînes symboliques qui battent la mesure. On retiendra aussi Sur la route, dont Flynn, avec un sourire en coin, disait ne jamais savoir comment conclure… avant de laisser les violons livrer une finale aussi inattendue que réussie, qui ressemblait à un clin d’œil souriant à Mozart.

Nous avons également redécouvert la beauté de certaines de ses chansons, notamment La maudite machine, reprise à la guitare, ou encore Ma petite guerrière, dédiée à sa fille aujourd’hui devenue photographe accomplie. Clin d’œil inattendu, Flynn a livré une version pleinement satisfaisante de Alone and Forsaken de Hank Williams. Le spectacle, dans son ensemble, a été chaleureusement salué par les nombreuses têtes blanches de la salle.

En quittant l’église pour reprendre le pont vers la ville, la vue s’ouvrait sur l’immense Biosphère, enrobée de sa lumière verte, magnifique, tandis que scintillaient les immeubles de Montréal et que la musique de Flynn coulait encore doucement dans nos veines.

crédit photo : Annie Bigras

baroque / période classique

Violons du Roy à Bourgie : effervescences symphoniques de la Vieille France

par Frédéric Cardin

Les Violons du Roy clôturait la saison 24-25 de la salle Bourgie hier soir avec un programme de bulles musicales dignes de Mme Cliquot. La symphonie ‘’à la française’’ était à l’honneur. Attention, pas celle de Franck ou Ravel, plutôt la première symphonie, celle des origines. On parle ici de Gossec et de Rameau, aussi d’un certain Duport que la plupart des mélomanes, même avertis, n’ont jamais entendu. 

Sous la direction et la construction thématique de Nicolas Ellis, le programme a été lancé par une pétillante symphonie de François-Joseph Gossec (1734-1829), compositeur encore très mésestimé aujourd’hui. Et pourtant, la petite oeuvre en trois mouvements, une des quelques 49 qu’il a composées, a de quoi séduire et réjouir : des mélodies fringantes, une orchestration de contrastes excitants et des rythmes allègres en font un plaisir d’écoute fortement recommandé à tous ceux et celles qui se passionnent pour la vivacité d’un Mozart ou Haydn. 

La suite a fait place à un Concerto pour violoncelle, le no 6 en ré mineur, de Jean-Louis Duport (1749-1819), apparemment grand virtuose de l’instrument en question. On n’en doute point, étant donné le caractère redoutable de cette partition, et je pèse mes mots. Quand on constate que même une sommité comme Raphaël Pidoux, membre du trio Wanderer (ce n’est pas rien), ne réussit pas toujours à sortir indemne des chausses-trappes techniques imposées par Duport, c’est dire qu’il s’agit d’une oeuvre représentant un défi formidable. Cela dit, Pidoux a insufflé une dose d’élégance et de lyrisme (très lyrique andante cantabile central) tout à fait séduisantes et a reçu un bel accueil du public, à raison. Voici une œuvre qui mérite d’attirer les plus aguerris des solistes d’aujourd’hui, il y a de quoi faire!

Raphaël Pidoux et Les Violons du Roy – crédit : Pierre Langlois

La dernière partie du concert nous a fait entendre la ‘’symphonie cosmique’’ de Jean-Philippe Rameau (1683-1764). La quoi? Non, Rameau n’a pas vraiment écrit de ‘’symphonie cosmique’’. Il s’agissait en vérité d’une construction du chef Nicolas Ellis, qui a pigé dans le répertoire d’opéras et de ballets de Rameau pour concocter une vaste fresque en quatre mouvements évoquant la création du monde, les saisons, la terre, le vent, les orages et même le temps. Un cinquième mouvement, retour à l’interstellaire, dessinait l’explosion d’une supernova et faisait appel à une pièce de Jean-Féry Rebel (1666-1741), le Chaos, extraite de ses Élémens

L’architecture pensée par Ellis fonctionne très bien. les contrastes entre les morceaux tracent une ligne narrative qui refuse l’ennui, et utilisent à escient certains airs déjà connus du compositeur.

Ce qui a impressionné le plus, mais on n’en sera surpris, c’est la saisissante limpidité et chirurgicale technicité des Violons du Roy. Quel bonheur d’entendre cette qualité de jeu, ces contrastes abrupts et parfaitement réussis, ces envolées de tendresse enchaînant des cisailles piquantes, et ce rapport parfait au discours des partitions. Nicolas Ellis dirige avec une fraîcheur contagieuse.

