FMA | Koum Tara : Bienvenue dans le ChaâbJazz

par Frédéric Cardin

Le Festival de Monde arabe accueillait vendredi le groupe franco-algérien (et lyonnais) Koum Tara, à la 5e Salle de la Place des Arts. Un octuor éclectique, formé d’un trio jazz (piano/synthétiseur, contrebasse, percussions), d’un quatuor à cordes et d’un oud (avec double emploi de chanteur). La proposition musicale, fort intéressante, est celle d’un syncrétisme accessible et raffiné. La structure générale des pièces au programme est bien définie, de l’ordre de la chanson populaire arabe, le chaabi, et résolument basée sur la mélodie. Nous ne sommes pas dans le monde des atmosphères ou de la recherche timbrale. Nous ne sommes pas non plus dans une fusion tendant vers la musique savante contemporaine, comme chez Anouar Brahem. La façon Koum Tara est tournée vers le ludisme.

Cela dit, l’approche Koum Tara demeure originale et audacieuse, faisant savamment osciller les inflexions harmoniques typiquement arabes vers le jazz, et vice-versa, si bien qu’à certains moments, on ne sait plus dans quel monde nous sommes. En fait, nous sommes dans un autre monde, une sorte de quintessence qui surpasse la sommes des parties. Des chansons existantes du répertoire algérien cohabitent avec des mélodies originales, parfois dans la même pièce. Reconnaît-on ici tel titre qu’aurait pu chanter Dahmane El Harrachi que presque immédiatement on se retrouve ailleurs, dans une vision résolument jazz du style. C’est fait avec beaucoup de fluidité, ce qui laisse deviner une connaissance fine et fouillée des deux univers culturels de la part de Karim Morris, solide leader au piano et synthétiseur et arrangeur/compositeur inspiré du groupe.

Celui-ci s’amuse souvent, d’ailleurs, à brouiller encore plus les lignes de démarcation stylistique en métamorphosant des phrases mélodiques héritées du chaâbi classique en impros jazz moderne puis en musique afro-cubaine. La planète est ainsi rapetissée en village culturel où, comme on dit, « toute est dans toute ».

Morris offre passablement de terrains de jeu à ses collègues. On remarque la belle présence de chaque portion de l’ensemble : le trio jazz a de l’espace pour s’exprimer, le quatuor à cordes n’est pas limité à un rôle de simple soutien harmonique avec de très beaux passages en contrepoint et des variations intéressantes sur le matériau mélodie que base, et le oudiste et chanteur (Hamidou) est le point central de la majorité des pièces. La cohérence holistique est rodée au quart de tour. Pas d’hésitations ni de désaccord rythmique. En ce sens, la musique de Koum Tara emprunte également à la musique classique pour sa rigueur structurelle et son extrême précision interprétative. C’est beau, le travail bien fait.

Ce genre de mélange entre classique, jazz et « world », mais trempé dans une structure résolument limpide et de style « musique populaire » me fait penser à ce que pourrait jouer le Penguin Café Orchestra (s’il était encore actif) accompagné du Turtle Island String Quartet. 

Très agréable.

Violons du Roy | Kerson Leong trimomphe et ensorcelle

par Rédaction PAN M 360

Vendredi soir, la Salle Bourgie accueillait les Violons du Roy et le violoniste Kerson Leong pour un concert mémorable et ambitieux qui a probablement su marquer l’ensemble du public au plus profond de son âme musicale.

Kerson Leong a tout simplement volé la vedette avec son jeu époustouflant. Clair et puissant, on le voit vivre à travers sa musique. Sa présence impressionnante sur scène et sa technique incroyable font de lui un des solistes les plus mémorables. Lorsqu’il jouait, l’orchestre derrière lui semblait atteindre une nouvelle dimension. Même si tous les yeux étaient rivés sur lui, il était infaillible et rares notes étranges sont le résultat de la partition, souvent inusitée, et non d’une erreur de son doigté virtuose.

Il faut dire que les pièces se prêtaient bien à cette virtuosité. Les deux œuvres phares du programme, la Sonate pour violon en sol mineur de Guiseppe Tartini et le Concerto pour violon en ré majeur de Pietro Locatelli, surtout la dernière, donnent beaucoup de place aux parties solos. Alors que le Locatelli, le « labyrinthe », approche de l’excès avec ses cascades de notes qui forcent le soliste à jouer presque avec ses pieds et ses dents, le Tartini, avec ses « trilles du diables », permet de démontrer toute la sensibilité et l’émotion transcendante du jeu de Leong.

Le reste du programme et de l’orchestre a été excellent, un peu plus conventionnel tant dans le jeu que le style, mais on ne peut pas s’empêcher de voir les pièces pour orchestre comme des interludes entre les pièces pour solistes. On note tout de même l’intérêt de ces œuvres dans l’optique de démontrer l’évolution du langage du violon baroque vers le violon classique, un des objectifs du concert selon le chef, Nicolas Ellis.

Le public a grandement apprécié le concert, se levant à plusieurs reprises pendant la soirée pour saluer les interprètes. Leong a récompensé le public avec un rappel, un extrait de la seconde symphonie de Bach.

