baroque / chant choral / chant lyrique / classique occidental

Violons du Roy et La Chapelle de Québec | Une soirée de découvertes sur les traces des premières cantates de Bach

par Mona Boulay

C’est un répertoire intéressant que nous ont présenté les Violons du Roy, accompagnés par le chœur de chambre La Chapelle de Québec, et dirigés par Bernard Labadie, ce 6 mars dernier : celui des premières cantates de Bach, premières œuvres de celui qui allait devenir la référence absolue de la musique baroque. 

Le concert s’ouvre sur une brève, mais très enjouée, présentation par Bernard Labadie. On y interroge les jeunes années de Bach : nous n’avons aucune trace de ses compositions réalisées avant son apprentissage, à l’exception d’une pièce autour de ses seize ans. Qu’a-t-il écrit pendant ces années d’études, avant de publier ses premières cantates ? Un grand mystère qui nous rend encore plus curieux·ses d’entendre ces fameuses premières œuvres diffusées. 

Ainsi, les premières notes de la Cantate BWV 150 Nach dir, Herr, verlanget mich résonnent dans le Palais Montcalm. Comme tout au long du concert, les formations sont éclatées : ce coup-ci, pas d’altos, un seul violoncelle, une contrebasse et un basson. Tout de suite, on entend clairement des couleurs que, sans connaître parfaitement Bach, on n’aurait pas imaginées sorties de l’esprit du compositeur : des harmonies audacieuses, changements vifs de tempo à répétition, et, de par la formation particulière, un équilibre sonore singulier. Les Violons du Roy rendent avec excellence la beauté de cette cantate. Les passages en chœur sont parfaitement réussis, mais il nous a semblé que les premiers passages des solistes (issu·e·s de La Chapelle) soient un peu plus timides.

La Cantate BWV 131 Aus der Tiefe rufe ich, Herr, zu dir poursuit la soirée, et cette fois-ci c’est le pupitre des violons qui se raréfie. Les altos reviennent dans la balance, et surtout, un hautbois fait son apparition, quasiment au rang de soliste puisqu’il vient tricoter en contrepoint avec les chanteurs solistes, et répondre à leurs interventions. Il semble que ce travail soit parfois éprouvant, et bien que la majorité de la cantate soit très bien maîtrisée par la musicienne, on décèle certaines tensions par endroit (aussi faut-il préciser que la partition demande une endurance respiratoire assez impressionnante). Lors de l’Arioso chanté par la basse, Stephen Hegedus, il semble que le tempo soit disputé entre le chanteur, le hautbois et l’orgue, ce qui donne une sensation d’imprécision sans que l’on puisse savoir qui en est le·la responsable.  Toutefois, on garde un bon sentiment général de la pièce, avec un final tout à fait maîtrisé qui nous laisse avec un goût de splendeur avant l’entracte. 

C’est une formation encore plus atypique qui ouvre la seconde moitié du concert, avec deux violes de gambe et deux flûtes à bec à la place de la section de violon dans la Cantate BWV 106 Gottes Zeit ist die allerbeste Zeit. Une couleur de musique ancienne bien assumée, évoquant des instrumentations de la Renaissance, qui donne lieu cependant à quelques défis de justesse. Les solistes semblent avoir repris du poil de la bête et leurs interventions marquent plus, notamment le « Ja, komm, Herr Jesu, komm! » exécuté par la soprano Myriam Leblanc avec brio. La cantate se déploie, avec également un beau solo de mezzo, exécuté par Marie-Andrée Mathieu, que l’on n’avait jusque-là pas entendue et agréablement soutenue par le ténor Hugo Hymas.

Pour clore le concert, c’est la Cantate BWV 4 Christ lag in Todes Banden qui a été choisie. Cette fois-ci on retrouve une formation baroque un peu plus standard. La cantate est plus austère, en accord avec le texte, à l’exception des Alléluias qui ponctuent chaque fin de verset. À noter un beau duo entre Myriam Leblanc et le contre-ténor Daniel Moody, bien que ce dernier perde légèrement de la beauté de son timbre sur les notes plus aiguës. Plus tard, on entend la voix de Stephen Hegedus, mise en valeur de manière plus prégnante que dans ses précédentes interventions, lors de son Aria pour le verset 5. Le concert se termine sur un ultime « Alléluia », grandiose.

Le concert BACH, LES PREMIÈRES CANTATES ET BERNARD LABADIE, sera présenté de nouveau à Québec le 7 mars 2025 et à Montréal le 8 mars 2025

BILLETS ET INFOS

expérimental / contemporain / musique acousmatique / musique actuelle

Clôture du M/NM : Havre acousmatique dans la frénésie de la Nuit Blanche 

par Judith Hamel

Samedi soir dernier, la ville grouillait d’une foule emmitouflée, attirée par l’effervescence de la Nuit Blanche. Comme une colonie en mouvement, on se faufile à travers la frénésie sonore du DJ set sur la place des Festivals avant de bifurquer vers l’Agora Hydro-Québec, de l’autre côté de Maisonneuve. Là, dans la pénombre, le public s’est disposé en grand colimaçon au cœur du dôme de 32 haut-parleurs pour écouter les sons et vibrations des œuvres du grand marathon musical qui clôt ces deux semaines intenses de la 12e édition de Montréal/Nouvelles Musiques.

Produit par le Groupe de Recherche-création sur la Médiatisation du Son (GRMS) en collaboration avec Hexagram, cet événement promet une grande nuit immersive.

D’ailleurs, ce marathon musical a dû faire naître plusieurs nouvelles passions acousmatiques puisque nombreux sont les néophytes qui, curieux par la programmation de la Nuit Blanche, se sont joints temporairement aux initiés, se laissant porter par l’expérience, avant de reprendre leur course dans la nuit montréalaise.

Pour l’occasion, pas moins de 25 œuvres étaient au programme, dont de nombreuses créations. Les premiers sons résonnent vers 19h30 avec Exercices in Estrangement (Vietnam Radio) de Sandeep Bhagwati, une œuvre qui explore l’étrangeté du monde à travers une série d’exercices poétiques. Dans celui-ci, elle interroge la façon de vivre en tant que personne déracinée. 