Une finale de saison réussie.

chant lyrique / classique occidental

Fleuranne Brockway, grande lauréate de Voix 2025 au CMIM

par Alexandre Villemaire

Ils étaient 348 à avoir appliqué l’automne dernier. De ce nombre, 24 concurrents ont été sélectionnés pour au terme de 11 jours d’épreuves vocales, pour n’être que dix demi-finalistes, puis cinq à tenter de rafler les grands honneurs. Devant un parterre à la Maison symphonique bien remplie, c’est la mezzo-soprano australienne, originaire de Perth, Fleuranne Brokcway qui a remporté les grands honneurs de l’édition Voix 2025 du Concours musical international de Montréal.

Après avoir débuté son épreuve avec l’air « Près des remparts de Séville » extrait de l’opéra Carmen de Bizet, qui avait commencé avec un léger grain dans la voix, c’est surtout dans sa musicalité et sa forte présence scénique que la jeune chanteuse originaire de Perth s’est illustrée. L’air des lettres de Werther de Massenet a été dressé tout en finesse et avec émotion alors que l’air de Roméo « Se Romeo t’uccise un figlio » tiré de l’opéra bel cantiste I Capuleti e Montecchi a mis en évidence l’étendu de son registre avec des graves appuyés et des aigus agiles et lyriques, comme en témoignent la cavatine concluant l’air. D’une valeur de plus de 75 000$, le 1er prix comprend un montant en argent de 30 000 $ offert en partenariat avec la Ville de Montréal, une bourse de développement de carrière Joseph-Rouleau d’une valeur de 40 000 $ offerte en partenariat avec la Fondation Azrieli; le Prix Aria de l’Opéra de Montréal d’une valeur de 5 000 $ offert en partenariat avec l’Opéra de Montréal et le Prix de l’Opéra de Montréal, soit un engagement pour un rôle dans un opéra dans la programmation subséquente de l’Opéra de Montréal.

Fortement ovationné, à la fois pour son programme audacieux et son timbre puissant, le seul ténor de cette finale, le Sud-Coréen Junho Hwang a entre autres livré l’air de Rodolfo de La bohème « Che geliba manina » avec un caractère incarné et un impressionnant contre-ut ainsi que l’air « Il était une fois à la cour d’Eisenach » fameux numéro des Contes d’Hoffmann plein d’espièglerie. Il s’est mérité la deuxième prix Pierre-Péladeau et Raymonde-Chopin d’une valeur de 25 000 $, comprenant un Prix en argent de 15 000 $ offert en partenariat avec Québecor et une bourse de développement de carrière Joseph-Rouleau d’une valeur de 10 000 $ offerte en partenariat avec la Fondation Azrieli.

Theodore Platt, baryton originaire du Royaume-Uni s’est quant a lui vu décerné le troisième prix comprenant un montant en argent de 10 000 $ offert en partenariat avec Stingray Classica et une bourse de développement de carrière Joseph-Rouleau d’une valeur de 10 000 $ offert en partenariat avec la Fondation Azrieli, pour un total de 20 000$.

Notons que Platt a été celui chez qui on pouvait déceler et un programme conçu de manière organique. Après « O vin dissipe la tristesse » du Hamlet d’Ambroise Thomas, il a enchainé avec une œuvre pour orchestre «  Ich atmet’einen linden Duft » extrait du cycle Rückert-Lieder de Gustav Mahler. Cette délicate mélodie a offert un moment de plénitude et de calme avant d’interpréter la très exigeante chanson d’amour « Ja vas lyublyu » (Je t’aime) extrait de l’opéra Pique Dame de Tchaïkovski. 

Comparable à Fleuranne Brockway  en termes de présence scénique, la soprano russe Julia Muzychenko-Greenhalgh, à offert un programme avec des traits virtuoses qui mettaient en valeur son agilité vocale, notamment dans l’air de Marfa « Ivan Sergeich, khochesh’, v sad poydyom? » tirée de La Fiancée du Tsar de Rimski-Korsakov ou encore le fameux Sempre Libera de La traviata de Verdi. Elle s’est cependant battue à un certain moment, surtout dans les passages le plus aigus, avec une certaine tension dans la voix. Ceci ne l’ a pas empêché de bien performer, mais a certainement freiné son potentiel expressif. Yewon Han de la Corée-du-Sud c’est quant à elle illustré dans une fine exécution de « Chacun le sait, chacun le dit » de La Fille du régiment de Donizetti, « Una voce poco fa » d’Il barbiere di Siviglia Rossini et « Ah! non credea mirarti » de La sonnambula de Bellini.

Malgré des performances honorables, les deux sopranos n’ont pas été retenus au classement final. Elles ont chacune reçu une bourse de 3000$.

Parmi les prix spéciaux à avoir été remis lors de cette soirée, la soprano française Fanny Soyer s’est vue octroyé le Prix du public ICI Musique d’une valeur de 5000$ ainsi que le Prix de la Résidence UdeM-McGill en piano -art vocal d’une valeur de 7500$. Avec ce prix, la jeune chanteuse sera amenée à travailler avec six jeunes étudiant·es de ce programme en accompagnement d’art vocal, en plus de présenter un récital dans le cadre de la résidence.