Les Violons du Roy, après un début de saison montréalaise un peu mitigé, ont réussi un coup d’éclat. La direction de la Salle Bourgie doit se réjouir d’avoir eu une salle si pleine pour un des meilleurs concerts de la saison!

folk psychédélique / indie rock

Coup de cœur francophone | Vincent Khouni à travers les époques

par Marin Agnoux

Quelque jours après notre rencontre, un vendredi soir à l’Esco, entre les groupes d’amis venus écouter de la musique et boire un verre,  on se faufile doucement au sein de cette atmosphère apaisée dans l’attente des mélodies de Vincent Khouni.

Quelques minutes plus tard, il arrive sur scène accompagné de ses musiciens, prend sa guitare et c’est ici que tout commence. En traversant les titres de son album, il nous conte ses histoires, une envolée lyrique, féerique dans un brin de psychédélisme, qui nous renvoie dans les seventies. 

La voix se ballade, se mêle et s’entremêle en français et en anglais au fil des musiques pour nous souffler de doux souvenirs enfantins oubliés. Bordés par les harmonies de ses guitares, par les rythmes de la batterie et l’omniprésence des synthés aux sonorités sorties d’un rêve coloré de bleu et de rose, on se laisse la liberté de ne plus penser. 

Une simplicité addictive qui nous emmène avec le public pour vivre notre petite épopée. Exil, Here Now, Strange Epiphany, l’heureuse légèreté de ces titres défile petit à petit, on se retrouve songeurs face à l’effervescence de cette musique et de ces compositions familières. 

Dans sa bulle, Vincent Khouni partage de l’indie rock bercé par les années soixante-dix, la rencontre de Yellow Days et Lou Reed, et tandis qu’on se laisse porter entre les époques, ce sont de petits poèmes de vie qui se lisent dans nos esprits. 

OSM | L’orgue et la trompette à l’honneur… et à couper le souffle

par Elena Mandolini

Un duo somme toute rarement vu a pris la scène hier soir à la Maison symphonique. La scène semblait étrangement vide, malgré le clavier imposant du Grand Orgue Pierre-Béique qui trônait en son centre. Le concert proposé était un voyage musical entre les époques en compagnie de Raúl Prieto Ramírez, organiste, et de Lucienne Renaudin Vary, trompettiste. Ces deux virtuoses ont offert des instants de musiques à couper le souffle tout au long de leur programme varié.

L’on s’imagine que peu d’œuvres ont été écrites spécifiquement pour le duo orgue et trompette. Mais la première pièce du programme, la Sonate pour trompette no. 1 en do majeur de Giovanni Buonaventura Viviani est un de ces rares exemples provenant de la période baroque. Les autres œuvres proposées, provenant surtout du répertoire vocal du tournant du XXe siècle, ont été arrangées pour ce duo, de manière assez convaincante. Deux pièces pour orgue solo complétaient le programme.

Lucienne Renaudin Vary a été irréprochable tout au long de la soirée. Le son clair et lyrique de la trompette emplissait parfaitement la salle. À son aise sur scène, on la voyait parfois tracer le contour des lignes mélodiques d’une main alors qu’elle jouait. De plus, le répertoire choisi permettait de constater ses talents dans plusieurs styles. Qu’il s’agisse d’une sonate baroque aux passages rapides et virtuoses, ou d’une pièce plus jazz aux nombreux ornements, la trompettiste semble toujours dans son élément. Les changements de ton sont toujours justes, les nuances bien dosées. Raúl Prieto Ramírez a également rendu justice au répertoire, et encore plus à l’instrument qu’il lui était donné de jouer ce soir-là. En tant qu’accompagnateur, les choix de jeux de l’organiste étaient toujours judicieux. C’est cet instrument qui donnait toute leur profondeur aux pièces : tantôt lumineuses, tantôt tendres, tantôt torturées et dramatiques.

Mais c’est surtout lors des deux pièces pour orgue solo que Prieto Ramírez a pu briller, et présenter au public toutes les possibilités sonores de l’instrument. Une transcription de la Valse de Méphisto no. 1 de Franz Liszt a semblé lui donner du fil à retordre au début, mais la virtuosité requise à l’interprétation de cette pièce a bien vite éclipsé ces détails. Cette œuvre, déjà monumentale dans le répertoire pianistique, prenait ici des proportions titanesques lorsqu’interprétée à l’orgue. Les extraits des Tableaux d’une exposition de Modeste Moussorgski ont également permis à l’orgue de voler la vedette. Le public a pu entendre à quel point l’orgue pouvait être polyvalent, tant par ses différentes sonorités que par ses nuances, et à quel point il faut être agile pour maîtriser cet instrument!

Ce duo rarement entendu et un programme bien construit auront permis de démontrer la virtuosité des deux interprètes et de mettre à jour toutes les possibilités musicales de l’orgue et de la trompette. Il s’agit là d’un concert réussi dont le souvenir n’est pas prêt de s’effacer!

