expérimental / contemporain / jazz

FIJM | Fievel is Glauque au dessert… Chargé!

par Alain Brunet

Misc en plat d’entrée et Fievel is Glauque au dessert du jeudi 3 juillet, soit au Studio TD en Ce groupe bruxellois peut être associé indirectement au jazz.

La chanteuse bruxelloise Ma Clément aime les Cocteau Twins, Whitney Houston et Björk. Le claviériste Zach Phillips cite Maher Shalal Hash Baz, Royal Trux, Annette Peacock, MF Doom, Mal Waldron et Carla Bley. Et … tous ces noms ne résument aucunement le résultat audible, riche, exigeant, passionnant.

Vaste palette, vaste programme que celui de Fievel is Glauque. Très porté sur les polyrythmes, les harmonies modernes, la musique de chambre, la pop, la chanson, cette formation propose un orchestre de chambre à instrumentation hybride.

On ne peut parler ici de « chansons » en bonne et due forme, les textes chantés (en française et en anglais) s’inscrivent dans de longues pièces qui ne souscrivent en rien aux critères de la pop culture. C’est difficile à jouer, il faut tripper sur les formes complexes pour apprécier vraiment.

La voix relativement mince (mais toujours juste et impeccable dans le phrasé) de Ma Clément rappelle un tant soit peu Lætitia Sadier (Stereolab), mais avec plus d’exigences techniques et des compositions encore plus chargées. Notons en outre que saxophoniste et flûtiste André Sacalxot est le soliste principal de cet orchestre étoffé, qui fera l’objet d’un culte si ce n’est déjà le cas.

Franchement une découverte.

Photo: Emmanuel Novak Bélanger

FIJM | Une fin de jeudi avec Suuns

par Marilyn Bouchard

Le trio montréalais SUUNS était de passage ce jeudi 3 juillet au Club Loto-Québec dans le cadre des Nocturnes Loto-Québec du Festival International de Jazz, une série de concerts tardifs et ambiancés.

Ben Shemie, Liam O’Neill et Joseph Yarmush étaient pour l’occasion en maîtrise de leur répertoire et nous ont présenté un amalgame de chansons-cultes et de moins connues devant lettres géantes gonflables de leur nom et lasers aux couleurs primaires.
Ils ont frappé fort en ouverture en plongeant dans leur mythique album Images du Futur avec Music Won’t Save You auquel ils sont revenus par la suite en cours de programme avec 2020 et Eddie’s Dream, chaque fois sous les acclamations d’une foule dégourdie et bien au fait de leur répertoire. 

On a eu droit à quelques morceaux choisis de leur plus récent, The Breaks, ainsi que de Felt et de Zeroes QC. Il était vraiment intéressant de voir de quelle manière ils parviennent à trouver l’équilibre entre leurs différentes atmosphères en live, entremêlant comme si de rien n’était l’électro-clash et des moments presque acoustiques avec fluidité. On a également été gâtés par des progressions étendues et des petits moments d’improvisation.

En fin de soirée,  Ben nous a surpris en livrant une réinterprétation bien sentie de Faut que j’me pousse d’Offenbach, dont le propos semblait résonner profondément en lui.Ils nous ont laissé comme ils sont arrivés : sur des fréquence électrifiées représentant bien, au final, leur projet musical avant-rock  si emblématique et évolutif.

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ambient / électronique / jazz / jazz électro / post-rock / rock prog

FIJM | Misc: Beat Bouquet bien garni!

par Alain Brunet

Il fallait être aux Foufounes Électriques pour en ressentir les fragrances, c’était l’occasion de présenter le concert-lancement de Beat Bouquet, rendu public à la fin de mai. Le trio montréalais était installé au centre du parquet, autour duquel quelques centaines de fans pouvaient observer, circuler, applaudir, crier son contentement. 

Misc aime créer des événements spéciaux, au-delà du concert, et l’installation aux Foufs était comparable à un concept mis en œuvre par le même trio, cette fois au Centre Phi pour y défendre la matière de l’album précédent, Partager l’ambulance.