La soprano canadienne Arianne Cossette s’est quant à elle vu remettre le Prix André-Bourbeau de la meilleure artiste canadienne d’une valeur de 5 000 $ ainsi que le Prix de l’Observatoire québécois d’art lyrique d’une valeur de 1 000 $.

Le jury international.qui a évalué les performances de chacun est chacune des concurrents·es durant ces onze jours de concours était composé de membres reconnus mondialement pour leur expertise et leur expérience : Harolyn Blackwell, Iain Burnside, Étienne Dupuis, Anthony Freud, Roberto Mauro, Christina Scheppelmann et Delores Ziegler. Il était présidé par la soprano canadienne Adrianne Pieczonka.

Après une édition Voix 2025 haute en couleur, l’invitation est déjà lancée par le dynamique duo qu’est Chantal Poulin et Shira Gilbert, respectivement directrice générale et directrice artistique du CMIM, pour la prochaine édition 2026 qui sera dédiée au violon. La semaine du 27 mai au 4 juin 2026 est, assurément, déjà inscrite à notre agenda.

crédit photo : Tam Photography

Afrique / dance

C la vie : L’interminable danse des tambours pour clôturer le FTA

par Stephan Boissonneault

Pendant 30 minutes ininterrompues, le Théâtre de Verdure du Parc La Fontaine est un organisme vivant. Son cœur bat au rythme de la peau sur la peau, des mains qui frappent la peau, des pieds qui frappent la terre. C la vie, interprété par une troupe de danse fascinante issue du légendaire Faso Danse Théâtre en Belgique, est moins un spectacle qu’une force de la nature : un barrage ininterrompu de rythmes, de mouvements et de volonté humaine. Les danseurs émergent dans un tourbillon de mouvement, semblant naître du son même du batteur qui les propulse. Il n’y a pas d’entrées formelles, pas de moments de repos ou d’immobilité. Au lieu de cela, la performance se déroule comme une seule et même respiration, en expansion, en contraction, tremblante d’effort. L’endurance déployée est stupéfiante. Chaque interprète s’engage avec une férocité qui frise la transe, leurs corps étant enfermés dans une chorégraphie qui exige une dextérité implacable.

Les mouvements tournent en boucle, se fracturent, puis évoluent : les épaules tournent en rafales, les hanches se balancent en arcs de cercle précis, les genoux pompent comme des pistons. Et d’une manière ou d’une autre, rien ne faiblit. Des moments de chant émergent comme des éclairs dans l’obscurité – des cris bruts et résonnants qui tranchent l’assaut polyrythmique. Ces brèves éruptions vocales, tantôt solistes, tantôt chorales, laissent entrevoir un récit plus profond, intentionnellement fragmenté. On y entend des murmures de rituel, de défi, de désir, de joie. Une femme en robe dorée, Niako Sacko, fissurée par l’émotion, s’élève au-dessus du rythme avec une voix planante et parfois maligne, tandis qu’une autre danseuse s’effondre à genoux. Elle semble contrôler les danseurs, qui se déshabillent lentement, ruisselants de sueur.
Développé par Serge Aimé Coulibaly, chorégraphe burkinabé et figure emblématique des arts de la scène africains, C la vie « s’inspire des traditions Wara et Senufo, des carnavals occidentaux » et d’une insatiable soif de vivre. Le spectacle, qui ne comporte que quelques secondes de répit entre les danses, a été un peu trop éprouvant pour certains spectateurs. Peut-être avaient-ils besoin d’une histoire facile à digérer, mais C la vie exige que le public ressente la douleur dans les mollets des danseurs, la brûlure dans leurs poumons, la poigne de fer de la discipline sous chaque spirale fluide. C’est épuisant d’en être témoin, et c’est précisément le but recherché. Une façon intéressante de clôturer le FTA.

classique moderne / jazz contemporain

Festival Classica | Ze Boucherville concert

par Alain Brunet

Imaginées en temps réel à Cologne, le 24 janvier 1975, les impros incarnées du célébrissime Keith Jarret avaient marqué l’imaginaire sur la planète jazz. Un demi-siècle plus tard, The Köln Concert demeure sans contredit l’album piano solo le plus célèbre du genre. Sans surprise, je fais partie des millions de fans l’ayant écouté jusqu’à en faire traverser l’aiguille de ma platine dans le vinyle.

L’année de mes 18 ans, je ne connaissais pas alors les albums solo de Chick Corea (Piano Improvisations, 1971), Paul Bley (Open, to Love, 1972) ou Cecil Taylor (Indent, 1973) que je préfère désormais… et je sais fort bien que ces enregistrements n’ont pas eu le centième du rayonnement de The Köln Concert. Pourquoi donc?