FMA | Le calme persan de l’Ensemble Golshan

par Frédéric Cardin

Le Festival du monde arabe présentait hier soir un concert de l’Ensemble Golshan, constitué de plusieurs excellents musiciens de la scène musicale montréalaise. Au menu : un voyage en douceur et en poésie dans la Perse (Iran) classique des 19e et 20e siècles. Non, je sais, la Perse (Iran) n’est pas de culture arabe. Néanmoins…

La musique classique persane, comme l’occidentale, est souvent organisée selon une structure très formelle. Si l’on ose une comparaison, on pourrait dire que toutes les pièces du programme étaient ossaturées sur un modèle d’introduction et danse. Une première partie lente et atmosphérique, largement improvisée, faisait place à une deuxième, rapide et rythmiquement affirmée. Cela dit, même des portions plus énergiques se dégageait un sentiment de sérénité et d’abandon bienfaisant. Cette musique savante sommes toutes très accessible offre aux auditeurs de beaux échanges instrumentaux ainsi que des passages chantés fort séduisants (et interprétés avec finesse par la voix porteuse et tonalement équilibrée de Habib Hoseini. Ce dernier possède d’ailleurs un joli ténor agréablement garni dans sa basse pour de bons effets lyriques). En théorie, les sonorités aigres du tar et du kamancheh doivent être compensées par le timbre moelleux et plus chaleureux du oud. Celui-ci, hier, se faisait très discret. Trop, même, j’en aurais pris plus. Un détail qui pourrait être réglé par une prise de son différemment calibrée.

Au final, ce fut une soirée de très beau raffinement musical, offerte par des musiciens qui font honneur à Montréal en l’ayant choisie (pour la plupart) comme maison d’adoption artistique. Je tiens à souligner le travail réalisé avec rigueur et sensibilité par Saeed Kamjoo au kamancheh (également directeur de l’ensemble), Ziya Tabassian aux percussions (tombak, daf), Hamed Vatankhah au oud, Maryam Tazhdeh au târ et Habib Hoseini au chant classique persan. 

Crédit photo : Mohand Belmellat

FMA | Ifriqiyya Électrique, rock et transe du désert

par Alain Brunet

La transe est une forme millénaire d’hypnose collective, on en témoigne avec pertinence au Festival du monde arabe de Montréal (FMA). Au fil des derniers siècles, la transe a été progressivement bannie de l’espace culturel occidental, mais elle est toujours vivante dans plusieurs zones du globe. On l’associe certes au primitivisme, au paganisme, bref à des rites régressifs des sociétés traditionnelles mais… Quoi qu’on en dise, la transe demeure une pratique thérapeutique pour plusieurs populations et il est impératif de la considérer avec respect.  

C’est d’ailleurs ce qu’on a pu observer mercredi dernier au Théâtre Plaza avec le concert -cinéma Ifriqiyya Électrique, mené par le guitariste français  Francois R. Cambuzat et la chanteuse et bassiste italienne Gianna Greco. 

Curieux et ouverts, ces artistes venus du rock se sont posés volontairement dans le désert tunisien, là où cohabitent des Maghrébins de souche, des descendants de colons arabes et des descendants d’esclaves jadis déplacés  d’Afrique noire. On y observe une forme de syncrétisme mystique, c’est-à-dire un mélange de religions polythéiste et monothéiste, animisme africain et religion musulmane dans le cas qui nous occupe. Dans cette zone méconnue vibre la communauté de la Banga dont il est ici question.

Pendant des années, nos hôtes européens se sont intégrés à cette communauté localisée dans le désert du Jérid en Tunisie, là où s’étend une immense plaine de sel. Ils y ont enregistré et filmé des musiciens guérisseurs, « gardiens des portails mystérieux entre les mondes ». L’anthropologie, l’ethnomusicologie et l’art brut se mêlent ici et tout public le moindrement curieux en sort plus instruit.

À travers les danses et chants rituels, rythmes effrénés que produisent les crotales, tambours sur cadres derboukas et autres caisses claires, sans compter le sacrifice d’animaux,  la population locale entre littéralement en transe et extirpe ses démons via ce rituel collectif. Ce rituel, précisons-le est adorciste, on y souhaite la possession par les esprits afin de guérir les plaies de l’âme.

Ainsi, le film de ce rituel est projeté et deux artistes l’accompagnent en temps réel. Les interventions de François R. Cambuzat et Gianna Greco relèvent du stoner rock, c’est-à-dire une averse d’accords simplement construits, enveloppés d’épaisses couches de distorsion. On ose croire que ces artistes ont pris soin de ne pas complexifier la donne afin de rendre justice à l’art brut capté dans le désert de Jérid. 

Évidemment, il serait beaucoup plus captivant de les voir et entendre à l’œuvre avec une communauté de la Banga, en chair et en os mais bon, l’économie de la musique telle qu’elle est aujourd’hui nous mène plutôt à une forme de séance musicale à demi virtuelle. 

Cela dit, ça donne vraiment envie de se rendre un jour dans le Jérid.

OSM | « Sorciers, Sorcières » un concert de l’Halloween magique et enchanteur

par Rédaction PAN M 360

Familles et enfants ont été conviées à la Maison symphonique dimanche après-midi pour un spectacle rempli de magie, d’humour et surtout de musique. Le concert d’Halloween de l’OSM, « Sorciers, Sorcières », a su enchanter petits et grands à travers des morceaux musicaux pertinents et évocateurs, ainsi qu’une mise en scène ludique et charmante.