Constitué du claviériste Jérôme Beaulieu, du batteur William Côté et du bassiste  Jérémi Roy, Misc propose un mélange de facture apparemment jazz, typique de la mouvance des dernières années, quoique traversé par différentes expressions numériques, électro ambient ou hip-hop mais aussi par le prog rock et le post-rock. Ces authentiques trippeux ont même convaincu Daniel Bélanger, toujours enclin à quelques expériences, et Zouz, un des meilleurs groupes rock de l’heure au QC,  de s’impliquer chacun dans une pièce du nouvel album – respectivement Resté couché (en novembre) et Feu de batteries.

Depuis leurs débuts (au cours de la décennie précédente), ces mecs  trippent ensemble en studio, leurs compositions à six mains et trois têtes résultent de longues séances de jeu d’où émergent l’inspiration et les œuvres présentées en primeur mercredi. 

Ils kiffent les rythmes complexes, les accords complexes, les sons complexes, ils aiment aussi les grooves inhérents au jazz ou au rock, ils aiment le chaos et aiment organiser le chaos, enfin bref ils visent un dosage de référents connus et d’inédit, dosage bien assez équilibré pour déborder le cadre des initiés. L’exécution aura été excellente. Il faut être un instrumentiste éduqué et ayant atteint un très bon niveau pour jouer ce que Misc joue. Et ce, pour notre plus grand plaisir.

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americana / blues / folk

FIJM | Concert apothéose d’Allison Russell dans sa ville natale

par Michel Labrecque

Incandescente, résiliente, émouvante, brûlante, lumineuse, magnifique! On peut dire tout ça et plus encore sur Allison Russell. 

Accompagnée d’un trio de musiciennes, la chanteuse et compositrice s’est mise à nu devant une foule considérable sur la grande scène du FIJM. Et ce fût un moment brillant et magique!

Après un court solo de clarinette et une chanson a cappella, Allison a enchaîné sur sa chanson Montreal, qui raconte des moments très pénibles de son enfance montréalaise. Mais c’était aussi une façon de dire aux spectateurs qu’elle était contente de revenir dans sa ville d’origine. Et qu’elle se la réappropriait.

 « Ça fait du bien à mon esprit d’être ici avec vous », nous a-t-elle scandé. 

Il me semble qu’Allison Russell est de plus en plus assumée et que sa voix ne cesse de gagner en profondeur. Son mélange americana nous émeut, nous fait groover et nous fait aussi réfléchir. Cette femme de 43 ans semble rayonner malgré un passé houleux, parcours à tout le moins compliqué. 

Ce concert comportait aussi une dimension montréalaise: elle a chanté plusieurs couplets en français et s’est adressée à la foule autant, sinon davantage dans la langue de Molière que dans celle de Donald Trump. 

Elle a aussi parlé de l’importance de l’accès gratuit à la culture à Montréal, de l’art qui lui a littéralement sauvé la vie, quand elle était adolescente. Elle aime toujours Montréal d’amour. 

Celle qui habite aujourd’hui Nashville nous a également fait part de ses angoisses face à ce que son pays d’accueil est en train de devenir, l’annulation des politiques favorables à la diversité, dont elle est une grande partisane. 

Qui sait? Donald Trump va peut-être finir par la déporter. Elle qui a chanté récemment sur une chanson avec plusieurs groupes qui s’intitule No Kings in The USA. 

Mais, hier soir, c’était la musique qui dominait tout. Et cette voix! Allison Russell a aussi pris le risque de diminuer l’intensité au milieu du concert pour nous présenter un moment plus « feu de camp » acoustique en chantant la magnifique Superlover, qu’elle a enregistrée en studio accompagnée d’Annie Lennox, la chanteuse mythique du groupe britannique Eurythmics. Chanson qui parle de larmes en Palestine, en Israël et au Tennessee. 