Puis, un deuxième bloc s’ouvre une heure plus tard, mettant en lumière sept pièces de compositeur·rices autrichien·nes dont la plupart étaient parmi nous ce soir. 

Parmi les œuvres présentées, Brandung IV de Katharina Klement déploie des articulations sonores continues, tissant des jeux de matières sonores denses, parfois granuleuses, évoquant des entrechoquements et des mouvements de liquides. Dans Mosaic de Martina Claussen, on assiste à une construction sonore où des timbres réalistes sont sculptés progressivement dans la matière et où le son se construit continuellement. Avec Inner outer self-variance and my deranged disembodied voices de Enrique Mendoza, l’expérience devient plus troublante avec une immersion dans l’expérience des hallucinations auditives, où l’on ne sait parfois plus si les sons viennent de l’œuvre ou de notre voisin de chaise, créant un certain vertige sensoriel. 

Après une courte pause, la soirée se poursuit avec un bloc de trois œuvres intégrant une dimension visuelle. 

La première, Point Line Piano de Jarosław Kapusciński, projette sur grand écran la vision en temps réel du casque de réalité virtuelle porté par l’interprète. Dans cet espace numérique, il dessine des formes qui interagissent avec le son. La répétitivité de la performance et le retour constant à des tableaux vides rendent l’expérience quelque peu statique. Par ailleurs, l’impact des gestes sur la musique m’ont semblé demeurer flous. 

Vient ensuite Fluyen de Valentina Plata, une œuvre contemplative qui met en parallèle les tunnels artificiels creusés par l’homme et les grottes d’eau souterraines naturelles du Mexique. 

Enfin, Third State de Mike Cassidy et Kristian North se présente comme l’œuvre la plus convaincante. Cette pièce pour trois lasers, à la manière d’un oscilloscope, donne à visualiser les sons. Les timbres se dessinent à travers la complexité des figures lumineuses ainsi que la superposition des couleurs qui engendre de nouvelles sonorités. 

Puis, retour à la formation acousmatique avec un long bloc de neuf œuvres. La spatialisation assurée par Kasey Pocius était au point, impressionnante, complétant les dynamiques et les narrativités des œuvres.  Parmi les œuvres présentées, Friction of Things in Other Places de Rodrigo Sigal et Mambo de Francisco Colasanto s’alliaient particulièrement bien avec le contexte d’écoute par leurs emprunts aux sonorités populaires, folkloriques et rythmes latins. 

Vers minuit et demi, j’ai fini par tirer ma révérence. Après plus de quatre heures d’immersion acousmatique, Montréal et ses fourmis de la Nuit Blanche m’ont rappelé. 

La soirée s’est poursuivie, avec encore deux blocs à venir. Cinq créations y étaient programmées, mais elles resteront, pour moi, enveloppées de mystère…

musique contemporaine / période romantique

Ensemble Obiora : âmes soeurs musicales

par Frédéric Cardin

Concert féminin et féministe, doublé d’un exemple de diversité culturelle en musique contemporaine, Sororité de l’ensemble Obiora a rassemblé un public nombreux à la salle Pierre-Mercure hier après-midi. Un programme dirigé avec vivacité par Janna Sailor et au cours duquel nous avons pu entendre pour une trop rare fois à Montréal la musique de Reena Ismaïl, une des voix les plus réjouissantes en musique d’aujourd’hui. Après une composition assez scolaire qui tenait lieu d’ouverture (When Enchantment Comes de Rachel McFarlane, inspirée d’Oscar Peterson mais assez peu représentative), c’est en effet l’univers de fusion indo-occidentale de Ismaïl, une compositrice d’origine indienne vivant aux États-Unis, qui a offert le moment le plus coloré de l’après-midi. Meri Sakhi ki Avaaz (My Sister’s Voice), pour orchestre de chambre, soprano et chanteuse hindoustanie (le style vocal classique de l’Inde du Nord) a offert une envoûtante rencontre entre deux styles vocaux très différents, sur fond d’orchestre romantico-impressionniste (debussyste pour être précis, mais avec d’évidentes couleurs indiennes) sans aspérités harmoniques contemporaines, mais expertement détaillé. L’oeuvre qui s’amorce sur un extrait sur bande du fameux duo des fleurs de l’opéra Lakmé de Léo Delibes (dont le synopsis se situe en Inde) enchaîne une version plus ‘’authentique’’ de cette mélodie, entonnée par la soliste Anuja Panditrao (excellente). 

La soprano lyrique Suzanne Taffot se joint plus tard et les deux femmes se parlent d’amitié et de sororité dans un effet d’écho du plus que célèbre air d’opéra (repris tellement souvent dans des publicités). La rencontre entre les deux types de chant est très bien équilibrée et habilement construite par Ismaïl. La finale exige même une belle part de virtuosité de la part de Taffot, qui imite les envolées saccadées typiques du chant hindoustani avec une grande précision. Bravo.

La finale du concert était assurée par la Symphonie gaélique de Amy Beach, une œuvre longtemps négligée mais presque en passe de devenir un morceau de répertoire. La lecture de Sailor invitait une grande précision, généralement offerte par Obiora, si ce n’est quelques imprécisions rythmiques occasionnelles. L’orchestre a surtout offert une belle et ample sonorité d’ensemble, transcendant son caractère de ‘’grand orchestre de chambre’’ plutôt que véritable orchestre symphonique. 

L’ensemble Obiora s’avère être un ajout d’importance dans le paysage musical montréalais et québécois, car si l’on se fie au public présent, nombreux, très diversifié, familial et surtout très attentif, il réussit à fidéliser un nouveau public à qui il fait découvrir du répertoire méconnu et inspirant. Un succès signé ‘’diversité’’ qu’il faut célébrer!

expérimental / contemporain

M/NM | La Grande accélération, ambitieuse et maximaliste

par Vitta Morales

Le M/NM s’est achevé par une pièce ambitieuse et maximaliste du compositeur et guitariste Tim Brady à l’Oratoire Saint-Joseph. En effet, l’interprétation de La grande accélération : Symphonie no. 12 a exigé que cent guitares électriques, un ensemble de percussions et deux orchestres soient séparés en sections et disposés soigneusement le long du périmètre de l’espace.