L’OSM, dirigé par Cosette Justo Valdés, a présenté un programme qui mélangeait à la fois des œuvres célèbres du répertoire classique et de film, telles que le thème de Harry Potter (celui d’Hedwige) en ouverture et des extraits de l’Apprenti sorcier de Paul Dukas et de la Danse macabre de Camille Saint-Saëns, ainsi que des pièces moins convenues, comme l’Ouverture du Vaisseau fantôme de Richard Wagner, ou encore un extrait des Tableaux d’une exposition de Modeste Moussorgski, le IXe tableau qui évoque la sorcière Baba Yaga (issue du folklore slave). Le concert se termine avec le cinquième mouvement de la Symphonie fantastique d’Hector Berlioz, qui a notamment été jouée l’an dernier par l’OSM en fin de saison, en grande partie parce qu’il évoque le Sabbat des sorcières.

Les œuvres étaient reliées par la mise en scène élaborée par Les ateliers d’Amélie, avec comme acteur principal Olivier Morin, qui a su charmer le public dans son personnage de maître magicien inspiré de l’univers d’Harry Potter. Il transporte le public au travers de sa vie, depuis son service de matelot jusqu’à la rencontre de sa bien aimée et de son deuil plusieurs années plus tard. La chorégraphie est agréable et intéressante, surtout lors du passage de la valse (Moussorgski) où les acteurs se déplacent à travers la Maison symphonique, allant visiter l’octobasse et le chœur. Le texte extirpe de nombreux rires de la salle, et parfois des surprises grâces aux effets de scènes, comme les lumières et les effets de fumée, qui sont à propos et très bien faits.

Sur le plan musical, la qualité de l’interprétation est exemplaire. On pourrait même s’avancer et dire que la version du thème d’Hedwige est meilleure que l’originale. Les œuvres présentées ou évoquées sont parfaitement maîtrisées par l’orchestre, qui les a sûrement déjà joués des dizaines de fois, au moins. 

On peut noter que le programme est un peu cousu de fil blanc, et certaines pièces semblent forcées dans la mise en scène. Également, on réduit les œuvres de Dukas et de Saint-Saëns à de brèves évocations simplistes. L’Apprenti sorcier va bien au-delà d’un balai qui danse! La mise en scène a grandement contribué à garder l’attention des enfants, mais on sentait que le public était plus attentif durant les pièces très connues (Harry Potter) et un peu moins sur les œuvres plus abstraites (Wagner et Moussorgski par exemple). Il semblerait également que ce fut une occasion manquée d’inclure un aspect éducatif au concert. Les efforts de médiation se sont en effet arrêtés à de brèves images et devinettes sur l’écran avant de concert, qui ont été assez appréciés par les familles.

Cela s’agit cependant de réflexion de quelqu’un dont les préoccupations sont légèrement différentes du public cible. Le concert fut un succès et on salue la qualité de la musique et de la mise en scène. On espère que l’an prochain sera tout aussi bien!

Pour en savoir plus sur les concerts de l’OSM et sur les concerts jeunesse, visitez la page de la programmation ICI.

Ensemble Classico-Moderne | Rachmaninov et Hamburger : une soirée de contraste stylistique

par Alexandre Villemaire

La Maison symphonique était bien remplie samedi soir pour venir entendre l’Ensemble Classico-Moderne, dans un programme mettant de l’avant le Concerto pour piano no 2 de Rachmaninov, un des plus célèbre et emblématique du répertoire romantique et la création montréalaise d’Ariella, nouvel opéra du compositeur Jaap Nico Hamburger dont neuf extraits ont été présentés.

Interprété par Jean-Philippe Sylvestre, le Concerto de Rachmaninov a ouvert la première partie du concert en plongeant l’auditoire dans un univers sensible et tourmenté, à l’image de l’état d’esprit du compositeur lors de son écriture. Dans une maîtrise et une virtuosité de haute voltige, Sylvestre a peint des tableaux sonores faisant ressortir, avec les musiciens dirigés par Francis Choinière, les caractères distincts des trois mouvements. Le premier mouvement Moderato, avec ses imposants accords, présentait un tourbillon d’émotion, l’Adagio sostenuto était d’un lyrisme envoûtant parsemé de moments de colère alors que le frénétique Allegro scherzando, a mis en valeur l’agilité du pianiste dans des traits mélancoliques soutenue par des cordes généreuses. L’ensemble se déploie ainsi avec une belle amplitude par un son présent et enveloppant et dont Francis Choinière tire le maximum d’expression avec des nuances pleinement contrôlées, de l’intensité la plus explosive à la douceur des plus sereines. 

En deuxième partie, le public a été convié à une autre expression artistique du drame et de la douleur avec l’opéra Ariella de Jaap Nico Hamburger, sur un livret de Thomas Beijer, inspiré des romans de l’autrice Ariella Kornmehl. Présenté dans une version concert, l’histoire est celle d’une famille juive orthodoxe contemporaine déchirée par le décès soudain de sa matriarche, Sarah, une cantatrice – interprété par Aline Kutan et comment sa fille, Ariella (Myriam Leblanc) navigue au travers son décès dans sa vie, prise entre la tradition et son émancipation, un jeune frère souffrant de dépression et un père dévasté (Hugo Laporte). L’esprit de la mère, présente sur scène, guidera chacun d’eux vers le chemin de l’apaisement. Compositeur en résidence de Mécénat Musica, Jaap Nico Hamburger propose ici une musique essentiellement moderne avec des lignes mélodiques qui rappellent un peu l’univers de Carlisle Floyd et une orchestration dense dans les passages purement instrumentaux évoquant Thomas Adès. 