Puis ça s’est remis à groover pour la dernière partie du concert, au grand plaisir de la foule. Par hasard, on a entendu des détonations, sans doute de feux d’artifices, qui, pendant un moment, nous ont fait croire à une invasion américaine… Je rigole, mais pas complètement. 
Je suis toujours étonné du fait que beaucoup de Québécois ne connaissent pas Allison Russell, malgré une entrevue donnée à Tout le monde en parle en 2023. J’espère que ce concert gratuit en plein air permettra de lui donner la reconnaissance qu’elle mérite ici autant qu’ailleurs.

Photo: Victor Diaz Lamich

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FIJM I Le mieux habillé, le plus possédé : Fantastic Negrito stupéfie la scène Rogers

par Stephan Boissonneault

Xavier Dphrepaulezz, mieux connu dans le monde de la musique sous le nom de Fantastic Negrito, est l’un des artistes les plus envoûtants du blues contemporain. Ses albums, qui lui ont valu des Grammys, présentent toujours une combinaison de gospel, de blues rock, de roots déjantés et de bizarrerie, comme s’il était un fantôme venu d’un autre monde et qu’il racontait son histoire. C’est un son difficile à transposer sur scène, car il est généralement accompagné d’une chorale pour ses numéros de gospel aux sonorités énormes, mais sa prestation au festival de jazz de Montréal a été tout simplement électrisante et surréaliste.

Dès qu’il a fait son entrée sur la scène Rogers, vêtu d’un ensemble audacieux et flamboyant – un gilet bordeaux vif, d’immenses pantalons des années 70, un chapeau de proxénète à larges bords, des favoris sauvages et ébouriffés et, pour couronner le tout, une cape dorée avec les mots « Dictateur du goût » peints à la bombe -, il a revendiqué sans conteste le titre de « mieux habillé ». Sa garde-robe était comme un prolongement de sa musique : audacieuse, pleine d’âme et unique en son genre. Mais c’est son attitude déséquilibrée qui a véritablement volé la vedette. Sa présence sur scène est celle de Kat Williams, d’un peu de Prince et de Chris Tucker dans Rush Hour, c’est la seule façon de la décrire à mes yeux.

Sur le plan musical, chaque riff, chaque cri d’âme et chaque stomp semblait déchaîné, au bord du chaos de la manière la plus excitante qui soit. Les morceaux de son dernier album, Son of a Broken Man, étaient lourds. Un moment, il s’adressait directement à la foule avec une conviction pleine d’âme, l’instant d’après, il grattait une guitare sauvage, sautant vers le bord de la scène, mettant le public au défi de le suivre. Un certain Pierre, 76 ans, que Negrito appelait son « cousin », est monté au hasard sur scène pour reprendre « Sex Machine » de James Brown.

« Je ne savais pas que ce type existait », a-t-il déclaré en riant. « Allez sur Ancestry.com »

Le groupe est à la hauteur de la ferveur de Fantastic Negrito à chaque instant, avec des tambours qui résonnent, des orgues qui amplifient la tension et des guitares crasseuses. « Tout le monde pense que la prochaine chanson est une chanson d’amour, mais il s’agit d’essayer de ne pas tricher », a-t-il déclaré au public avant de se lancer dans son groove I Hope Somebody’s Loving You (J’espère que quelqu’un t’aime). J’aurais aimé qu’il joue Lost In A Crowd, mais nous avons eu droit à quelques fredonnements de type gospel au milieu de son set, donc c’était suffisant. Longue vie au Fantastic Negrito.

Photos by Frédérique-Ménard-Aubin

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jazz

FIJM | Beth McKenna nous révèle son Momentum

par Frédéric Cardin

Il fallait être devant la scène du Pub Molson hier soir, au Festival de jazz, pour avoir la chance d’entendre quelques pièces du prochain album de la saxophoniste, compositrice et leader montréalaise Beth McKenna. J’aime beaucoup la musique de Beth, je l’avoue d’emblée. Son écriture, mais aussi son jeu, nous placent devant des panoramas cinématographiques, à l’intérieur desquels les images s’envolent dans des élans lyriques sophistiqués mais toujours accessibles. Beth fait du jazz moderne qui sait communiquer des émotions directement à un large public, sans jamais abandonner une exigence de rigueur intellectuelle dans la construction des morceaux. On peut déjà anticiper que cet album sera un autre solide opus. Le titre mentionné est Momentum, et Beth nous a donné à entendre quelques excellents extraits, comme Raising Sam, New Normal et la pièce-titre Momentum

Après ces mises en oreilles qui ont duré environ la moitié du set de 18h, la compositrice nous a emmenés vers des extraits d’albums passés, dans un programme bien choisi et équilibré entre ballades et jaillissements sonores plus affirmés. Avec ses ami.e.s sur scène, elle nous a confirmé sa stature parmi les meilleurs musiciens de la scène locale. 