Théoriquement, un auditeur situé n’importe où au milieu (entouré par l’ensemble massif) aurait dû être en mesure de ressentir l’effet complet de la pièce avec peu de variation perceptuelle grâce aux microphones et aux haut-parleurs placés stratégiquement pour compenser les retards temporels. Il convient également de mentionner que l’œuvre a nécessité plusieurs chefs d’orchestre pour diriger différentes parties de l’ensemble afin de s’assurer que tout le monde restait dans le temps. Les musiciens portaient eux aussi des écouteurs intra-auriculaires avec click track à cet effet.

Comment toute cette préparation s’est-elle traduite dans la pratique et comment s’est déroulée l’expérience d’une pièce aussi immersive ? Le moins que l’on puisse dire, c’est que c’était très captivant. Tout d’abord, conformément au thème du festival de cette année (le mariage entre la musique et les images), des images et des lumières ont été projetées au plafond et sur les murs, qui correspondaient vaguement à l’intensité de la musique au fur et à mesure que la pièce immersive se déroulait.

Les lecteurs d’un certain âge comprendront ce que je veux dire quand je dis que cela ressemblait aux visuels de Windows Media Player. C’est plutôt trippant et cool, mais il me semble que c’est plus une réflexion après coup par rapport à la musique elle-même.

En ce qui concerne la musique, elle contenait de douces nappes de cordes, des trémolos provenant de cent guitares électriques propres, de lourds solos de percussion, des accords de tutti croustillants, divers courants de fréquences qui s’entrecroisaient d’une section à l’autre et quelques solos de guitare électrique impliquant des glissandos de médiators.

Bien que des efforts aient été faits pour que l’expérience d’écoute soit aussi uniforme que possible, en réalité l’expérience changeait selon que l’on était assis ou non, selon l’endroit où l’on était assis et selon que l’on choisissait de se promener dans la salle. Mais ce n’était pas nécessairement une mauvaise chose. En fait, j’ai trouvé que l’exploration des variations temporelles et perceptuelles était plus amusante que de rester assis sur un banc pendant une heure. À plusieurs reprises, je me suis rapproché de la section des percussions, des guitares, des cors, etc. lorsque quelque chose attirait mon attention sur eux.

J’admets que la description du morceau m’a fait penser à la scène du film Walk Hard de Jake Kasdan dans laquelle le personnage Dewey Cox exige « une armée de cinquante mille didgeridoos » pour achever son chef-d’œuvre. Contrairement à Dewey Cox, Tim Brady est loin d’être un chanteur de country déjanté ; il m’a semblé être un compositeur et un guitariste très volontaire qui a créé une expérience d’écoute fascinante. Parfois rauque, parfois en transe, peut-être un peu trop long à mon goût, mais un morceau extrêmement intéressant qui mérite amplement de constituer un climax du 12e M/NM.

musique contemporaine / Musique de création / période moderne / post-romantique

M/NM | Climax universitaire à la Maison symphonique

par Alain Brunet

L’idée d’une coproduction entre la Société de musique contemporaine du Québec et l’École de musique Schulich de l’Université McGill est en soi excellente. Et cette idée n’est pas neuve, les deux institutions ont collaboré par le passé. De quelle manière s’incarne cette relation en 2025 ? La soirée de vendredi, passée à la Maison symphonique dans le contexte de Montréal / Nouvelles Musiques, était une occasion d’y réfléchir.

Au fil du temps, chose certaine, maestro Alexis Hauser dirige encore et toujours le meilleur orchestre symphonique estudiantin à Montréal. À la Maison symphonique, c’était certes le cas. Fort belle tenue. Rigueur. Clarté. Exécutions cohésives, solides, particulièrement dans les œuvres les plus classiques au programme – on parle ici du poème symphonique Ainsi parlait Zarathoustra de Richard Strauss, ainsi que du 2e Concerto pour piano  de Prokofiev joué par Alexey Shafirov, lauréat à deux reprises du concours de concertos de McGill –  précis sur toute la ligne, vif et tonique dans l’attaque, fluide de manière générale, et au rappel un généreux Prélude op. 3 n° 2 de Rachmaninov. 

La pièce finale au programme, celle de Richard Strauss dont le thème principal a été vastement popularisé en tant que trailor de 2001, Odyssée de l’espace, fut aussi exemplaire dans le contexte d’une exécution universitaire et d’un parquet rempli d’un public majoritairement constitué d’étudiants, d’amis, de parents, et plusieurs autres mélomanes ouverts à la chose, tous heureux d’être là.

Toutefois, il me semble que l’interprétation de Lontano de György Ligeti, jouée en première partie de programme, exigeait plus de profondeur timbrale, plus de texture et de puissance pour mener à bien ce discours obsessionnel de l’œuvre fondé sur des jeux de tensions déployés lentement sur un flot linéaire et insolite (pour l’époque de sa création). On avait l’impression que ce pan très important du programme,  au cœur de sa thématique, avait été moins bien ciselé, et c’était idem pour Continental Divide, une commande de la SMCQ passée au jeune compositeur Liam Gibson et présentée en création. En a-t-on vraiment saisi toutes les nuances ?

En premier lieu Musica ricercata de Ligeti, transposée à l’orgue et jouée par l’excellent Jean-Willy Kunz fut impeccable dans le contexte d’une transposition. 

Pour le côté cinoche, pas question de projeter des extraits de films  sur grand écran pendant les exécutions orchestrales. On a plutôt choisi l’évocation scénographique des grands classiques du cinéaste Stanley Kubrick, un fan de Ligeti ayant intégré ses musiques dans sa cinématographie. Alors pas de film, mais … apparition des jumelles spectrales de The Shining, masque cérémonial de Eyes Wide Shut , fameux monolithe de 2001, autour duquel des primates se mettent à réfléchir comme des sapiens, on en passe. On a aussi tenté des projections en mapping sur une façade arrière de l’amphithéâtre – trop éclairée pour l’intelligibilité des formes projetées ?  Bons flashs, goût certain, prémisses intéressantes, une certaine discrétion… une certaine minceur. Comment cette évocation peut-elle être maximisée dans un contexte d’exécution symphonique ? Poser la question… À n’en point douter, le très doué Sylvain Marotte (responsable des effets visuels) saura répondre à cette question pour la suite des choses. 