Pour autant, Hamburger ne se cantonne pas à un style musical défini et verse aisément dans l’éclectisme et l’expérimentation. Le meilleur exemple est l’air d’Ezra, le frère d’Ariella, campé par le chanteur pop/baryténor Enzo Sabbagha, qui entonne de manière engagée un rap, soutenu par une bande préenregistrée qu’accompagne l’orchestre dans un moment très « hamiltonien ». Il s’agit d’un choix audacieux et surprenant de premier abord, mais qui n’est pas surfait et qui cadre avec l’identité du personnage qu’Hamburger n’imaginait pas véhiculer ses émotions par un air à la Puccini. 

Crédit photo : Dominic Blewett

Le numéro mériterait cependant pour être apprécié pleinement d’être présenté dans une version complète avec mise en scène où l’action menant à cette scène serait mieux contextualisée scénographiquement et musicalement. Les arrêts nécessaires entre les numéros et les changements de dynamiques brusques d’une version concert donnent surtout dans ce cas-ci l’impression d’un patchwork. Les autres très beaux moments vocaux de la soirée ont été l’air d’Ariella, ligne lyrique interprétée avec émotion par la voix cristalline de Myriam Leblanc et le duo avec l’esprit de sa mère où leurs deux voix s’entremêlent et se répondent dans une atmosphère sereine et planante.

Déroutant à certains égards tout en demeurant accessible, le travail de Jaap Nico Hamburger, par son éclectisme intelligent, ouvre des possibilités intéressantes pour des projets lyriques contemporains. Le défi est maintenant de diffuser cette musique et d’aller chercher le public et l’Ensemble Classico-Moderne, dont la mission est de présenter et de mettre de l’avant une fusion des musiques moderne et classique est assurément un interlocuteur de choix pour l’interprétation de ce répertoire et de ce nouveau type de programmation dans le paysage musical québécois.

rock prog

Chronochromie et TurboQuest : prog extrême et « vidéoludique »

par Laurent Bellemare

Un week-end d’octobre, quelque chose d’inusité se tramait au Nombre 110, salle de spectacle située en plein cœur des locaux de pratiques Les Studios de Rouen du quartier Hochelaga : un double lancement d’album pour les groupes montréalais TurboQuest et Chronochromie. Sur deux soirs, cet événement juxtaposait deux facettes très différentes du rock progressif d’aujourd’hui. 

D’un côté, des arrangements flamboyants des meilleurs tubes de jeux vidéos et de l’autre, une musique aussi pesante que cérébrale, intransigeante dans sa complexité. Tout cela se liait néanmoins dans l’approche  intello qui nourrissait les deux démarches. Qu’on ne s’y méprenne, le rendu en salle était spectaculairement ludique.

Chronochromie

Si l’art d’être « extrêmement  progressif  » existe en musique, c’est notamment à Chronochromie qu’on doit en attribuer le crédit. Le groupe, qui jouait à peine trente minutes, nous a laissé bouche bée, voire stupéfaits par une inéluctable virtuosité technique.

Bien que la musique progressive se soit développée à travers d’innombrables prolongements depuis les années 1970, il y a peu de choses que l’on puisse vraiment comparer au trio montréalais. Effectivement, le rock et le métal progressif se développent souvent par l’enchaînement élaboré d’idées musicales somme toute digestes.

Même si les formes sont longues et audacieuses, l’un des dénominateurs communs du genre reste tout de même l’utilisation de cellules répétitives. Ce n’est pas le cas de Chronochromie, qui varie et développe son matériau plutôt que ne le réitère. Sur les cinq titres du EP Epoch, aucune place n’est laissée à l’installation d’un groove de plus d’une mesure tant la musique est densément organisée.

Cette approche résolument contemporaine n’est pas sans rappeler la nouvelle musique héritière de la musique classique occidentale. Car Chronochromie, qui tire son nom d’une œuvre symphonique d’Olivier Messiaen, est à l’origine un projet du compositeur Alexandre David, connu pour ses œuvres instrumentales. Le travail rythmique et harmonique y est donc très poussé, chaque morceau du casse-tête agissant comme étape logique d’une forme toujours en mouvement. 

Dans un autre contexte, l’absence de répétition pourrait être un choix casse-gueule. Par contre, David et ses comparses maintiennent toujours une certaine cohérence dans leur musique. Certains éléments mélodiques et harmoniques persistent effectivement au fil des morceaux, créant des échos familiers qui sont essentiels à la stimulation d’une écoute engageante. 

Alors que la simple exécution de cette musique relève de l’exploit et pourrait suffire à gagner la sympathie du public, Chronochromie surprend également par la musicalité de sa proposition et sait tenir en haleine quiconque lui tend l’oreille. Une force locale en plein essor et qui ne demande qu’à être découverte.