Cet album est un mélange de folk post hippie, de musique romantique, de gospel, de soul et de jazz contemporain parfaitement consonant. La charpente de cette impro historique est relativement simple, ce qui se passe dans les impros (surtout de la main droite) peut être toutefois complexe et virtuose.

The Köln Concert fut un tremplin pour ce sous-genre que l’on qualifie de jazz de chambre, carrément la locomotive des centaines d’enregistrements produits par le légendaire Manfred Eicher sous sa fameuse étiquette ECM. 

On peut certes comprendre cet impact universel et pourquoi l’altiste François Vallières en a adapté les 4 « mouvements » pour quatuor à cordes. Excellent coup de Marc Boucher à la barre du Festival Classica, présenté dans la superbe église Sainte-Famille de Boucherville.

Qu’a fait François Vallières ? Il en a d’abord retranscrit la main droite et la main gauche, pour ensuite procéder à des harmonisations à 4 voix (ou plus lorsque les cordes sont doublées à l’archet) et transformer la texture de cette œuvre sans la dénaturer.

Plutôt que de choisir un premier et un second violon, il a distribué les responsabilités de soliste à Marie Bégin et Antoine Bareil, ce dernier étant chargé de reproduire les élans les plus virtuoses de la main droite de Jarrett. Impressionnant de voir des musiciens classiques d’aujourd’hui capables d’intégrer un « feel » jazz à leur exécution.

Le travail le plus remarquable de François Vallières se trouve à mon sens dans l’organisation d’une interaction inspirée des cordes et dans l’attribution des rôles. Pendant que le violoncelliste Stéphane Tétreault campe ici un rôle proche de la contrebasse en assurant le rythme dans les basses fréquences, ses collègues exécutent un contrepoint qui dépasse la  transcription d’un solo de piano. L’altiste Elvira Misbakhova occupe aussi un rôle important dans l’affaire, tant dans le jeu d’ensemble que dans certaines parties individuelles.

Le concert du 24 janvier 1975 devient ainsi un quatuor à cordes qui se tient et qui fera son chemin.

reggae

Festival des Saveurs | Reggae engagé avec SolidGround

par Sandra Gasana

Mon intuition me disait qu’il ne pleuvrait pas lors du concert de SolidGround, en clôture du Festival des saveurs interculturelles de Saint-Michel. Elle n’avait pas tout à fait tort sauf peut-être pour les premières minutes du concert. Car dans l’ensemble, la pluie a fait une petite pause pour permettre aux spectateurs de profiter d’un concert de reggae gratuit de qualité. Malgré la météo capricieuse, le public présent a eu du plaisir et dansait au rythme du reggae.

A tour de rôle, différents artistes défilaient les uns après les autres, parfois en solo, parfois en duo, mais c’était toujours une surprise. Parmi les musiciens qui forment le collectif SolidGround, nous avions Alban Maréchal au clavier, Sol-Étienne Labesse à la batterie, Slim Samba aux percussions, Ons Barnat et Funk Lion à la guitare et Alain Burr à la basse, lui qui a longtemps joué avec Shauit.

Après une courte pause pour souligner la clôture du Forum social mondial des intersections, tous les musiciens artistes sont revenus pour une deuxième partie encore plus intense que la première. Le morceau de Face-T m’a replongé 20 ans en arrière, à l’époque de Kultcha Connexion, puisque dès les premières notes, j’ai reconnu son style particulier. D’ailleurs, son fils le regardait admirablement à partir des coulisses. Aldo Guizmo, quant à lui, a mis le feu à chaque fois qu’il montait sur scène, ce qui a tout de suite contaminé la foule, qui bougeait de plus en plus, malgré un temps frais. À cela, vous rajoutez l’énergie contagieuse d’Ilam sur scène, celle de Slim Samba, que j’ai longtemps écouté sur CISM 89.3 les dimanches après-midi à l’émission consacrée au reggae, vous avez un cocktail électrisant.

Carminda a clôturé le concert avec un morceau de circonstances, Un otro mundo, une œuvre collective qui date de 2016, lors d’un autre forum social dans lequel elle était impliquée. Elle passait d’artiste à animatrice en un claquement de doigt et le faisait tout naturellement.

Une chose est sûre : si vous avez manqué SolidGround lors de ce concert de clôture, vous aurez sûrement l’occasion de les croiser cet été, à Montréal, Québec ou Trois-Rivières. Ce ne sont pas les occasions qui vont manquer. Pour cela, suivez leur page Facebook pour en savoir sur leurs nombreux concerts.