Et puis  il y a eu un parquet rempli ce soir-là, majoritairement peuplé de gens ravis d’être là. C’était déjà beaucoup pour la SMCQ et l’Orchestre symphonique de McGill . Qui, au fait, s’est  formalisé de certaines incohérences du programme (Prokofiev pour piano et orchestre après Ligeti… pourquoi?) et de la minceur de certaines exécutions, côté contemporain. Néanmoins, la grande majorité des spectateurs ont passé un beau vendredi à M/NM, les faiblesses évidentes de ce programme ne l’étaient pas pour la plupart.

baroque / classique

Violons du Roy, l’amitié célébrée au croisement du baroque et du classique

par Mona Boulay

Toujours dans leur série 40e anniversaire, les Violons du Roy nous ont proposé jeudi au Palais Montcalm leur concert Jonathan Cohen, Mozart et l’Amitié. Tel que son titre l’indique, le programme nous offrait un répertoire issu à la fois de l’œuvre de Mozart, mais aussi de celles d’amis proches de ce dernier. 

La soirée s’est ouverte sur la Sinfonia pour cordes en Fa Majeur, Fk. 67, de Wilhelm Friedemann Bach, fils aîné de son fameux père Johann Sebastian. Cette œuvre est un choix très intéressant, avec des couleurs avant-gardistes pour l’époque, en pleine transition entre le baroque et le classique. On y retrouve des tensions harmoniques osées, dès l’ouverture du Vivace, parfaitement soulignées par les Violons du Roy, qui nous donnent à entendre une superbe version de l’œuvre. L’occasion pour chaque pupitre de briller, notamment dans l’Allegro, lors duquel le jeu en question-réponse du thème est exécuté à merveille, véritable vague sonore qui se déplace d’une partie à l’autre de l’orchestre de chambre. 

Le concert se poursuit avec deux invité·e·s : Mélisande McNabney au piano-forte et Isaac Chalk à l’alto, pour un concert en Do Majeur de Michael Haydn, frère aîné du plus célèbre Joseph Haydn, et, comme le veut l’intitulé du concert, lui aussi proche de Mozart. La pièce met tour à tour en valeur chacun·e des des deux solistes, malgré leur jeu assez différent : d’un côté la touche précise et subtile de la pianiste, et de l’autre les envolées plus rocambolesques et baroques de l’altiste. Si l’on ne doute pas de la qualité individuelle de chacun de ces deux interprètes, on peut toutefois questionner leur jeu commun. En effet, si chacun·e brille dans ses parties solistes, les parties effectuées en duo manquent parfois de synchronisme, de jeu d’ensemble, surtout pour les effets d’ornementation ou les rallentando et accelerando, propres au style de l’époque. La mise en scène y est peut-être pour quelque chose : Melisandre au piano-forte est dos à Isaac Chalk. 

Après un court entracte, les Violons du Roy sont de retour sur scène, avec cette fois-ci deux flûtes, deux cors naturels et un basson. La section des vents vient gonfler les rangs pour la Symphonie en Mi bémol Majeur de Carl Philipp Emanuel Bach, lui aussi le fils de Johann Sebastian, et ami de Mozart. Au début de la pièce, il semble qu’un des cors peine à se réchauffer, l’instrument étant réputé pour sa difficulté technique. La pièce se déroule bien, bien que l’on peine à entendre les flûtes, souvent dans leurs registres graves, qui se tiennent pourtant debout au milieu de la scène, donnant un impact visuel supérieur à l’impact auditif. 

Pour clore ce concert, c’est le Concerto pour clarinette en la majeur de Mozart qui nous est présenté. Stéphane Fontaine, professeur de clarinette au Conservatoire de Québec et clarinette solo de l’Orchestre Symphonique de Québec, interprète brillamment la partie de soliste avec un son très rond, travaillé, maîtrisé du grave au suraigu, avec des nuances douces absolument remarquables. Sa performance tout à fait réussie laisse une marque forte sur le public pour clore le concert, accompagnée par toute la subtilité des Violons du Roy, décidément maîtres dans l’art du dosage, de la finesse et de la précision.

Afrique / Morna

Mois de l’histoire des Noirs | Le Cap-Vert à l’honneur au Théâtre Maisonneuve

par Sandra Gasana

C’est d’abord Lucibela qui ouvre le bal, après un premier morceau uniquement instrumental, magnifiquement orchestré par sept musiciens au total : deux cuivres, un cavaquinho, une basse, une guitare, une batterie et le directeur musical au piano. D’habitude, les solos arrivent un peu plus tard dans la soirée mais cette fois-ci, nous avons eu droit à des solos de saxophones et trompettes dès le début du concert.

Avec un français passable, elle s’adresse à la foule : « Ça fait plaisir d’être ici. Le Cap-Vert est connu grâce à Césaria », ajoute-t-elle, avant d’enchainer avec Areia de salamanza, qu’elle a interprété avec une maitrise sans pareil. Sa voix est celle qui se rapproche le plus de celle de Césaria Evora, à mon avis. Avec quelques pas de danse, elle semblait flotter dans sa robe orange.

Le spectacle mêlait des classiques incontournables avec des morceaux moins connus de la diva aux pieds nus.
La star parmi les musiciens ce soir-là était sans aucun doute le saxophoniste. Même lors des morceaux sur lesquels il ne jouait pas, il est resté sur scène pour faire des pas de danse, contrairement au trompettiste qui partait et revenait. Et lorsqu’ il jouait, il transportait l’audience avec lui, les applaudissements en témoignaient.
Le classique Besamo Mucho était particulièrement le moment fort de la prestation de Lucibela, qui a fait chanter le public, avant de laisser la place à Ceuzany.
« Je suis très contente de chanter pour vous », dit-elle dans un français bancal. « Merci Césaria ! »

Tout comme Lucibela, sa première chanson était douce, faisant ressortir la profondeur de sa voix, et par la suite, c’était place à la fête. Elle enlève d’ailleurs ses chaussures à talons et se met à danser pieds nus, un petit clin d’œil à la diva ?
Après Sodade, qui a enchanté le public, elle poursuit avec Amor Y Mar, sans les cuivres cette fois-ci. Ces derniers reviennent pour la dernière chanson de Ceuzany, qui pousse la voix un peu comme les chanteuses de soul américaines.
Brève entracte et c’est reparti avec tout d’abord Teófilo Chantre, qui a écrit plusieurs des chansons de Césaria Evora. Avec un français impeccable, il s’adresse à la foule entre Fatalidade et Mãe Carinhosa.
Il poursuit avec Voz de Amor et invite ensuite la foule à danser, ce qu’elle fait timidement, mais plus la soirée avançait, plus les spectateurs se décoinçaient.