TurboQuest

L’auditoire s’attendant à identifier des thèmes de Zelda et Mario Bros dans un concert de TurboQuest risque d’être un tantinet déçu. Si le groupe n’omet pas d’inclure ces classiques dans son répertoire, il fait principalement dans l’arrangement de pièces tirées de jeux beaucoup plus obscurs. C’est cette exploration férue de l’underground du jeu vidéo qui se poursuit dans un deuxième album intitulé Enter the Turboverse.

Décidément, le quintette instrumental a un public qui connaît bien le matériel original référencé. C’est d’ailleurs ce public, celui des gamers, chez qui TurboQuest a principalement bâti sa réputation. L’ensemble est effectivement un habitué des conventions telle l’Otakuthon de Montréal et il entretient des liens étroits avec l’Orchestre de Jeux Vidéos.

Cependant, même pour le néophyte, les morceaux de TurboQuest fonctionnent très bien comme pièces de power metal autonomes, avec leurs escapades progressives et leurs refrains accrocheurs. C’est là une excellente mesure de la valeur artistique de ce qui nous était présenté. Il faut également saluer la virtuosité des artistes, qui ont pour la plupart des formations académiques en musique. Leurs arrangements laissent fréquemment place à des soli où chaque musicien.ne a sa chance de resplendir. Chapeau au claviériste pour son utilisation d’une keytar lumineuse.

Chose certaine, c’est qu’on ne s’ennuie pas à écouter ces morceaux exécutés avec habileté technique et forte présence scénique. Au-delà de la nostalgie, le quintette assume pleinement son côté rock ‘n’ roll et tout le plaisir qu’il a à raviver l’univers ludique qui l’anime. Car au fond, c’est bien ça la vocation des jeux vidéos, divertir!

Sardou : entre charisme et nostalgie

par Claude André

C’est après une décennie d’absence que le dernier des monstres sacrés de la variété française triomphait vendredi dernier au Centre Bell de Montréal. Nostalgie quand tu nous tiens…

Accompagné de sa fille de 20 ans qui ne connaissait pour ainsi dire que la très belle reprise de Je vole par Louane, popularisée par le film La famille bélier, et Comme d’habitude (version Claude François et Elvis), l’auteur de ces lignes n’allait pas rater cet artiste qui demeure probablement l’une des quatre ou cinq plus belles voix de la francophonie avec, notamment, celle de Claude Dubois.

Le récital s’ouvre avec un panorama animé d’un magnifique cheval blanc galopant dans les plaines irlandaises. On comprend rapidement que nous sommes en Irlande dès les premières notes de l’entrainante Les Lacs du Connemara. Version réussie, bien que courte, de ce morceau incontournable du répertoire sardoussien qui, depuis des décennies, termine les plus belles surboums en France. Cet été, ce morceau a fait l’objet d’une controverse lorsque Juliette Armanet a déclaré en entrevue pour une radio belge que cette chanson la ferait fuir une soirée… Immense polémique à laquelle le chanteur de 76 ans a refusé de répondre avant que la belle ne s’excuse en privé par courriel.

C’est vrai que casser du sucre sur le dos de Sardou fut longtemps un passage obligé à gauche de la gauche, mais nous croyions cette époque révolue. D’ailleurs, le vieux crooner a repris, pendant une mixture de ses plus grands succès, l’irrésistible En chantant… « Et c’est tellement plus mignon, de se faire traiter de con, en chansons… » pour le plus grand plaisir de la foule largement composée de têtes blanches, qui ne s’est pas fait prier pour reprendre à l’unisson.

La rumeur veut que Sardou, avec En chantant, répondait au jeune Renaud qui s’était payé sa tête en parodiant d’une autre chanson : Les Ricains. Excellente reprise de ce dernier titre (ici à la sauce cajun avec banjo), puisé dans l’époque plus engagée où Sardou avait eu l’outrecuidance, ou le courage, de rappeler aux Français qui manifestaient, à juste titre, contre la guerre du Vietnam, que sans les Amerloques, ils seraient tous en Germanie « à saluer vous savez qui… ». Une chute percutante qui, de mémoire, ne figure pas exactement ainsi dans les versions enregistrées.

Si les réorchestrations sont généralement réussies, certaines pièces passent moins l’épreuve du temps, comme cette version parlée de Je vole ou d’Une fille aux yeux clairs, un éloge d’une mère par son fils qui déstabilisa ma jeune accompagnatrice, lui faisant déclarer : « Mais c’est carrément de l’inceste ça, je suis dégoutée. » Bonjour l’ambiance… Heureusement, Sardou retrouve grâce à ses yeux avec sa pièce suivante, Le Privilège, empathique à l’égard d’un jeune qui dévoile son homosexualité.

Parsemé de quelques pièces plus ou moins connues pour le public québécois, Sardou nous aura adressé d’indéniables clins d’œil, notamment en parlant toujours du Québec, et non du Canada, comme le font souvent les Français évoquant leurs cousins d’Amérique…

Clins d’œil 

Étrangement, si le plus bourru des chanteurs nous a gratifiés de La rivière de notre enfance, sans Garou qui se trouvait… en France, il n’aura pas interprété Je me souviens d’un adieu, un autre titre très accrocheur, qui est pourtant le nom de la tournée.