C’est ainsi que SolidGround a clôturé en beauté cette 4ème édition du Festival des saveurs interculturelles de Saint-Michel qui sera de retour pour sa 5ème édition fin septembre lors des Journées de la culture qui se tiendront à la Tohu.

chant lyrique / classique occidental

CMIM 2025 | Bilan d’une première épreuve relevée 

par Alexandre Villemaire

Depuis maintenant une semaine, Montréal est le théâtre d’un des événements phares de la vie culturelle de la métropole. Ancré dans le paysage musical de Montréal depuis 2002, le Concours musical international de Montréal (CMIM) bat actuellement son plein avec son édition 2025 consacrée à la voix. En tout, ce sont 23 chanteurs et chanteuses provenant de dix-sept pays qui défilent depuis sept jours sur la scène de la Salle Bourgie à Montréal. Au cours des différentes étapes de cette première épreuve les concurrents ont eu à interpréter un programme composé de pièces issues du répertoire des airs d’opéra et du genre de la mélodie. Le cumul des points des deux étapes permettra d’identifier 10 chanteurs et chanteuses qui poursuivront à l’étape de demi-finale.

Durant ces premiers jours du concours, nous avons assisté à des prestations hautes en couleur, pleines de sensibilité et de musicalité, chacun des chanteurs et chanteuses s’est présenté sur scène avec une personnalité propre. Tous ne poursuivront pas, mais aucun n’aura à rougir des performances qu’ils ont données, qui comportaient toutes des éléments intéressants. Sans être exhaustives, voici quelques performances qui nous été donné d’entendre et qui nous ont marqué. 

Tout d’abord, la soprano originaire de Russie, Julia Muzychenko-Greenhalgh qui a ouvert la compétition, a enchanté par une performance du difficile Air des clochettes ( « Où va la jeune hindoue ») extrait de l’opéra Lakmé de Léo Delibes. C’est un choix périlleux en regard de la ligne vocale. La soprano canadienne Sophie Naubert a également fait une impression remarquée, notamment par une forte présence scénique et un sens expressif, entre autres dans l’air « Take It to Tumblr* » extrait de Book of Faces de Kendra Harder. Il en va de même de Fanny Soyer qui a su présenter avec nuance et versatilité les différents caractères des airs de sa première épreuve, tant par une agilité vocale que par une gestique signifiante sur scène. Sa performance de « Formons les plus brillants concerts… Aux langueurs d’Apollon » de l’opéra Platée de Jean-Philippe Rameau était tout à fait captivante. Le baryton anglais Theodore Platt est également à surveiller. Doté d’un timbre puissant et chaleureux et d’une grande musicalité dans l’interprétation sensible de l’air « O Du, Mein Holder Abendstern » tiré de Tannhäuser de Wagner lors de sa prestation de l’étape Aria, il s’est également distingué lors de sa ronde consacrée à la mélodie. Le caractère et le jeu du baryton allemand Valentin Ruckebier sont également à souligner, notamment dans l’air machiavélique « Vous qui faites l’endormie » du Faust de Gounod.

Parmi les représentants de la Corée du Sud, le ténor Junho Hwang, le baryton-basse Chanhee Cho et la soprano Yewon Han, ont livré de solides performances : Hwang ,par son interprétation, sa diction et sa musicalité sensible dans « Salut demeure chaste et pure », également du Faust de Gounod, Cho pour sa présence scénique engagée et Han pour son interprétation parfaitement juste du relevé air « I am the wife of Mao Tse-tung » de l’opéra Nixon in China de John Adams.

Et les demi-finalistes sont…

Au terme de la première épreuve, le jury international a désigné les dix demi-finalistes de l’édition Voix 2025 qui se produiront sur la scène de la Maison symphonique les 3 et 4 juin avec l’Orchestre symphonique de Montréal, l’orchestre officiel du CMIM, placé pour l’occasion sous la direction du chef Patrick Summers. Les demi-finalistes sont : 

Junho Hwang, Ténor, Corée du Sud

Katerina Burton, Soprano, États-Unis

Chanhee Cho, Baryton-basse, Corée du Sud

Yewon Han, Soprano, Corée du Sud

Fleuranne Brockway, Mezzo-soprano, Australie

Fanny Soyer, Soprano, France

Ariane Cossette, Soprano, Canada

Jingjing Xu, Mezzo-soprano, Chine

Theodore Platt, Baryton, Royaume-Uni

Julia Muzychenko-Greenhalgh, Soprano, Russie

En plus de l’annonce des demi-finalistes, deux prix spéciaux ont été décernés.  Offert en partenariat avec Dixi Lambert, le Prix pour la meilleure interprétation d’un air contemporain, assorti d’une bourse de 2 500 $ soulignant l’excellence d’une prestation d’un air composé après 1975 lors de l’épreuve Aria a été décernée au baryton anglais Theodore Platt pour son interprétation d’un extrait de Written On Skin de George Benjamin. 