En effet, ils se sont complètement lâchés lorsque Elida Almeida, qui était la dernière à performer, a défié l’audience : « C’est comme ça que vous dansez chez vous ? », demande-t-elle en s’adressant à la foule. « Bon, vous avez une autre opportunité », ajoute-t-elle et il n’en fallait pas plus pour que le théâtre au complet se mette debout et montre ce dont il était capable.
Rendant hommage au style de musique le plus connu du Cap-Vert, le morna, elle a transporté la salle avec sa voix unique et particulière. Chacune des chanteuses nous a offert des morceaux mélancoliques et festifs, parfois passant de l’un à l’autre presque sans transition.

Alors que c’est le dernier spectacle de la tournée, Elida a mis le feu, elle a fait chanter le public avec Sodade, mais cette fois avec tous les artistes qui l’ont rejoint sur scène, prenant le temps de remercier tous les musiciens, avant de terminer avec d’autres classiques.
Seul hic de la soirée : la chanson E Doce Morrer No Mar manquait à l’appel. Il est vrai que ce morceau est de l’artiste brésilien Dorival Caymmi mais Césaria l’avait tout de même popularisé. Je l’attendais toute la soirée et je suis rentrée bredouille. Mais bon, ce n’est qu’un détail. Je continuerai de la chanter dans mes spectacles, comme je le fais depuis 5 ans.

Crédit photo: Adam Mlynello

expérimental / contemporain

M/NM | No Hay Banda, théâtre rouge dada

par Frédéric Cardin

Le Théâtre Plaza s’est transformé hier soir en espace déroutant, hors du temps,  entre dadaïsme ‘’début vingtième’’ et jeune avant-garde ‘’début vingt-et-unième’’, pour la création du spectacle pluridisciplinaire du groupe No Hay Banda, Il Teatro Rosso – lisez notre  mise en contexte via l’entrevue avec Noam Bierstone, de No Hay Banda.

Si l’inspiration première de l’œuvre signée Steven Kazuo Takasugi à la musique et Huei Lin à la mise en scène et vidéographie, est appuyée sur les vieux théâtres du début du 20e siècle, souvent bourrés de rouge capiteux (sièges, rideaux, murs, etc.), la musique, elle, n’avait rien à voir avec cet univers rétro-kitsch. 

Pendant une heure approx, une partition ultra-pointilliste, interprétée avec précision par les membres de No Hay Banda avec accompagnement de bande et de vidéo, a taquiné le public à divers degrés d’intensité. Des vagues se sont succédées en crescendo-décrescendo, oscillant entre passages presque dénudés et moments de saturation sonore à la limite de l’insoutenable. Tout en égrenant des tonnes de notes, aucune ne faisant plus d’une seconde maximum, les artistes sur scène prenaient (autant que possible) des poses qui répondaient ou contredisaient celles projetées sur écran (les mêmes instrumentistes, jouant la même partition). On assistait à une sorte de décalage à la fois sonore et visuel entre le live et l’enregistrement audiovisuel. Sur scène, les musiciens étaient habillés de façon vaguement seventies meets années folles, alors que dans la vidéo, plutôt 1920-1930, mais non stéréotypée. 

La musique, totalement abstraite, n’est certes pas ‘’facile’’, mais son appui sur la mise en scène et sur la relation entre le langage corporel des musiciens sur scène versus leurs doubles dans la vidéo crée une dynamique dramatique, une théâtralité, qui sait capter et maintenir l’attention. 

Et cette théâtralité, raconte-t-elle quelque chose? Plus ou moins. Le programme indique une division en deux actes, Il Teatro Rosso et The Drowning. Ceux-ci sont divisés en trois et quatre scènes respectivement (The Spasms of Trapped Animals, Tar Pits, Grumpy Old Man, etc.), qui sont elles-mêmes sous-divisées. Que veulent dire ces titres exactement? Chacun et chacune y trouvera ses repères, plus ou moins explicites. Mais on pouvait, cela dit, suivre plus ou moins précisément le déroulement grâce à la gestuelle des artistes et la nature dynamique de la musique. Il y avait quelque chose qui rappelait les fulgurances créatives de Tristan Tzara au Cabaret Voltaire, accompagnées de musique bruitiste et de décors éclatés signés Arp et Janco, version post-moderne. Les esprits de Cocteau, Picabia, Schwitters ou Duchamp étaient probablement présents dans la salle montréalaise. 

Au final, cet hommage aux vieux théâtres rouges, ceux des décennies d’entre-deux-guerres du 20e siècle, est aussi, en vérité, une connexion symbolique entre deux avant-gardes séparées par une centaine d’années. D’un côté, l’une des sources de tous les mouvements expérimentaux des 20e et 21e siècles : le dadaïsme des années 1920, et de l’autre, une jeune avant-garde montréalaise hyperactive et inventive (d’ailleurs bien représentée dans le public qui remplissait abondamment le Théâtre Plaza) des années 2020.

No Hay Banda : 

Sarah Albu, voix; Adrianne Munden-Dixon, violon; Émilie Girard-Charest, violoncelle; Lori Freedman, clarinette basse; Felix Del Tredici, trombone basse; Daniel Áñez, piano; Noam Bierstone, percussions; Gabriel Dufour-Laperrière, sonorisation

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expérimental / contemporain / improvisation libre / musique contemporaine

M/NM | DigiScores : un éclectisme visuel et sonore

par Alexandre Villemaire

Le cadre bétonné et semi-industriel de l’Agora Hydro-Québec du Cœur des sciences de l’UQAM s’est rempli de couleurs, de formes et de sons dimanche dernier dans ce neuvième concert de la programmation 2025 du Festival Montréal/Nouvelles Musiques qui arrive à la mi-parcours de sa douzième édition.