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jazz contemporain / jazz groove

FIJM | Julius Rodriguez, as du jazz groove

par Alain Brunet

Sous contrat chez Verve pour l’album Evergreen (2024), ayant déjà filmé son Tiny Desk sur NPR, Julius Rodriguez a fait ce qu’il avait à faire au Studio TD, un mercredi 2 juillet 2025: mettre le feu.

De retour à Montréal, le mec de 26 ans est de ces claviéristes virtuoses (surtout de la main droite) ayant émergé avec la résurgence du jazz au cours de la décennie précédente. On ne peut encore présumer d’une vaste implantation, mais ces nouvelles formations pullulent sur les scènes gratuites du FIJM et laissent croire que la vague a gagné en intensité et en coolitude.

Chose certain, Julius Rodriguez en est un des acteurs importants. Le claviériste et compositeur américain (d’origine haïtienne) et ni plus ni moins un as du groove! Multi-instrumentiste de surcroît, il nous balance un solo de batterie entrelardé de ses improvisation échantillonnées au clavier. Capable de tout !

Soulignons que le vingtenaire a parfaitement assimilé ses classiques. Sans anicroche, il s’approprie Butterfly de Herbie Hancock, il en fait une pièce emblématique de son répertoire et en accélère un tantinet le tempo en formule quartette (trompette, basse, batterie, claviers). Très bon.

D’accord, convenons que le musicien propose des compositions originales qui n’ont rien pour déstabiliser le mélomane féru de jazz groove et de jazz tout court, mais il y a là une fraîcheur et une aspiration à se rendre encore plus loin que ce qu’on a pu entendre mercredi soir au Studio TD.

Prenez, cette conversation improvisée entre Rodriguez avec clavier en bandoulière et l’excellent trompettiste Alonzo Demetrius, cette belle exubérance a de quoi raviver la flamme du jazz à quiconque assiste à un tel échange en temps réel.

En fait, ces jeunes musiciens sont tous du niveau de l’élite mondiale, on peut aisément prédire que le meilleur est à venir. Et il est d’autant plus réjouissant de voir les mélomanes de leur génération embrasser cette haute voltige et cette ferveur du jeu.

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FIJM | Men I Trust brille de tous ses éclats sur la place des Festivals

par Marilyn Bouchard

Les retrouvailles entre le public du Festival International de Jazz et Men I Trust, s’étant fait attendre depuis 2016, ont eu lieu ce 3 juillet sous les éclairs et une fine pluie, le spectacle ayant été retardé d’une vingtaine de minutes en raison des cellules orageuses qui sévissaient autour.
Dès qu’Emmanuelle Proulx est montée sur scène toutefois, la chaleur est arrivée. Sous les acclamations de la foule, elle a salué Montréal en français et le spectacle s’est entamé comme il s’est conclu, soit avec une chanson tirée du nouvel album Equus Cabullus : To Ease You et Billie Toppy. Entre les deux, on a eu droit à une sélection des pièces les plus connues du groupe comme Show me how, Tailwhip, Seven, Serenade Of Water, Suga, I Hope To Be Around et Say You Can Hear devant une foule conquise qui s’étendait plus loin que le regard.

Jessy Caron et Drago Chiriac semblaient également habités par l’énergie du retour aux sources puisqu’ils étaient tous les deux survoltés, nous offrant des prestations inspirées sur leurs instruments respectifs. Mention spéciale aux éclairages, ces magnifiques contre-jours rappelant un peu l’esthétique scénique de Beach House : de toute beauté.