Introduit l’année dernière lors de l’édition Piano 2024, le Prix du jury de la relève, d’une valeur de 1000$, a été remis à la mezzo-soprano australienne Fleuranne Brockway. Le jury, placé sous la présidence de la soprano canadienne Aline Kutan, était composé d’étudiant·es en chant et d’une pianiste, tous provenant des trois grandes institutions musicales de la métropole (École de musique Schulich de l’Université McGill; Conservatoire de musique de Montréal, Faculté de musique de l’Université de Montréal).

À cette fin d’épreuves s’ajoutaient également la finale du Prix Mélodie. Offert en partenariat avec la Nawacki Family Foundation, le Prix Mélodie d’une valeur de 10 000 $ vient récompenser l’artiste s’étant le plus distingué dans l’interprétation du répertoire du genre de la Mélodie lors de la Première épreuve – Mélodie et de sa finale. Les cinq finalistes retenues étaient la soprano russe Julia Muzychenko-Greenhalgh, le baryton anglais Theodore Platt, le baryton colombien Laureano Quant, la mezzo-soprano australienne Fleuranne Brockway et la soprano française Fanny Soyer. C’est entre autres par une interprétation engagée d’extraits du truculent cycle des Chansons gaillardes de Francis Poulenc et une performance enlevante d’extraits du cycle Let Us Garand Brings de Gerald Finzi que Laureano Quant s’est mérité ce prix. Le baryton colombien s’est également vu attribuer le prestigieux Prix Schubert de la Salle Bourgie, qui s’accompagne d’un engagement pour un récital dans la nouvelle série consacrée à l’intégrale des lieder de Franz Schubert.

De son côté, Ihor Mostovoi (Canada et Ukraine) s’est vu remettre le Prix André-Bachand pour la meilleure interprétation d’une œuvre canadienne, offert en partenariat avec Claudette Hould pour son interprétation de « Mon souverain » de Julien Bilodeau et extrait de l’opéra La beauté du monde sur un livret de Michel-Marc Bouchard.

Direction maintenant la Maison symphonique ou les demi-finalistes et l’équipe du CMIM établiront leur pénates pour les prochains jours. Avec le niveau qui nous a été donné d’entendre, il nous tarde d’entendre ce que les demi-finaliste auront à nous proposer dans un contexte orchestrale.

crédit photo : Tam Photography

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classique moderne

Festival Classica | Pavane pour une fille tzigane aux cheveux de lin

par Alexis Desrosiers-Michaud

La nouvelle production de Tango Boréal était présentée ce dimanche au Théâtre de la Ville de Longueuil dans le cadre du volet vocal du Festival Classica, le Nouvel Opéra Métropolitain. Après Les lettres de Chopin, Denis Plante, que l’on connaît pour son répertoire tango et avec son bandonéon, nous arrive avec La Fille aux cheveux de lin, sur des morceaux des impressionnistes français Maurice Ravel et Claude Debussy.

L’argument est l’histoire d’un peintre qui bénéficie de l’aide inconditionnelle de sa sœur pour réussir, et celle-ci lui donne toute son attention, jusqu’à ce qu’une mystérieuse fille aux cheveux de lin apparaisse dans le studio. S’inspirant librement de l’œuvre de Charles Baudelaire pour le livret, Plante explique au début que les deux protagonistes sont le reflet de Baudelaire, lui-même désirant devenir peintre mais n’en n’avait point don en la matière.

Écrite pour mezzo-soprano et quatuor à cordes, l’œuvre de 75 minutes est magnifique. Même si la musique est déjà écrite, il a fallu l’arranger et y apposer des paroles, et c’est le tour de force de Denis Plante et de son frère Antoine ont réussi. Les enchaînements entre les extraits coulent tout seul et les paroles s’agencent bien, comme si elles avaient fait partie des pièces de Ravel et Debussy. De plus, les contrastes, les couleurs et caractères des morceaux devaient être soigneusement bien placés dans un ordre très précis pour qu’on puisse y superposer une mise en scène, et ça aussi, c’est très réussi. Celle-ci est simple, mais juste; seuls quelques accessoires, un fauteuil, un chevalet et une chaufferette suffisent à nous plonger dans un atelier d’artistes du tournant du XIXe siècle. 

Dans le rôle principal, Amelia Keenan est une excellente interprète. Seule sur scène la plupart du temps, elle comprend que ce n’est pas nécessaire d’en mettre plein la vue, et que c’est aussi sinon plus important que le public comprenne le texte, surtout sans surtitres. À ce titre, la diction française est parfaite. Chaque mot, chaque intention, chaque émotion est claire, autant vocalement et scéniquement.