On ne peut faire autrement que de parler de couleurs, de sons et de formes pour ce concert, car ces éléments étaient à la base du matériel musical du concert, dont le programme s’articulait autour de partitions graphiques animées. Ces dernières étaient projetées sur un grand écran placé derrière les musiciens de l’Ensemble SuperMusique (Olivier St-Pierre, piano ; Jean Derome, saxophones, flûtes, objets, voix ; Corinne René percussions ; Jean René, alto ; Vergil Sharkya’, synthétiseur) qui assuraient la réalisation de ces œuvres. Ainsi, plutôt que des partitions entendues au sens traditionnel du terme, la majorité des pièces présentées étaient des tableaux sonores et des œuvres d’arts visuels, plutôt que des œuvres sur partitions traditionnelles. Pour paraphraser les propos d’ouverture de Simon Bertrand, directeur artistique de la Société de musique contemporaine du Québec (SMCQ), la partition écrite est une œuvre d’art en soi, mais il y a bien d’autres manières de la concevoir.

La première œuvre présentée était de la compositrice Linda Bouchard, intitulée Pandémonium. L’œuvre explore trois concepts traditionnels de la musique avec des éléments visuels qui interagissent avec le jeu des instrumentistes : une voix principale dessinée en blanc, une partie d’accompagnement, dessinée en bleu, et des solos, duos et trios libres, dessinés en rouge. Les musiciens possèdent une partition fixe ainsi que des indications précises concernant le jeu qu’ils doivent exécuter. C’est le résultat du jeu des musiciens qui est projeté sur l’écran. Il en ressort une mosaïque sonore vivante où les formes qui apparaissent, tantôt anguleuses, tantôt linéaires, tantôt éclatées, peignent une toile sous forme de chaos organisé. La pièce de Linda Bouchard devient presque méditative.

La pièce Zero Waste du compositeur Nick Didkovsky utilisait un médium graphique plus traditionnel, avec une partition classique en notation occidentale. La particularité de la pièce réside dans la manière dont celle-ci est construite et évolue dans le temps. Il s’agit d’un duo entre le pianiste Olivier St-Pierre et un ordinateur qui met au défi l’interprète de créer et de lire à vue une nouvelle pièce en direct. Après un faux départ occasionné par un brusque arrêt de la projection, le musicien a pu aller au but de sa performance. S’ensuit un jeu de relai de style « téléphone » où après avoir joué les deux mesures créées par le logiciel, ce dernier en affiche deux nouvelles, interprétées et générées de nouveau, prenant en compte les différentes variations de l’interprétation, de même que les erreurs effectuées par Olivier St-Pierre. À ce mouvement perpétuel instauré au piano dont la partition se dévoile sous nos yeux, les instrumentistes se greffent à la matière musicale pour la complémenter. Il en ressort un caractère obsessif comme un mantra musical.

La vie de l’esprit de Joane Hétu, composé en collaboration avec l’artiste visuelle Manon De Pauw, est une allégorie sur le fonctionnement de l’esprit, des idées et de l’imaginaire. S’ouvrant sur une mélodie originale, on navigue à travers des moments de grandes tensions et d’effervescences chaotiques et des instants de calme. La partition/œuvre d’art de Manon De Pauw qui accompagne la musique sur laquelle Hétu a superposé la musique épouse les coups de pinceaux d’aquarelles, les effacements et les formes aqueuses créées sous nos yeux et qui prennent la forme de cellules ou de synapses.

L’œuvre de Terri Hron Mouth of a River fait également appel à l’eau dans sa constitution thématique et sonore, mais présentée dans un cadre plus stable. Inspiré par un séjour dans l’estuaire du Saint-Laurent, Hron explore ces eaux, ces rochers et ces marées par le biais de montages de photos et de vidéos. Le plan fixe tourné depuis une arche (ou une grotte) donnant sur le fleuve donne d’une bouche ouverte. C’est dans cette embouchure que différentes images et vidéos se superposent, se transforment avec une musique texturée.

Tiroirs bonbon pastels de Nour Symon est venu conclure la soirée avec une explosion de couleurs vives. Le langage de Nour Symon est dense, chargé et chaotique demandant une nécessaire acclimatation avant que l’auditeur et les interprètes trouvent leur vitesse de croisière. Nous en avions fait l’expérience dans un précédent concert avec son œuvre J’ai perdu le désert, un peu plus longue, mais qui s’inscrit dans la même lignée thématique. L’œuvre fait appel à une intensité de jeu marquante de la part des instrumentistes, notamment de Corinne René aux percussions et de Jean Derome. Ce dernier changeait d’instruments pratiquement à chaque seconde, alternant entre saxophones, flûtes, embouchures et divers objets, autant d’éléments qui influaient sur le timbre de la musique.

Ce concert a offert au public, cinq voyages visuels et auditifs qui nous amènent sur des chemins hors de notre zone de confort et de nos habitudes d’écoute en venant brasser notre conception, peut-être statique et conventionnelle de la partition écrite et de la manière de faire de la musique. L’éclectisme du concert a donné un vaste aperçu des formes que peut prendre ce type de composition, allant du plus expérimental au plus accessible. Si un des objectifs de ce concert était de présenter la variété de ce type d’écriture, il a été réussi.

expérimental / contemporain / Musique de création

M/NM  | L’usage de l’audiovisuel comme matériau de création, bienvenue chez Nicole Lizée

par Alain Brunet

Montréalaise originaire de Gravelbourg, Nicole Lizée est une authentique visionnaire de cette démarche consistant à utiliser le matériau cinématographique ou vidéographique dans la composition d’œuvres musicales. Samedi soir au Cœur des sciences de l’UQAM (Agora Hydro-Québec), c’était  le programme lui étant consacré: Montréal/Nouvelles Musiques y présentait 3 de ses œuvres dans un programme de 5. 