Une soirée électrisante dans tous les sens du terme où le trio montréalais brillait de tous ses éclats sur la place des Festivals. Même la pluie n’avait aucune chance de les refroidir.

Photos: Frédérique Ménard-Aubin

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jazz / jazz-fusion

FIJM | Anomalie et Lettieri : nouvelle amitié musicale naît devant nous, en temps réel

par Harry Skinner

L’artiste montréalais Nicolas Dupuis, mieux connu sous le nom d’Anomalie, offre sa musique depuis plus d’une décennie. Il est connu sur la scène locale pour ses rythmes contagieux et son jeu de clavier virtuose, et a collaboré avec des artistes de renom dans de nombreux genres, tels que Chromeo, Polyphia et Rob Araujo.

Au cours du Festival International de Jazz de Montréal cette année, cependant, il a présenté un nouveau type de performance sur scène : des sets de musique entièrement improvisés. Après avoir joué avec le batteur Larnell Lewis lors de la deuxième soirée du festival, il a repris le chemin du Gesù le 2 juillet avec le guitariste Mark Lettieri, célèbre pour son groupe Snarky Puppy, et son collaborateur de longue date, Ronny Desinor, à la batterie.

Avant que la musique ne commence, il a été dit que cette soirée ne marquerait qu’une deuxième collaboration entre les deux musiciens (certainement la première fois en trio avec Desinor), ce qui a donné au public l’occasion unique d’assister à la naissance en temps d’une nouvelle amitié musicale entre deux pointures en temps réel.

Le début du set semblait mettre l’accent sur l’improvisation de morceaux qui ressemblaient à des chansons entièrement formées.

Les membres du groupe ont entamé les morceaux à tour de rôle, se lançant à chaque fois tête la première avec un groove, une progression d’accords ou une ligne de basse bien soudés. Ils se sont échangés des solos et ont créé des ponts avec leurs morceaux, ce qui a permis de faire avancer la musique sur une base commune.

À certains moments du concert, on pourrait être pardonné de ne pas avoir réalisé que la musique n’avait pas été écrite à l’avance. Bien qu’il s’agisse sans aucun doute d’un exploit impressionnant, cela a parfois donné l’impression d’une certaine prévisibilité. À mon avis, la musique aurait pu bénéficier d’une plus grande spontanéité, Dupuis, Lettieri et Desinor étant parfois plus fidèles à leurs idées initiales qu’il n’était nécessaire.

A la fin du set, cependant, il était clair qu’un sentiment de familiarité plus profond allait s’installer.

Le groupe a progressivement commencé à prendre plus de risques avec ses idées, et ne semblait plus aussi pressé de remplir un espace sonore vide. Il en résulte des morceaux qui changent progressivement au cours de leur durée et se terminent à des endroits complètement différents de ceux où ils ont commencé.

Un passage particulier qui illustre ce changement d’approche est un vampire dans lequel le groupe s’est installé vers la fin du set. Centré sur un motif de clavier répété, le vampire s’est développé pendant quelques minutes et s’est approché d’un point culminant, avant de passer soudainement à un rythme double et de s’affaiblir progressivement pendant un certain temps. Lorsque le segment a semblé se terminer, cela s’est lentement transformé en quelque chose de complètement nouveau, sans que la musique ne s’arrête jamais.

Bien que le début du set puisse être qualifié de sûr, il s’agissait clairement moins d’une décision consciente que du produit de la nouvelle situation dans laquelle les musiciens s’étaient introduits. Il était d’autant plus intéressant de voir à quel point le groupe sonnait différemment à la fin.

Si Anomalie et Mark Lettieri ont impressionné, la présence indéniable de Ronny Desinor au kit a également été au cœur de nombreux développements musicaux intéressants. Avec une semaine de résidence dans ce cadre, le groupe ne manquerait pas de s’ouvrir à de nouveaux univers.