Parmi les grands moments, Vladimir Ilitch une chanson sur les sirènes du communisme où un écran qui surplombe la scène nous montre une immense statue de Lénine en lente décomposition, un extrait, trop court de l’exutoire Le France ou une relecture de Verdun et son diaporama de guerre, qui résonnait particulièrement fort au regard de l’actualité en Ukraine et au Proche-Orient. La reprise de Quelque chose de Tennessee, comme pour se faire pardonner par Johnny avec qui il n’aura pas eu le temps de se réconcilier. Mais l’apothéose fut atteinte quand Sardou, convaincant, nous a balancé son hymne Je vais t’aimer, dont les images fortes furent mises en relief par des cuivres saccadés.

Instants plus légers avec la caricaturale Être une femme, et aussi en nous révélant qu’il découvrit un jour chez un disquaire que le grand Louis Armstrong avait repris une chanson de son père, Fernand Sardou, comédien et chanteur de jazz, Aujourd’hui peut-être qu’il nous a interprété avec une fierté manifeste.

Bref, soirée très agréable placée sous le signe de la nostalgie et du charisme, malgré quelques moments un chouïa ringards, dont des chœurs souvent années 1980. Et, surtout, on retiendra qu’il n’a pas été avare en se déplaçant avec une équipe de plus de 20 personnes, juste pour la scène, dont une belle section de cuivres et un non moins impressionnant chœur. Quant au verdict de la fan de Lady Gaga et Sia qui m’accompagnait : « Correct. Très correct. »

OSM | L’audace complice d’Andrew Wan et de l’OSM

par Rédaction PAN M 360

C’est une salle bien remplie qui a assisté mercredi soir à un concert présentant à la fois des classiques et de l’audace. L’OSM, depuis la scène de la Maison symphonique, a proposé un arrangement intéressant d’œuvres qui orbitaient autour du Concerto pour violon en ré majeur de Beethoven. C’était un concert qui jouait avec la forme conventionnelle. On avait du Beethoven, du Mozart, mais au lieu d’avoir Haydn pour terminer le triumvirat classique, on trouve du Bach et, surtout, du Webern! 

La première partie s’organisait comme une démonstration de la longue évolution de la musique de concert. Depuis la fin de la période baroque avec l’Offrande musicale de Bach (composée en 1747), on passe par la très classique, mais toujours plaisante et délicieuse, symphonie selon Mozart, dans ce cas-ci la Symphonie no. 35 en ré majeur, souvent appelée Haffner, composée en 1782. La première partie se termine par la Passacaille de Webern, composée en 1908.

Cette œuvre est en quelque sorte le joyau caché de ce programme. La première œuvre publiée de ce compositeur, elle puise à la fois dans la tradition classique et présente une ouverture vers un nouveau langage musical. Pas tout à fait atonal encore, ce langage se traduit par une exploration particulière des timbres, de l’harmonie et de la structure de la mélodie. Alors que le Bach (arrangé par Webern, à noter) présentait la composition typique de la mélodie et que le Mozart en démontrait la maîtrise intuitive et charismatique, la Passacaille ouvre la boîte de Pandore en exposant les possibilités. Plus grave et plus intense que les autres pièces au programme, cette œuvre est certainement plus marquante et on se réjouit de la voir occuper une place si importante au programme.

L’orchestre a relevé à merveille les défis que les œuvres lui ont proposé tout au long du concert. Les cordes étaient à l’honneur, avec un jeu impeccable et une finesse admirable pour des œuvres assez variées. Il faut aussi saluer la qualité des bois et des cuivres qui étaient notamment à l’honneur durant une oeuvre de Bach assez exigente. L’exécution virtuose du Webern a probablement subjugué plusieurs membres du public, surtout que l’intensité de l’œuvre se mariait avec la nouvelle image fougueuse de l’OSM et de son chef Rafael Payare.

Après l’entracte, il était temps de mordre dans la pièce de résistance du concert. Andrew Wan nous a offert une version mémorable de ce Concerto pour violon en ré majeur. On peut constater toute l’assurance et la qualité technique du premier violon de l’OSM, ici soliste, surtout à travers les longues parties solos du concerto. On savoure les notes qui semblent si précieuses entre les doigts virtuose de Wan. À travers toute l’œuvre, on sent une continuité remarquablement équilibrée, même à travers les modulations et les passages entre les sections. On admire l’apparente complicité entre l’orchestre et son premier violon. On aurait peut-être aimé voir Wan prendre un peu plus de place sur scène, notamment dans le volume et dans la prestance, mais on ne peut critiquer son interprétation irréprochable.

Première étape du voyage Beethovenien de l’OSM, il sera possible de réentendre le concert ce soir, jeudi 26 octobre à 19h30. Également, l’OSM présentera la Symphonie no. 7 dès le 8 novembre. Pour plus de détails, visitez la page des concerts à venir de l’OSM.

Crédit photo : Gabriel Fournier

minimaliste / musique contemporaine / post-minimaliste

Paramirabo et Ensemble Variances à Bourgie : la pulsation, évoquée plus que martelée

par Frédéric Cardin

Deux rencontres simultanées avaient lieu hier à la salle Bourgie à Montréal : des interprètes français et québécois de musique d’aujourd’hui joignaient leurs forces, soit l’Ensemble Variances et Paramirabo, et, deux diffuseurs, Bourgie elle-même et Le Vivier, coproduisaient l’événement. Le thème-titre du concert, Pulse, laissait deviner une soirée placée sous le signe de la musique répétitive étasunienne. Pulse est d’ailleurs le titre éponyme d’une pièce de Steve Reich, grand maître du genre, placée en seconde place dans l’ordre du programme.