Les matériaux audiovisuels qu’emploie Nicole Lizée  dans ses œuvres comprennent divers éléments tirés du quotidien de différentes époques de son existence, jouets, archives audiovisuelles et autres artefacts du quotidien. La compositrice filme aussi ses propres scènes incluant des acteurs-musiciens,  comme ce professeur qui nous explique à tort ce qu’est un rythme acceptable et un autre injouable. 

Elle fait aussi dans l’humour absurde et  le fantastique lorsqu’elle fait apparaître de fausses partitions dans les mains d’une musicienne qui raconte ses déboires avec une entité possiblement malveillante. Or cette trame narrative n’a d’autre objet que d’être l’un des canaux d’expression d’un pièce musicale, en l’occurrence la réorchestration de 8-Bit Noir, composée en 2019. Dans le cas qui nous occupe, la flûtiste Marie-Hélène Breault est la seule instrumentiste sur scène, autour de laquelle la compositrice a érigé un environnement audiovisuel constitué de sketches vidéo. La facture DIY de l’œuvre est aussi une caractérisque de cette esthétique, on l’observera dans ses autres pièces au programme.

De Margareta Jeric, Les échos  de l’Adriatique a été créée samedi par l’Ensemble de la SMCQ sous la direciton de Cristian Gort. Pour flûte, clarinette, percussions, guitare électrique, piano, violoncelle, contrebasse, support et dispositif vidéo, cette pièce est accompagnée d’images de la mer Adriatique, particulièrement une usine de sardines, vétuste et abandonnée sur la côte croate, dont on ignore la destinée. Les sons imaginés par Margareta Jeric illustrent bien les failles du décor et la nature qui reprend ses droit. L’œuvre musicale est remplie de petits détails dans les percussions, cloches, coups d’archets dans les aigus, on en passe.

Black Midi, composée en 2017 par Nicole Lizée, est une évocation de cette sous-tendance aussi nommée Black MIDI, qui consiste en des compositions utilisant des fichiers MIDI afin de créer une pièce ou un remix contenant un nombre hallucinant de notes, arbitrairement posées sur la partition ou dans le programme de composition, à tel point que la feuille de musique finit par se noircir de notes, d’où l’expression Black MIDI. L’exécution suppose des résultats hallucinants, impossible pour les doigts humains d’interpréter de telles partitions. Autour de cette idée de musique impossible à jouer, la compositrice a imaginé une trame narrative, les personnages de la vidéo précédente sont de retour, ils racontent leurs aventures non sans humour, pantois devant  le phénomène. 

Pour piano et traitements audiovisuels exécutés en phase, cette œuvre inclut changements fréquents de tempos, accelerandos, modulation métrique, usage de jouets musicaux. L’objet est d’extirper ce procédé informatique de composition et de le lier à la performance vivante, le piano joué par Pamela Reimer coiffée d’une perruque dans ce contexte d’étrangeté et de fantaisie. Très intéressant, divertissant et humoristique mais… on peut avoir envie de décrocher avant la 22e et dernière minute de cette œuvre qui fait néanmoins son chemin dans le corpus d’œuvres déjà considérable de Nicole Lizée.

Closures de Philippe Macnab-Séguin est une œuvre où la masse sonore s’étend, se répand, se contracte, s’enroule ou explose à la manière de nos trajectoires de vie. La pièce s’ouvre sur un vrombissement suivi de lents glissandos menant à des éclats de fréquences aiguës. Ces successions d’ondes sont générées par un Ensemble de la SMCQ  cette fois composé de flûte, clarinette, percussions (vibraphone proéminent), guitare électrique , piano, violoncelle, contrebasse, support et dispositif vidéo. Le mouvement des marées devient progressivement un rythme continu et se fluidifie de nouveau avec des spirales mélodiques  ascendantes de clarinette et de flûte, pour ensuite se muscler de nouveau et s’éteindre lentement jusqu’à un dernier coup franc de percu, coiffé du même vrombissement servi en introduction. Franchement, ce Philippe Macnab-Séguin doit être pris au sérieux. 


On conclura avec Dancist, troisième œuvre de Nicole Lizée au programme, composée en 2019. Dans le même esprit que ses autres œuvres au programme. Dancist , pour clarinette, percussions, guitare électrique, piano, violoncelle, contrebasse et dispositif audio/vidéo, se consacre à l’évocation surréelle de la musique de danse, reprenant une trame narrative similaire, teintée d’une sorte de réalisme magique, aussi d’humour décapant et de d’auto-réflexivité sur son propre processus créatif dont les résultats se situent quelque part entre l’installation audiovisuelle et la composition. En quittant l’amphithéâtre, on se rappelle que Nicole Lizée a souvent défendu ses œuvres avec son propre ensemble qu’on voit moins vu l’essor de sa carrière en tant que compositrice. Le défi à venir pour elle, se dit-on au sortir de la salle de concert, consiste  de créer des œuvres qui auront  le même impact que celui produit par son propre orchestre.

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expérimental / contemporain / Musique de création

M/NM | Le geste et le son… À l’écoute du geste

par Alain Brunet

À l’écoute du geste était  le moment de l’Ensemble Éclat, un programme présenté dans un Music Multimedia Room (MMR) rempli à capacité. Cohérent avec la thématique du 12e M/NM,  soit le rapport entre image et musique, ce programme explorait la représentation visuelle de la musique à travers le geste, que ce soit par la danse ou par la gestuelle des interprètes de la musique. On a eu droit aussi à la démocratisation du karlax, un instrument numérique aux allures d’instrument à vent mais qui déclenche aussi des sons selon le mouvement.

Sous la direction de Charles-Éric Fontaine, ce jeune ensemble réunit trois interprètes de karlax (Tom Mays, D Andrew Stewart, Huizi Wang), la flûtiste Alex Huyghebaert, la clarinettiste Charlotte Layec, le tromboniste Éric Bourgeois, l’accordéoniste Darko Dimitrijevic, le percussionniste Charles Chiovato Rambalato, le pianiste Paul Çelebi, la violoniste Jeanne Côté, l’altiste David Montreuil, la violoncelliste Audréanne Filion, le contrebassiste William Boivin.