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jazz contemporain

FIJM | Linda May Han Oh, modèle pour les femmes contrebassistes

par Alain Brunet

La contrebassiste australienne (d’origine malaisienne) Linda May Han Oh est reconnue pour son jeu excellent, on a eu cette fois l’occasion de découvrir la compositrice et leader d’orchestre. Ses œuvres avec le pianiste cubano-américain Fabian Almazan (en l’occurrence son mari) et le batteur Mark Whitfield Jr (fils du guitariste autrefois membre du groupe maison du Tonight Show) sont excitantes et aventureuses, sans pour autant délaisser le sillon du jazz.

On observe plusieurs changements rythmiques au sein de chaque œuvre, les hachures font partie de son langage compositionnel et les improvisations de chacun s’inscrivent dans cette esthétique. Émises de pair avec son gros instrument, ses vocalises ajoutent de la profondeur à son esthétique, sans qu’on puisse conclure à un chant d’exception.

Le jeu de contrebasse reste toujours mélodique, l’articulation est exemplaire, le son n’est pas extrêmement riche mais largement au-dessus de la moyenne. Bref, cette femme de 40 ans est devenue un modèle d’accomplissement, on ne s’étonnera pas qu’elle joue avec les meilleurs et dirige une formation pas piquée des vers.

De son côté, Fabian Almazan est un pianiste (et claviériste) excellent, sa signature anguleuse porte de très belles charges harmoniques, ses phrases sont très souvent singulières, il peut compter sur une main droite agile et souple, et il faudrait l’écouter davantage pour avoir une idée plus précise de sa main gauche. Fait intéressant, il évite plusieurs clichés latins au piano, préférant la tradition du jazz telle qu’elle a été développée en Amérique du Nord avec ses prolongements classico-contemporains.

Pour crémer le tout, le batteur Mark Whitfield Jr manifeste une grande écoute de ses collègues et n’en beurre jamais trop épais, ce qui n’exclut en rien quelques pointes de virtuosités polyrythmique.

Retardé d’une vingtaine de minutes par la pluie en ce mercredi, ce concert de 20h a pu se terminer plus tard, on a donc eu droit à presque toute l’heure promise. Les dieux du jazz ont su convaincre ceux des nuages…

Suoni | La quête spirituelle, la fin dans la transcendance

par Z Neto Vinheiras

Dernier jour de Suoni. De l’hypnotique à l’éthéré, une nuit sacrée s’est déroulée dans l’Église Sacré-Cœur de Jésus, une nuit que l’on n’oubliera pas de sitôt.

En franchissant la haute entrée de l’église, l’atmosphère est déjà présente depuis quelques minutes – les yeux fermés, les oreilles ouvertes, l’oreille devient un corps à part entière et l’on a l’impression de pénétrer dans un autre domaine de perception des choses, d’être l’architecture d’une onde sonore ou l’acoustique d’un espace, d’être soi-même ou quelqu’un d’autre.

Entourés d’une énigmatique scénographie d’instruments, avec d’un côté deux tables d’harmonie de piano ascendant associées à un ensemble d’objets et de percussions et de l’autre les mystiques Ondes Martenot, Noam Bierstone et Daniel Áñez nous transportent à travers les fils d’une dissonance bienveillante, de bruits et de mélodies qui semblent se dessiner dans l’air – un carrefour de sonorités, peut-être non surveillées, mais clairement la traduction d’une écoute très méticuleuse et avisée. Il y a de la continuité, du flux, de la texture, de la gravité, de l’attention, du soin et certainement de l’étonnement – un étonnement qui traverse l’espace à travers l’air vers le côté opposé de l’église – la bête prend le relais dans la transition la plus douce entre les sets et remplit l’église d’un bain sonore sacré pour les 40 minutes à venir.

En se promenant dans l’espace, on pouvait vraiment sentir l’acoustique psychique et physique à travers la chair et l’esprit, la structure d’une onde sonore telle qu’elle vit dans l’espace ; comment le son est physique et la perception est corps + espace ; comment l’écoute est une expérience corporelle complète, est active, et fait partie du système organisé du son. Beast, le duo local composé de Katelyn Clark (orgue/claviers historiques) et ben grossman (vielle à roue), a rappelé cela d’une manière qui s’est sentie ancrée dans un moment d’introspection collective, d’autoréflexion et d’écoute profonde.