Mme Keenan était accompagnée d’un quatuor à cordes composé de Marie et Dominique Bégin au violon, Elvira Misbakhova à l’alto et de Stéphane Tétrault au violoncelle. Marie Bégin a d’ailleurs très bien joué dans l’extrait de la périlleuse Tzigane de Ravel.

crédit photo : Annie Bigras 

électronique / expérimental / contemporain

SAT X EAF | Performances et narrations immersives

par Félicité Couëlle-Brunet

L’atmosphère de l’Espace SAT est feutrée, mais jamais figée: toujours un peu imprévisible. Quelques banquettes en velours brisent la froideur du béton nu, témoin silencieux des centaines de pieds qui ont dansé ici avant nous. Ce soir, l’ambiance est familière, presque intime. Beaucoup semblent se connaître. J’ai l’impression de m’infiltrer dans un cercle, un écosystème discret où la musique expérimentale live est reine. Ce n’est pas une soirée ordinaire : ici, la scène devient terrain de jeu, la performance se mêle à la narration immersive, et il y a toujours de la place pour danser. Cette liberté, ce lâcher-prise collectif, est rare et précieuse.

La performance d’Amselysen s’est imposée comme un véritable pivot de la soirée. Nos conversations s’interrompent net lorsque, derrière nous, une voix métallique fend l’air. Elle vibre, elle grince, elle accélère. Quelque chose se prépare. Sur scène, Amselysen s’installe tranquillement. Il dépose son verre, ajuste son équipement d’un geste calme mais déterminé. Tout est en place, millimétré. Et pourtant, tout va basculer.

Les voix se multiplient, les fréquences se déforment, le bruit s’amplifie, et soudain, on décolle. C’est un vaisseau, un tunnel, un crash. Brut, industriel, parfois même inquiétant, son univers sonore est dense, chargé, intransigeant. Ce n’est pas seulement une performance musicale : c’est une immersion dans un chaos orchestré, où le corps est autant sollicité que l’écoute. Les séquences noise s’enchaînent avec une intensité folle, ponctuées par des grognements gutturaux, du growling assumé, qui rappellent ses racines rock et post-punk. On sent l’histoire derrière les sons, les années passées à sculpter l’énergie brute. Amselysen ne suit pas un script : il compose en direct, improvise, déforme, cherche les limites. Il nous les montre. Contrairement à l’esthétique souvent lisse ou introspective de certaines performances électroniques, ici tout est dans l’ouverture, l’instinct, la vulnérabilité. On assiste à un dialogue entre l’artiste et ses machines, entre la maîtrise et le lâcher-prise. Et c’est précisément dans cette tension que réside la force de son set : une honnêteté sonore rare, où chaque rugissement, chaque oscillation semble porter une intention claire.

Mais avant que cette intensité ne surgisse, c’est Laced qui avait ouvert le bal. Tout commence dans une brume douce, où les teintes roses et bleues découpent lentement l’espace. Laced apparaît presque en transparence, silhouette calme dans un décor pastel. Dès les premières pulsations, son univers s’installe. Un rythme mesuré, posé, qui donne envie d’écouter autrement. Sa musique n’impose rien. Elle propose, suggère, laisse deviner. Les textures sonores s’étirent comme des paysages flous, où certains motifs reviennent comme des souvenirs à moitié effacés. Chaque note semble ouvrir une porte vers un monde intérieur, intime. On entre sans s’en rendre compte, guidés par cette présence à la fois distante et enveloppante. La structure de la performance se déploie lentement, avec une précision tranquille. La basse s’installe, les sons synthétiques gagnent en densité, sans jamais rompre l’équilibre fragile de l’ensemble. Ce n’est pas une montée dramatique, c’est une expansion naturelle. C’était une belle découverte : une artiste qui semble penser la scène comme un espace narratif, une zone de transition entre rêve et réalité. Une ouverture en douceur, intrigante, qui donnait envie de regarder, d’écouter, et même de sentir autrement, une invitation à éveiller nos perceptions croisées, là où le son devient lumière.

Après la tempête Amselysen, l’air est chargé, presque électrique. On se regarde, un peu sonnés, curieux de voir comment la soirée va évoluer. C’est à Hesaitix de clore ce voyage, et d’un coup, une autre dimension s’ouvre. Dès les premières textures, quelque chose de plus organique se met en place. On glisse dans un monde fait de résonances minérales, d’échos aquatiques, de fragments d’un futur lointain. Le son est fluide mais jamais flou : chaque couche est précise, vivante. Le rythme, quand il émerge, pulse doucement comme un souffle, comme une marée intérieure. La performance d’Hesaitix est à la fois ancrée et suspendue. Elle mêle percussions distendues, glitchs subtils, et basses profondes qui résonnent dans le torse. On ne sait pas si on est dans une grotte ou dans une chambre d’échos numériques, et c’est précisément là que ça opère. Le corps se relâche, l’imaginaire se réveille. Là où Laced nous introduisait en douceur à un monde de sensations, et où Amselysen nous confrontait à une intensité viscérale, Hesaitix nous guide dans un territoire plus introspectif. Ce n’est pas une clôture en chute libre, c’est une dérive contrôlée, un lent atterrissage sur une planète lointaine. Une manière de revenir à soi après l’abandon, d’écouter ce qui vibre encore à l’intérieur.