On a commencé par Les Princesses de Luis Naon (2008), œuvre composée pour la danse (Alexandra Caron) , pour piano, percussions, électronique. Non sans rappeler les cloches, tambours et gongs d’Asie méridionale ou d’Indonésie, cette œuvre est foncièrement atmosphérique, propice aux mouvements lents, fluides et gracieux de la danseuse. 

Cette mise en situation était propice pour Cinq frissons méta-mécaniques d’Adriana Alsina Tarrès (2019), pour accordéon et deux percussions. L’accordéoniste génère des motifs texturaux, notes seules, expirations sans notes et autres techniques avancées de son instrument, pendant que les percussionnistes en font autant en frottant, grattant et martelant leurs instruments. La pièce se déploie en deux temps, deux mouvements bien soudés… et le troisième mouvement sera joué après la pièce qui suit, et le quatrième après la suivante.

Prélude à l’épais, de Philippe Leroux (2017-18) s’amorce avec un décollage linéaire, lent, sûr de fréquences et textures mélodico-harmoniques. Viennent par vagues ces bouillons de cordes, vents et bois, violon, violoncelle, flûte, clarinette, piano. Des phrases mélodiques plus complexes s’immiscent progressivement, et produisent ainsi de superbes contrastes. La linéarité du départ se transforme en cascades et en éruptions, le calme et la tempête se disputent le territoire, le calme finit par l’emporter. De plus cette consigne particulière aux interprètes : dessiner dans l’espace des lettres, des mots, des lignes question d’explorer la relation entre le geste de l’écriture et celui de la production des sons, le tout inspiré d’une toile de la collection Pierre Bourgie, soit l’Annonciation de Jan Provoost, peinte au XVIe siècle.

S’ensuit Aphasia, pour interprète gestuel et électronique, se veut une « explosion de sons complètement déformé », commandée à l’origine en France à Mark Applebaum par le Groupe de Recherche Musicale (GRM) et induisant une gestuelle de l’interprète (chanteur ou pas) en intime relation avec les sons générés en temps réel.

D’une durée de 20 minutes, la pièce la plus longue au programme était créée en ce vendredi 21 février : Instrumental Interaction V de Benjamin Lavastre, pour ensemble, 3 karlax, électronique et ensemble. Il s’agit de la 5e pièce du compositeur ayant pour objet d’explorer les interactions entre cet instrument atypique et ses interlocuteurs… typiques. S’installe un dialogue de mélodies déconstruites, de percussions de textures  à la fois acoustiques et synthétiques. Les modes de jeu se superposent, on assiste effectivement à un déploiement de possibilités permettant au compositeur de préciser sa pensée sur l’usage du karlax dans dans un contexte de musique de chambre. D’autres détails suivront… on imagine.

Le programme s’est conclu par l’exécution de L’autre épaisseur, œuvre composée en 2023 par Philippe Leroux, et dont l’objet est (aussi) la relation entre le son et le geste physique. Plus précisément, l’autre épaisseur se déploie sur 7 configurations issues de mouvements des corps, ces configurations se veulent sonores et dynamiques. Exposées une première fois, elles se superposent ensuite à la manière d’un contrepoint et finissent par s’unifier dans la perception de celles et ceux qui en reçoivent la proposition.

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classique moderne / classique occidental

OSM et Khachatryan | Musique, politique et condition humaine

par Hélène Archambault

Il y a des moments où on se sent privilégiés d’être là où on est. C’était le cas mercredi soir à la Maison symphonique. Je crois que c’était un sentiment partagé, du moins si je me fie au rappel qu’a eu le violoniste Sergey Khachatryan qui a formidablement interprété le Concerto pour violon en ré majeur, op. 35 de Tchaïkovski. 

L’orchestre lui a fourni un écrin dans lequel il a pu exprimer sa sincérité, comme lorsque les flûtes reprennent à la fin de sa cadence, toute personnelle, ou encore, dès les premières mesures, alors que les cordes introduisent le violon solo. 

Le rappel est une pièce de Grigor Narekatsi, poète mystique arménien du 10e siècle, saint de l’Église apostolique arménienne. En 2015, en commémoration du 100e anniversaire du génocide arménien, le pape François a déclaré saint Grégoire de Narek (nom francisé), docteur de l’Église, le 36e, pour ses écrits intemporels. Intemporelle, Havoun, havoun l’est. À plus de 1000 ans d’écart, sa pièce résonne. 

Après l’entracte, Payare et l’OSM attaquent la Symphonie no 11, op. 103 « L’année 1905 » de Chostakovitch. 11 jeunes instrumentistes des écoles de musique de Montréal, Conservatoire, McGill, Université de Montréal, font partie de l’orchestre pour l’occasion. Connaître l’histoire de cette symphonie donne des clés pour l’apprécier pleinement, car ce n’est pas le genre de pièce que l’on écoute en préparant une salade de pois chiches le lundi matin avant d’aller attraper le métro. Les notes de programme sont éclairantes. La Symphonie no 11 est intimement liée à l’histoire de la Russie, puis de l’Union soviétique, tant dans son écriture que dans sa réception par le régime. L’URSS au lendemain de la Seconde Guerre mondiale ayant décrété la musique de Chostakovitch ennemie des travailleurs, il faut attendre les années 1950 pour de nouvelles compositions. Composée début 1957, Chostakovitch y raconte en musique l’insurrection populaire de 1905 contre l’Empire russe. Le premier mouvement, « La place du palais », s’ouvre sur un tableau hivernal et hostile où se déroule bientôt une répression sanglante. Caisse claire militaire, clairon et illustrations de chants folkloriques sont autant de manifestations sonores de la violence de la répression. Le second mouvement évoque le Dimanche rouge et encore ici, Chostakovitch utilise le matériau musical pour dépeindre l’horreur du massacre et la désolation de la mort. Le troisième mouvement « Mémoire éternelle » rappelle la Marche funèbre des Révolutionnaires. Quant au Finale, « Tocsin », c’est la ferveur révolutionnaire, caractérisée par trompettes et cordes basses, interrompue par une mélodie au cor anglais, et qui se termine aux sons des cymbales et des cloches. Quand la musique cesse, on se demande ce qu’on vient de vivre. J’étais émue, dérangée, jetée à terre. 

Ce concert incarne la condition humaine dans toute sa fragilité.

crédit photo: Antoine Saito 

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