Après la pause, la célèbre organiste Kara-Lis Coverdale nous fait cadeau d’un set d’une heure – des virevoltes synesthésiques se transforment en douces couvertures sonores, une couleur sur une autre fusionne en profondeur, les ondes sonores coulent et traversent les reflets des murs – c’était le voyage sonore et le nettoyage spirituel dont nous avions besoin pour nous sentir en paix à la fin de ces deux semaines de musiques et de performances les plus variées et les plus révolutionnaires. Coverdale est une sculptrice spectrale et une alchimiste auditive – elle crée la voie harmonique dans laquelle on s’éloigne, on trouve son chemin et on transcende. Profonde, lumineuse, éthérée – la vie est un bonheur.

Merci, Suoni.

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funk / hip-hop / jazz groove / jazz-funk / soul/R&B

FIJM | Thundercat, félin en pleine liberté

par Jacob Langlois-Pelletier

S’il y a bien une chose qu’on retient de la venue de Thundercat à la salle Wilfrid-Pelletier mardi, c’est qu’il existe deux facettes bien distinctes du virtuose de renommée internationale : celle qu’on découvre sur album, et celle qu’il offre sur scène. Les adeptes présents ont rapidement compris de quel bois se chauffait cette dernière.

Pendant près de deux heures, le bassiste américain a transformé chacun de ses morceaux en tremplin vers de longs élans d’improvisation, sentis et hypnotisants. Iconique Ibanez orange à six cordes en main, Thundercat — de son vrai nom Stephen Lee Bruner — a puisé aux quatre coins de sa discographie, en se concentrant principalement sur son plus récent projet, It Is What It Is.

Au centre de la scène, le Californien s’éclatait en compagnie de ses acolytes de longue date et excellents musiciens : Justin Brown à la batterie et Dennis Hamm aux claviers. Sourire aux lèvres, et plus souvent qu’à son tour les paupières closes, l’artiste de 40 ans se laissait emporter par ses impulsions créatives, naviguant entre jazz fusion, R&B, funk et hip-hop.

Alors qu’il s’abandonnait à la tâche, le public suivait, porté par des changements de direction soudains, mais toujours maîtrisés.


En ouverture, l’enfilade Lost in Space / Great Scott / 22-26, Interstellar Love puis Overseas a donné le ton à cette célébration jazz presque jeu-vidéo-esque. Aux allures de George Duke ou de Marvin Gaye moderne, Thundercat superposait avec brio sa voix éthérée et rêveuse aux fondations enveloppantes du trio. Par moments enterré par les instruments, le chanteur aurait toutefois bénéficié d’un gain plus généreux sur son micro.

Fort de plus de vingt ans d’expérience sur la scène musicale, tout semblait si facile pour lui. Thundercat enchaînait les changements d’ambiance et les interactions avec la foule avec une aisance déconcertante. Le moment fort de la soirée est survenu lorsqu’il a invité un jeune homme sur scène pour danser pendant ses deux morceaux les plus populaires, Them Changes et Funny Thing.

La soirée s’est conclue en beauté alors que l’organisation du Festival de Jazz lui a remis le Prix Miles Davis, une distinction décernée chaque année à un artiste de jazz afin de souligner sa contribution au renouvellement du genre. Que ce soit pour ses nombreuses venues à Montréal, ses offrandes solos ou ses collaborations marquantes avec Kendrick Lamar, Erykah Badu, Childish Gambino ou même Kamasi Washington, cette reconnaissance est plus que méritée.

Voir Thundercat sur scène, c’est une expérience bien différente de ce à quoi on pourrait s’attendre. N’en déplaise aux quelques spectateurs et spectatrices qui ont quitté la salle, une fois le délire saisi, on y embarque pleinement.

Déjà cinq ans se sont écoulés depuis son dernier album. Vivement du nouveau matériel, plus tôt que tard.

Crédit photo: Benoit Rousseau

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