Or, la présence de la pulsation comme colonne musicale et architecturale s’est faite beaucoup plus subtile et discrète que présumée. Une pulsation bien plus évoquée que martelée, dans ces cinq œuvres écrites par deux femmes et trois hommes, et dont deux constituaient une création mondiale, et une autre, nord-américaine! 

Still Life in Avalanche, de l’excellente Missy Mazzoli, correspond d’emblée à l’idée que l’on se fait du minimalisme répétitif, mais son orchestration fait hésiter et hoqueter la linéarité du beat ainsi que la tonalité initiale de la pièce. On se retrouve avec des épisodes ludiques et, oui, pulsatifs, façon John Adams dans ses sonorités, mais qui s’échangent la prééminence avec d’autres passages assagis, plus chromatiques tendant parfois vers l’atonal. On dirait un tango schizophrénique réalisé par un couple dysfonctionnel. Très intéressant.

Steve Reich lui-même, avec son propre Pulse, relativise nos aprioris sur cette musique avec une pièce qui apparaît substantiellement plus apaisée que ses chefs-d’œuvres mieux connus comme Music for 18 Musicians, Different Trains, Drumming, Piano Phase, etc. Ici, la pulsation si emblématique de la musique de l’Étasunien se déploie en douceur et se fait bien moins percussive. D’ailleurs, aucun instrument de percussion n’est présent. Le tempo est également ralenti. Du Reich, certes, mais presque zen.

Le pivot central de la soirée, la pièce faisant office de séparation entre deux parties de deux pièces chacune, était Les Mémoires du miroir de quartz du Montréalais Marc Patch, pour piano solo. Composée en 1992, la pièce était jouée pour la toute première fois (d’où son statut de ‘’création mondiale’’!). Je comprends encore mal la pertinence de celle-ci dans la logique du programme. Il s’agit d’un exercice résolument atonal, fait de fulgurances d’accords violents, façon Stockhausen, entrecoupant des passages en cascades perlées et lumineuses. On est plus à Darmstadt que dans le New York des minimalistes. Cela dit, ne vous méprenez pas sur mes propos : Les Mémoires du miroir de quartz est une excellente pièce, jouée avec conviction, précision technique et contrastes brillamment suggérés par Thierry Pécou. Mais, aucun rapport avec le reste. Peut-être, justement, pour faire contraste? Je n’ai rien contre, mais on aurait pu expliquer.

Cassandra Miller, Montréalaise d’adoption vivant maintenant à Londres, suivait avec Perfect Offering, en création nord-américaine. En apparence simple, on devine l’extraordinaire difficulté de bien mettre en place cette pièce qui s’amorce comme un hommage aux frères Eno, Brian et Roger. On s’imagine en effet dans Music for Airports, œuvre culte et fondatrice de l’ambient contemporain dans les premières minutes. Mais contrairement à celle-ci, la pièce de Miller évolue de façon plus étoffée en se gonflant de puissance et de résonance, crescendo palpable qui se résorbe dans un faux fade out au violon et à la clarinette, cette dernière se faisant de plus en plus imperceptible, jusqu’à un pianissimo infinitésimal, véritable tour de force du soliste (Carjez Gerretsen, remarquable). C’est la fin? Non! On repart, avec un brin plus d’élan qu’au début, et désormais, la pulsation se fait plus invitante. La véritable conclusion est plus abrupte que souhaitée. Je pense que je préférais la fausse fin en infinie disparition de la clarinette. N’empêche : Perfect Offering, si elle n’est pas parfaite, est néanmoins une offrande grandement appréciée.

Le concert s’est terminé avec une création mondiale, une vraie, écrite en 2023 par Thierry Pécou lui-même. Les deux ensembles étaient conviés à jouer Byar, inspirée de la musique pour gamelan balinais. On connaît plusieurs Canadiens qui se sont inspirés eux-mêmes de cette musique : Colin McPhee, l’un des premiers, et Claude Vivier bien sûr. Pécou convoque un peu leurs visions, mais en les enrichissant de bien d’autres et en émulsionnant le tout dans le creuset de sa propre personnalité musicale, déjà très riche. Byar fait penser à un improbable cours d’eau circulaire, faits de remous tumultueux et de passages balisés. Expressionnisme coloristique, et cohésion structurelle d’inspiration répétitive mais souvent éclatée par des explosions spontanées, Byar est une oeuvre que je qualifierais de post-pulsation, post-répétition, ou encore post-moderne sans remords à piquer des éléments ici à l’avant-garde, ailleurs au minimalisme classique. J’ai besoin de la réentendre pour commencer à en apprécier toutes les nuances et les implications. C’est bon signe.

Excellentes performances des musiciens sur scène (et souvent ailleurs dans la salle, en projection spatiale et sonore multidirectionnelles). 

Le public qui garnissait correctement la salle Bourgie (j’aurais aimé plus, quand même) a chaudement applaudi, avec raison.

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