Et alors que les dernières fréquences s’éteignent, un constat s’impose doucement : quelque chose est en train de naître. EAF ne propose pas simplement des soirées ; ils bâtissent un espace, une scène, un souffle nouveau pour la musique électronique live à Montréal. Un lieu où l’expérimentation n’est pas une exception mais une langue commune. Je me suis d’abord demandé pourquoi si peu de gens dansaient, puis j’ai compris : peut-être qu’ici, on écoute autrement. Peut-être qu’on est en train de réaliser que ces sonorités longtemps cantonnées à des caves berlinoises ou des squats londoniens prennent enfin racine chez nous. Que cette esthétique radicale, physique, parfois abrasive, peut rassembler. Donner envie de créer, de sortir de sa chambre, de partager une vision. Ce n’est pas un public passif, c’est une foule en devenir, une communauté en éclosion. Et c’est dans cette promesse, fragile mais lumineuse, que réside toute la portée de ce que EAF est en train d’ouvrir : une autre façon d’habiter la scène, ensemble.

hip-hop / hip-hop abstrait

MIKE, Navy Blue et Mike Shabb donnent une leçon de rap au Théâtre Fairmount

par Guillaume Laberge

Plusieurs centaines de fans ont été rassasiés jeudi soir avec, au menu, trois jeunes pépites du rap abstrait underground, tous au sommet de leur art. De nombreux fans de hip-hop se sont réunis au Théâtre Fairmount pour le spectacle numéro 69 d’une tournée très condensée de 71 spectacles du rappeur MIKE.   

Le spectacle débuta en force vers 20h avec l’entrée en scène de notre joyau montréalais Mike Shabb. Déjà établi autant sur la scène locale qu’à l’international, Shabb ressort du lot depuis plusieurs années dans le mouvement hip hop dit drumless grâce à sa cadence unique et son oreille raffinée pour dénicher de bons instrumentaux. Sur scène à domicile, Shabb captiva la foule dès la première seconde. Il enchaîna un bon mélange de styles et même s’il disposait d’un temps plus court, il offrit une très bonne première partie, il a brillé par son énergie et par son talent indéniable. 

C’était au tour de Navy Blue de fouler la scène. Bien qu’il œuvre dans le même sous-genre de hip-hop que les deux autres performeurs, le rappeur californien a offert une performance totalement différente de ceux-ci. À première vue, il est très calme, posé et n’est pas le plus extravagant, mais il se démarque lorsqu’il a le micro en main. Blue a proposé un set très intime et fort en émotions et le public ne le lâchait pas des yeux. Ses intentions étaient claires, il était venu partager ses textes et se vider le cœur et ça se faisait ressentir après chacune de ses paroles. Blue performa plusieurs titres de son excellent projet Memoirs In Armour paru en 2024. Mention spéciale aux chansons La Noche et Time Slips qui furent très touchantes.

Place à MIKE, une figure importante du rap underground et qui, malgré son jeune âge, compte déjà plusieurs albums de renom sous sa ceinture. Comme c’était à s’y attendre, le rappeur originaire du New Jersey donna aux fans une performance haute en couleur. Premièrement, il est impossible de ne pas mentionner la taille de cet homme. Il est monstrueusement grand et costaud, un vrai colosse. Le rappeur du New Jersey débuta avec quelques chansons diverses de son catalogue avant de se lancer dans son album Showbiz sorti en janvier dernier. 

MIKE interagissait constamment avec le public. Entre ses chansons, il le faisait danser, chanter, rire et réagir. Sa personnalité rayonnait sur scène et il m’a semblé très sympathique. Il allait même jusqu’à chanter les différents échantillons sonores utilisés dans ses chansons, une pratique peu courante dans le style, mais toutefois très drôle et unique. 

Juste à entendre son répertoire, le talent de ce gentil géant est évident, mais de le voir rapper en personne et tout donner sur scène dans son chandail complètement trempé de sueur, cela a démontré aux fans à quel point il est spécial dans l’industrie. Il est resté sur scène pendant environ une heure et demie et a conclu son set en allant derrière les platines pour mixer plusieurs sons, notamment quelques chansons du dernier opus de Playboi Carti.

Le talent de ces trois hommes n’a laissé aucun fan indifférent.  Ill s’agissait d’un rendez-vous important pour les amateurs de hip-hop abstrait ou “drumless”, un genre qui ne cesse de gagner en popularité.

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